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De la mélancolie

  • Forcément

    C'était parti du plus loin qu'il s'en souvienne mais dire cela signifiait que partir marquait tout autant le reflux que le point extrême du recommencement. L'irritante mélopée, pourtant si nécessaire, donc douce quelque part, avait la gravité d'une ritournelle. Lullaby, par quoi les cauchemars s'invitaient : commensaux de la pleine lune ou du petit matin noir. C'était reparti, pour être exact et franc, comme on le dit d'une blessure. La mer, Rorschach irrésolu, composait ses nasses, faisait son sac et ses ressacs. Et il aurait pu sans sécession fondre ses yeux dans l'entre de l'écume, à l'endroit où, froidement, il n'y avait rien que la matière, sombre et dépolie, comme la rumeur qui vient de là.

     

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    Photo : Philippe Nauher

  • L'un et l'autre

    On n'apprend pas à mourir ; la vie est une longue périphrase de ce qui nous attend ; et l'on discute, dérisoire, des poignées de mains et de celles des cercueils. Tout est affaire de style. Tout est affaire de décor. Ici ou ailleurs...

  • Murs (XIV)

    "Plutôt que de trop attendre les gens, on ferait mieux de compter sur les choses : c'est un simple mur qui m'a tiré d'affaire. Le long de la ligne de tram 7, dans le quartier d'Azabu, et sur le trajet interminable que je faisais depuis quelques jours à pied pour chercher mon courrier. Je m'étais assis pour me reposer sur une poubelle fermée et, en relevant les yeux, je l'ai vu : un long mur de béton que les moisissures de l'été et des champignons de salpêtre festonnaient comme un rideau de théâtre. Sur toute la longueur du "décor", le trottoir providentiellement surélevé formait une sorte de scène, et tous ceux qui y passaient étaient bon gré mal gré transformés en "caractères", amplifiés comme un écho, projetés dans le comique ou dans l'imaginaire. Je me suis dit : c'est la fatigue. J'ai fermé les yeux un moment. Quand je les ai rouverts, ça continuait à défiler, comme les personnages toujours plus nombreux d'une histoire racontée dans une langue étrangère. Je suis allé regarder de plus près : la surface était d'une belle matière veloutée, celle d'un vieux pot sorti du four. Entre les trous du coffrage et quelques graffiti indécis, une main enfantine mais résolue avait écrit haka (imbécile). Je l'ai pris pour moi : j'avais dû passer cent fois là-devant sans rien voir. Masi c'est qu'alors j'en avais moins besoin. Juste en face, entre la voie du tram et la rue, un dépôt de détritus, de cageots, de caisses, fournissaient un observatoire commode pour voir sans être vu. Je suis remonté dare-dare vers ma chambre : quatre kilomètres. Suis allé vendre mes derniers livres à Shinjuku pour m'acheter du film. J'ai trouvé tout un lot, bradé à moitié prix, "tombé dans l'eau de mer", dit le marchant. On verra bien."

        Nicolas Bouvier, "Le pied du mur", Du coin de l'oeil. Ecrits sur la photographie, Editions Héros-Limite, 2019

  • Tom Waits, des profondeurs

    La première fois que l'on entend Tom Waits, on y croit à peine. De le voir, même, ne change rien à l'affaire. Cette caverne, chaude et mélancolique, est une source d'émotion comme la pop nous en a peu donné. Tom Waits, c'est un Nick Cave sans le mystère dandy, l'ombre sans la recherche de l'énigme. Quand il chante Waltzing Matilda (dont le titre réel est Tom Traubert's Blue (1)), on reste sans voix, il n'y a pas d'autre moyen de le dire, sans voix devant cette histoire de misère dont il se fait le conteur foudroyé. Il grimace et nous, à l'écouter, prenons en sympathie celui qui commence ainsi sa complainte :

    Wasted and wounded, it ain't what the moon did
    I've got what I paid for now
    see ya tomorrow, hey Frank, can I borrow
    a couple of bucks from you, to go
    Waltzing Matilda, waltzing Matilda, you'll go waltzing
    Matilda with me
     


     

    (1)Tom Waits fait référence à une très ancienne chanson australienne. La chanson se trouve sur l'album Small Change sur lequel jouent Jim Hughart (qui accompagna Joe Pass) à la basse et Shelly Manne à la batterie. (batteur qui aura joué avec les plus grands : de Bill Evans à Chet Baker en passant par Sonny Rollins ou Art Pepper). On peut la trouver sur Youtube. Il y a un arrangement de cordes qui atténue la rudesse de la voix. C'est du studio. J'ai préféré la version concert, plus âpre et plus jazzy.

  • L'Union Européenne

    Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! Morgues pleines...

  • L'optimisme imbécile des temps de crise

    Je ne sais s'il faut en rire ou en pleurer. En rire, sans doute, avec toute l'ironie mordante de celui qui n'a plus d'illusions depuis longtemps, parce que l'arbre est pourri des racines à l'extrémité des branches.

    Adoncques le Covid-19, au-delà de la peur et des morts, a provoqué l'émulation de toute une armée de révolutionnaires : écolo, altermondialistes, pacifistes, philosophes de la démocratie, libéraux "responsables", et j'en passe. Ces belles personnes voient par le biais de ce péril un moyen, voire une opportunité (passons les morts pour par pertes et profits. D'un mal surgit un bien, on le sait...), de changer la société. Il faut infléchir la mondialisation, penser le monde d'après, réintroduire l'homme au centre de tout, réindustrialiser nos démocraties, tailler des croupières aux faiseurs de fric,... La litanie des bonnes intentions et des oracles est grandiose. Toutes ces éminences, grises, vertes, roses, rouges, arc-en-ciel sont remarquables de bêtise. Elles revoient le système, l'amendent, pour en garder le meilleur. Comme si la structure n'était pas le fruit de ceux qui y participent, y collaborent, s'y complaisent.

    Le Covid-19 est donc l'ange exterminateur de l'individualisme forcené, du profit maximal, de la globalisation honnie. On aimerait y croire (ou pas, d'ailleurs). 

    En attendant, méditons cette anecdote. Les Français se sont confinés depuis quinze jours. Ils étaient sérieux (plus ou moins), volontaires, solidaires et obéissants (plus ou moins). Au début de la troisième semaine, ils sont passés de victimes potentielles au statut de miraculé de la catastrophe. C'est alors que certains ont demandé aux urgentistes, aux médecins, aux infirmiers vivant près d'eux d'aller voir ailleurs parce que ceux-ci présentaient un risque. Ils se sont mis à bannir les personnes devant lesquelles ils auraient pleuré si on les avait amenés en urgence après s'être effrayés d'une fièvre méchante et d'une toux inquiétante.

    Dès lors, on comprendra mon scepticisme sur un possible bouleversement du paradigme économico-culturel, lequel n'est pas étranger, ce me semble, au désastre actuel.

  • Aucun homme...

    Aucun homme n’est une île, un tout, complet en soi ; tout homme est un fragment du continent, une partie de l’ensemble ; si la mer emporte une motte de terre, l’Europe en est amoindrie, comme si les flots avaient emporté un promontoire, le manoir de tes amis ou le tien ; la mort de tout homme me diminue, parce que j’appartiens au genre humain ; aussi n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas : c’est pour toi qu’il sonne.

               John Donne (1572-1631), Méditation XVII