Une mienne connaissance a attendu ces trois dernières années que l'on rééditât Borges dans la collection de la Pléiade. Il en rêvait et ne se résolvait pas à devoir faire les bouquinistes pour trouver les deux exemplaires qui constituent les œuvres complètes du grandiose Argentin. Mais il faudra bien qu'il se résigne puisqu'une récente recherche sur des sites de libraires indique que ces deux livres sont définitivement indisponibles. La formule est jolie quoique contradictoire : il me semblait pourtant que l'indisponibilité était par principe une situation transitoire. Passons. L'ami devra fureter dans les rayons poussiéreux ou devant les étals qui longent le fleuve.
Borges n'est donc plus accessible en Pléiade. Les publications ne datent pourtant pas de temps immémoriaux : 1993 pour le tome 1, 1999 pour le tome 2. Ces volumes ont dû bien se vendre et peut-être estime-t-on en Gallimardie qu'un nouveau tirage serait hasardeux, commercialement. Faute d'un lectorat suffisamment conséquent pour s'aventurer dans les contrées du plus grand nouvelliste du siècle ? Ce serait donc tabler sur le déclin inexorable des lecteurs exigeants. Comme quoi toutes les enquêtes et toutes les statistiques du monde sur les progrès de la lecture dans notre société post-moderne sont foutaises.
Mais cela ne doit pas étonner ceux qui voient se dépeupler les rayonnages des librairies (amusez-vous à trouver sans devoir les commander des romans de Giraudoux ou de Valery Larbaud...) et s'entendent dire, avec la régularité d'une horloge mortelle, que tel ou tel livre est épuisé (et nous donc, de chercher vainement) et que nul ne sait s'il y aura réédition. Ainsi s'effondrent, doucement mais sûrement, des pans entiers de la littérature et il ne nous reste plus qu'à fréquenter les bibliothèques, en espérant alors y trouver notre bonheur, et que ce bonheur soit en accès libre et non à consulter sur place.
Chacun aura fait l'expérience de ces disparitions scandaleuses, chacun a son cimetière d'auteurs plus ou moins célèbres, plus ou moins anciens. Mais quand on en arrive à faire de Borges un auteur relégué (certes il reste les éditions de poche...), on se dit que l'avenir est sombre et que la République des Lettres dont la France s'est longtemps arrogé le titre finira bientôt en une Principauté ridicule.