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  • A méditer

    "En partie, la moyenne de l'humanité exerçant des professions tracées d'avance, rejoint par son manque d'intuition l'ignorance que ma grand-mère devait à son haut désintéressement"

      Marcel Proust, Le Côté de Guermantes, I

  • L'un et l'autre

    On n'apprend pas à mourir ; la vie est une longue périphrase de ce qui nous attend ; et l'on discute, dérisoire, des poignées de mains et de celles des cercueils. Tout est affaire de style. Tout est affaire de décor. Ici ou ailleurs...

  • Entre toutes, Ava Gardner

    Souchon, c'est deux chansons, pas plus. Somerset Maugham et celle qui suit. Ava Gardner n'est pas qu'un visage, une femme fatale. C'est la grâce à jamais perdue d'un être irréductible à ce qu'on aurait voulu qu'il soit (un peu comme Liz Taylor, dans sa dérive avec Richard Burton, en marge de sa carrière) et qui fut une grande actrice. Plus nous avançons dans le toc, le plastique (j'écris bien "le"), l'interchangeable cinématographique (lequel cinéma se confond d'ailleurs de plus en plus avec la pub et la mode), plus son regard inaccessible nous semble familier et plein de douceur. Souchon réussit (par quel miracle ?) à envelopper la sidération autour de sa beauté d'une nostalgie poignante et sans acrimonie...


  • Chateaubriand, l'intelligence toujours contemporaine

    La force de la plus grande littérature tient, entre autres, à sa faculté déterminée à revenir à nous, malgré la distance temporelle, parce qu'elle parle de ce que nous vivons, de ce qui nous traverse, en bien comme en mal. Comment, par exemple, ne pas lire les lignes qui suivent, ironiques sans amertume, lucides sans orgueil, en ne pensant pas au terrible effondrement imposé par la modernité (fût-elle post ou hyper, peu importe). Chateaubriand ne nous sauve bien sûr de rien, ne nous épargne rien, mais il a les mots justes, précis, la formule imparable par quoi le contemporain est risible jusqu'au dégoût. Et le temps, même bref, que nous remontons vers lui, est précieux et nous soulage.

     

    "Il y a des temps où l’élévation de l’âme est une véritable infirmité ; personne ne la comprend ; elle passe pour une espèce de borne d'esprit, pour un préjugé, une habitude inintelligente d'éducation, une lubie, un travers qui vous empêche de juger les choses ; imbécillité honorable peut-être, dit-on, mais ilotisme stupide. Quelle capacité peut-on trouver à n'y voir goutte, à rester étranger à la marche du siècle, au mouvement des idées, à la transformations des moeurs, au progrès de la société ? N'est-ce pas une méprise déplorable que d'attacher aux événements une importance qu'ils n'ont pas ? Barricadé dans vos étroits principes, l'esprit aussi court que le jugement, vous êtes comme un homme logé sur le derrière d'une maison, n'ayant vu que sur une petite cour, ne se doutant ni de ce qui se passe dans la rue, ni du bruit qu'on entend au dehors. Voilà où vous réduit un peu d'indépendance, objet que vous êtes pour la médiocrité ; quant aux grands esprits à l'orgueil affectueux et aux yeux sublimes, oculos sublimes, leur dédain miséricordieux vous pardonne, parce qu'ils savent que vous ne pouvez pas entendre."

    Chateaubriand, Les Mémoires d'outre-tombe, Livre 16, chapitre 1

     

     

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  • Poésie maritime

    Il y avait d'abord les cinq minutes récapitulatives des nouvelles du week end, où les dernières jaseries politiques se le disputaient avec les difficultés autoroutières et les résultats sportifs. Viendraient ensuite les jacasseries faussement engagées du Masque et la Plume, où l'on ferait bel esprit et parisianisme.

    C'était le soir. C'était l'hiver aussi : il faisait froid, ou humide, un temps à vouloir rester chez soi et à l'écouter, elle, qui arrivait, avec ses énigmes marines, ses localisations improbables que je mis fort longtemps  à identifier, à ne pas désirer identifier même, tant les premières contrées avaient la saveur des terres barbares. Terres étant d'ailleurs une dénomination fort imparfaite puisqu'elle évoquait là des zones, dans lesquels, évidemment, des navires se démenaient, des zones de la Mer du Nord qu'un individu réduit aux désordres de la Manche et de l'Atlantique français ne pouvait connaître autrement que dans un imaginaire de terreur. La voix de Marie-Pierre Planchon sortait de l'ombre pour nous offrir la litanie des vents et des houles. Cela ne nous servait à rien. Pure abstraction maritime rythmée de noms improbable : Dogger, Fisher, Tyne, Cromarty, German, et des chiffres, des forces, des avis de coups de vent,... Rien d'autre qu'un chapelet hermétique d'espaces où nous n'irions sans doute jamais mais qui faisaient rêver par leur simple apparition au milieu de toutes ces informations futiles qui s'arrogeaient le droit d'être l'actualité, au milieu de ces bavardages pour des livres ou des films aussitôt oubliés.Peu à peu elle nous ramenait vers des noms familiers : Mer d'Irlande, Manche est, Manche ouest, golfe de Gascogne... Mais auparavant, elle avait énuméré ces noms fantastiques de la Mer du Nord, ces noms qui, loin de refaire le monde, le décomposait en un puzzle impensable, comme si, plutôt que de nous référer à nos montres, au découpage gradué d'un cadran à douze chiffres, nous avions eu le droit aux anciens rythmes d'une vie conventuelle, comme si nous avions pour nous repérer dans le temps matines, sexte, nones ou complies... Tyne, Forth, Utsire, Humber,...

    Sa voix revenait chaque dimanche soir : douce, égale, magnifique. Nulle inflexion qui marquât la dramatisation : la stricte littéralité du message. Mais comme le sujet restait, malgré tout abscons, il y avait dans l'énumération immuable des noms propres le caractère ludique d'une comptine. Et c'était peut-être là le plus merveilleux : des indications précieuses pour certains (en mer, tendus, sérieux, face à la houle, en débat avec la tempête) que nous prenions pour une berceuse...