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Les abrasions

  • Chambre 215

    Elle s'est effacée devant lui pour le laisser passer. Il s'est retourné vers elle, encore dans l'embrasure. Un instant entre eux deux. Elle a compris. Elle reviendra dans cinq minutes. Tout peut se faire en si peu de temps, de ranger, de vider, ou pas, aussi. Il n'y a pas grand chose, comme on dit. On parle parfois très vite. Il s'est assis dans le fauteuil où, hier, il était, dans l'angle, à le regarder dormir à moitié, échangeant quelques mots décousus quand il ouvrait l'œil. Le soleil arrive en transversale. Il y a l'odeur persistante de camphre, d'éther et de bouillon. Midi. Le lit est encore emmêlé du drap. Les fils de perfusions pendent. Puis les objets, ce qu'il avait amené avec lui. Deux magazines de mots croisés, force 3-4, parce qu'il était devenu assez fort, avec le temps, deux romans, policiers sûrement, un paquet de bonbons Kréma. Son réveil et sa radio, comme deux petites boîtes propres. Faire sa chambre. Faire de l'impersonnel sa chambre, même transitoire. Sur le dossier de l'une des deux chaises, le blouson qu'il n'avait pas voulu mettre dans la penderie, pour dire qu'il n'allait pas s'éterniser. En se penchant un peu, il voit, dans le renfoncement ce qui fait office de table de chevet, le boîtier ouvert, les lunettes posées dessus, et dans le même mouvement son regard embrasse les pantoufles au pied du lit, dont une est retournée, et un paquet de Kleenex qui traîne.

    La porte s'ouvre. Il n'esquisse pas un geste ; elle lui dit qu'elle est désolée.

  • L'Union Européenne

    Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! Morgues pleines...

  • Bien en face

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    Elle est bien en face, la fenêtre. Tu peux savoir que tu es là sans y être. Le bris de la vitre et le désordre à l'intérieur t'effacent, suspendent ton image. Ce n'est pas un autoportrait mais une métaphore, c'es-à-dire un signe qui s'est déplacé dans le sens et dans l'espace. La chose te soustrait. Il faut penser la mort ainsi, et ce n'est pas facile, de voir le moment où l'on n'est plus là et que les choses nous survivent, même celles que nous ne considérons pas. La moindre masure surpasse notre chemin. 

    La fenêtre, ou ce qui s'ouvre sur le monde, des théories de la perspective à celles de John Szarkowski sur la photo. Sinon qu'ici, c'est l'inverse : une fermeture ou une concentration. Tu l'as prise sans hésiter, en sachant que tu n'avais pas à chercher la meilleure place possible, parce qu'il ne peut y en avoir. Ton regard ne trouvera jamais ton corps, tu le sais. C'es au-delà que l'histoire se passe. A la fois tout et rien...

     

    Photo : Ph. Nauher

  • Les apprentis sorciers

    Bashung sort en 2002, après l'incroyable Fantaisie militaire de 1998, un opus crépusculaire intitulé L'Imprudence. Cet album est intégralement remarquable. La composition qui suit est exemplaire.


  • Les angles

    La rencontre de deux murs forme un angle, obtus ou aigu, le plus souvent droit, parce que c’est ainsi que l’on imagine la stabilité la plus grande et la lisibilité du monde la plus simple. L’angle droit est le propre de ce qui est carré, comme on dit. La netteté mathématique voudrait avoir une vertu matérielle et spatiale. Ce serait une manière efficace de confronter sans heurts les tensions.

    Mais ici, qu’en est-il ? Il y a le choix d’arrondir les angles, d’enrouler la rigueur putative de l’architecture dans une enveloppe qui contourne la percussion des plans. C’est l’enrobage, là où on attendait une arête. Un élémentaire qui, ainsi saisi par l’objectif, rappelle la charnière à spirales de quelque dossier à moitié ouvert, comme pour une exposition dans une vitrine.

    Cependant, l’esprit ne s’y trompe pas. Cet angle adouci subit le démenti de l’ombre qui mange le tableau et le transforme en pilier (pilier d’une hypothétique voilure de ténèbres : un mat qui ne monte pas au ciel mais descend vers les Enfers). Plus encore : ce sont les lignes à angle droit (même si la perspective peut fausser le jugement…), le quadrillage vitrifié qui donne une autre vérité. On y voit la trame, c’est-à-dire l’intrigue. Le texte du mur, du mur tel que le conçoit la modernité se dépassant elle-même. La structure y a la finesse d’une lame, la légèreté d’un fil, et pour le reste, il s’agit d’une opacité menaçante, l’impact glaçant de l’invisible.

    On note, çà et là, des îlots de clarté, où se condense le dehors qui ne peut, semble-t-il, aller plus en profondeur. Ce sont des formes illusoires, des concentrations impuissantes. Rien qui soit, de près ou de loin, similaire à l’ouvrage gothique d’une transformation de la lumière. Dès lors, l’angle des murs peut épouser la courbe la plus belle et nous détourner de l’essentiel…

  • Le sourire

    Ce que tu sais.

    Sans besoin de le voir, de le dire, de le vérifier...

     

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  • L'achevé

     

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    La laideur nous travaille, comme, insidieuse et répétitive, l'eau qui s'écoule travaille la roche et la ravine. Il ne s'agit pas tant de la laideur immédiatement visible, spectaculaire, répondant à des repères esthétiques simples : désordre d'un endroit, pagaille d'un lieu, difformité, monstruosité. Devant cette défaillance, il est toujours possible de se prémunir ou de passer son chemin. On oublie la disgrâce et notre regard se porte ailleurs.

    Mais il est une laideur plus terrible, qui nous use, à force de s'imposer justement sans effort, parce qu'elle est installée dans le monde. Elle en devient la règle. Son signe et sa nomenclature. Et n'est-elle plus remarquable que dans les villes ? Là : la saleté, la moisissure, la crasse, l'écroulement, les fissures, les vitres brisées, le va-vite architectural, l'aménagement obsolescent et grossier, le tag, le graphe, le placard publicitaire, l'affichage sauvage, le bruit, l'accélérateur et le frein. Et les gens aussi : la vocifération, le râle, la suffisance narcissique, la sueur, le regard de travers, la babine morne, la démarche grotesque, la pantalonnade asexuée, le bon marché grimé...

    La laideur des murs, des impasses, des dérisions cellulaires donnant sur un espace arboré. Jardin d'acclimatation à la décrépitude. L'œil enfle de cet eczéma journalier. L'esprit ne sait plus où se tourner. Urbain, péri-urbain, rurbanisation. Ailleurs, peut-être. En attendant : le chant des chiens, le gargouillis des demi-civilisés, les auréoles d'humidité et le chevauchement des raccords. Toute une œuvre, tout un rêve, toute une histoire.

    Une extinction.

     

    photo : Philippe Nauher

  • Relief de faille

    La ville est soleil, et venteuse ; une fraîcheur de sel roule de la marée montante. Les vagues finissent en nuages fragiles ; bientôt plus que des rosaces. Le cœur est appareillé d'abrasion : frugalité de calme, comme d'une eau douce sous la lourde margelle. Des remparts les rochers à peine immergés laissent des souvenirs d'ombre ; taches d'encre dans l'émeraude. Et rien n'est simple. Trop loin, en profondeur. Les runes du lichen ocre sur le granit. Le ciel est voilé, qui sait ?, menace. Le grand Bé a repris ses droits. Le Sillon file, au loin. Encore un peu et l'obscurité désarrime tout, enfin...