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les mémoires d'outre-tombe

  • Chateaubriand, l'intelligence toujours contemporaine

    La force de la plus grande littérature tient, entre autres, à sa faculté déterminée à revenir à nous, malgré la distance temporelle, parce qu'elle parle de ce que nous vivons, de ce qui nous traverse, en bien comme en mal. Comment, par exemple, ne pas lire les lignes qui suivent, ironiques sans amertume, lucides sans orgueil, en ne pensant pas au terrible effondrement imposé par la modernité (fût-elle post ou hyper, peu importe). Chateaubriand ne nous sauve bien sûr de rien, ne nous épargne rien, mais il a les mots justes, précis, la formule imparable par quoi le contemporain est risible jusqu'au dégoût. Et le temps, même bref, que nous remontons vers lui, est précieux et nous soulage.

     

    "Il y a des temps où l’élévation de l’âme est une véritable infirmité ; personne ne la comprend ; elle passe pour une espèce de borne d'esprit, pour un préjugé, une habitude inintelligente d'éducation, une lubie, un travers qui vous empêche de juger les choses ; imbécillité honorable peut-être, dit-on, mais ilotisme stupide. Quelle capacité peut-on trouver à n'y voir goutte, à rester étranger à la marche du siècle, au mouvement des idées, à la transformations des moeurs, au progrès de la société ? N'est-ce pas une méprise déplorable que d'attacher aux événements une importance qu'ils n'ont pas ? Barricadé dans vos étroits principes, l'esprit aussi court que le jugement, vous êtes comme un homme logé sur le derrière d'une maison, n'ayant vu que sur une petite cour, ne se doutant ni de ce qui se passe dans la rue, ni du bruit qu'on entend au dehors. Voilà où vous réduit un peu d'indépendance, objet que vous êtes pour la médiocrité ; quant aux grands esprits à l'orgueil affectueux et aux yeux sublimes, oculos sublimes, leur dédain miséricordieux vous pardonne, parce qu'ils savent que vous ne pouvez pas entendre."

    Chateaubriand, Les Mémoires d'outre-tombe, Livre 16, chapitre 1

     

     

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  • Chateaubriand ou la puissance de la terre

    Année au crépuscule. Sordide et vulgaire. Comment la finir ?

    L'incesssante tentation de Saint-Malo, et paradoxe, revient la page qui suit, d'un Chateaubriand s'en allant aux Amériques. Pas avec l'ardeur de ces conquérants contemporains en quête de fortune et de folie, mais avec l'art nuancé de l'attachement indéfectible du breton perdu dans un monde qui s'effondre. Lire Chateaubriand est un bonheur rare, partagé par peu désormais, puisqu'il est désuet, anachronique et dérisoirement français. Nous dirons, nous : terriblement français.

     

     

    "Mes regards restaient attachés sur Saint-Malo.

    Je venais d'y laisser ma mère tout en larmes. J'apercevais les clochers et les dômes des églises où j'avais prié avec Lucile, les murs, les remparts, les forts, les tours, les grèves où j'avais passé mon enfance avec Gesril et mes camarades de jeux ; j'abandonnais ma patrie déchirée, lorsqu'elle perdait un homme que rien ne pouvait remplacer. Je m'éloignais également incertain des destinées de mon pays et des miennes : qui périrait de la France ou de moi ? Reverrai-je jamais cette France et ma famille ?
    Le calme nous arrêta avec la nuit au débouquement de la rade ; les feux de la ville et les phares s'allumèrent : ces lumières qui tremblaient sous mon toit paternel semblaient à la fois me sourire et me dire adieu, en m'éclairant parmi les rochers, les ténèbres de la nuit et l'obscurité des flots.
    Je n'emportais que ma jeunesse et mes illusions ; je désertais un monde dont j'avais foulé la poussière et compté les étoiles, pour un monde de qui la terre et le ciel m'étaient inconnus. Que devait-il m'arriver si j'atteignais le but de mon voyage ? Égaré sur les rives hyperboréennes, les années de discorde qui ont écrasé tant de générations avec tant de bruit seraient tombées en silence sur ma tête ; la société eût renouvelé sa face, moi absent. Il est probable que je n'aurais jamais eu le malheur d'écrire ; mon nom serait demeuré ignoré, ou il ne s'y fût attaché qu'une de ces renommées paisibles au-dessous de la gloire, dédaignées de l'envie et laissées au bonheur. Qui sait si j'eusse repassé l'Atlantique, si je ne me serais point fixé dans les solitudes, à mes risques et périls explorées et découvertes, comme un conquérant au milieu de ses conquêtes !
    Mais non ! je devais rentrer dans ma patrie pour y changer de misères, pour y être toute autre chose que ce que j'avais été.

    Cette mer, au giron de laquelle j'étais né, allait devenir le berceau de ma seconde vie : j'étais porté par elle, dans mon premier voyage, comme dans le sein de ma nourrice, dans les bras de la confidente de mes premiers pleurs et de mes premiers plaisirs.
    Le jusant, au défaut de la brise, nous entraîna au large, les lumières du rivage diminuèrent peu à peu et disparurent. Épuisé de réflexions, de regrets vagues, d'espérances plus vagues encore, je descendis à ma cabine : je me couchai, balancé dans mon hamac au bruit de la lame qui caressait le flanc du vaisseau. Le vent se leva ; les voiles déferlées qui coiffaient les mâts s'enflèrent, et quand je montai sur le tillac le lendemain matin, on ne voyait plus la terre de France.
    Ici changent mes destinées : «Encore à la mer ! Again to sea !» (Byron.)"

  • d'Outre-tombe, justement...

     

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    Considérant la nécessaire et urgente éradication de cette suprême hérésie libertaire qu'est le catholicisme, il faudrait toute affaire cessante que les Femen et leurs affidés gaucho-socialistes entrent dans les librairies hexagonales, aillent au rayon littérature française (1), se saisissent des exemplaires (tous, tous, absolument tous !) des Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand. On y trouve en effet des pages écœurantes, d'une religiosité qui dépasse l'entendement. Une prose quasi apostolique qui révulse. 

    Ainsi les lignes qui suivent où l'affreux malouin évoque la flèche de l'église Saint-Vincent comme d'un phare dans la tempête. Devant une telle absurdité, l'autodafé s'impose, et vite. En attendant que l'on dresse des bûchers et que Chateaubriand ne finisse en cendres, place au génie chrétien de François-René (2)



    "Durant les jours de fête que je viens de rappeler, j'étais conduit en station avec mes sœurs aux divers sanctuaires de la ville, à la chapelle de Saint-Aaron, au couvent de la Victoire ; mon oreille était frappée de la douce voix de quelques femmes invisibles : l'harmonie de leurs cantiques se mêlait aux mugissements des flots. Lorsque, dans l'hiver, à l'heure du salut, la cathédrale se remplissait de la foule ; que de vieux matelots à genoux, de jeunes femmes et des enfants lisaient, avec de petites bougies, dans leurs Heures ; que la multitude, au moment de la bénédiction, répétait en chœur le Tantum ergo, que dans l'intervalle de ces chants, les rafales de Noël frôlaient les vitraux de la basilique, ébranlaient les voûtes de cette nef que fit résonner la mâle poitrine de Jacques Cartier et de Duguay-Trouin, j'éprouvais un sentiment extraordinaire de religion. Je n'avais pas besoin que la Villeneuve me dît de joindre les mains pour invoquer Dieu par tous les noms que ma mère m'avait appris ; je voyais les cieux ouverts, les anges offrant notre encens et nos vœux ; je courbais mon front : il n'était point encore chargé de ces ennuis qui pèsent si horriblement sur nous, qu'on est tenté de ne plus relever la tête lorsqu'on l'a inclinée au pied des autels.

    Tel marin, au sortir de ces pompes, s'embarquerait tout fortifié contre la nuit, tandis que tel autre rentrait au port en se dirigeant sur le dôme éclairé de l'église : ainsi la religion et les périls étaient continuellement en présence, et leurs images se présentaient inséparables à ma pensée. À peine étais-je né, que j'ouïs parler de mourir : le soir, un homme allait avec une sonnette de rue en rue, avertissant les chrétiens de prier pour un de leurs frères décédé. Presque tous les ans, des vaisseaux se perdaient sous mes yeux, et, lorsque je m'ébattais le long des grèves, la mer roulait à mes pieds les cadavres d'hommes étrangers, expirés loin de leur patrie. Madame de Chateaubriand me disait comme sainte Monique disait à son fils : Nihil longe est a Deo : "Rien n'est loin de Dieu." On avait confié mon éducation à la Providence : elle ne m'épargnait pas ses leçons."


    (1)déjà l'intitulé est douteux : "littérature française". Cela pue le nationalisme à cent mètres. C'est nationaliste, putride et facho. La désormais si magique "littérature-monde", voilà la vérité des temps futurs...

    (2)Mais il y aura bien un de ces multiples génies de la critique moderne (et postmoderne), tendance structuro-lacano-marxiste pour nous expliquer que l'énoncé "Chateaubriand est un écrivain chrétien" est une pure invention du lobby papal...


    Photo : X