Il y a ce lieu commun de la photographie : le passant, le long du mur, quand celui-ci joue sa pleine fonction d’arrière-plan. Le mur-décor, grâce auquel se détache la silhouette : fragile, fugitive, incertaine, incongrue, fantaisiste, qui file vers la sortie, comme si elle fuyait la photo même, après avoir repéré ou simplement pressenti la filature, l’œil du guetteur.
Cette silhouette est l’incarnation inséparable du monde, semble-t-il. Rien ne pourrait être sans elle, qui passe. Elle est la finalité de l’instant, que la durée soit ou non. La nomenclature de toutes les paroles à venir : visage, corps, posture, habits, allure, démarche, est là ; et le mur n’est, lui, qu’un faire-valoir. Il est la plaque neutre, eût-il des marques, des traces, des lambeaux d’affiches, des tags, des moulures à moitié décaties. Il n’est que l’insigne soumission des choses au masque qui fait relief.
Dans le mur photographique, il y aurait donc, par essence, une destinée lugubre, de n’être rien. Il serait toujours un peu l’ombre de lui-même, décoratif jusqu’à l’effacement.
Mais n’est-ce pas prendre les choses à l’envers ? N’est-ce pas le quidam, héros involontaire souvent du photographe, qui y gagnerait ? N’est-il pas un accident ? Une accroche itinérante propre à désigner la profondeur de ce que nous regardons, profondeur impitoyable qui nous ramène immanquablement à notre agitation théâtrale ? D’une certaine manière, le mur soutient peu la silhouette : elle la creuserait plutôt, l’aggraverait d’un contour brutal et terrible, à la manière dont on regardera les profils sur les pièces de monnaie, quand le cliché est net. S’il est flou, on explorera plutôt l’horizon de la tache ou de la salissure. Pour tout dire : dans le jeu du mur et de l’être, celui-ci tourne au détail, à l’anecdotique. C’est lui le décor, la moulure, comme un corps de cendres…
Photo : Philippe Nauher