Du drap blanc, on voit dépasser, à peine, la semelle d'un mocassin et, dès lors, on en déduit que la tête est l'autre bout, là où apparaît une grande tache de sang. Les passants regardent, maintenus à distance par quelques policiers. Personne ne sait ce qu'on attend, qui doit venir, un procureur ou un légiste, sans doute les deux.
Un uniforme précise à des journalistes que le gars a des papiers ukraiiniens au nom d'Alexander Nolinsky, et une carte de presse. Celui qui a tiré, les témoins parlent tous d'un homme seul, était un professionnel. Les deux balles, gros calibre, ont fracassé la boîte crânienne. Imparable. Et le tueur serait parti à pied.
Très vite, un blond à l'accent germanique dit à ses collègues qu'il le connaissait un peu. Il s'était réfugié en Autriche, avant de venir en Belgique. Ils avaient travaillé sur des sujets communs. Mais il enquêtait aussi sur des affaires troubles, en free-lance. Il a dû toucher du lourd, mettre son nez où il ne fallait pas.
Vu que cette histoire s'est passée en plein centre ville, à deux heures de l'après-midi, il n'est pas question de faire comme si. Le problème est de savoir jusqu'où on peut aller. Un autre blond, plus gros et rouge, vient dire que l'information est déjà sur le Net, avec quelques précisions sur la victime. On ne peut décidément pas balayer ça en une phrase. Pas la peine non plus d'en faire un titre. À la douzième minute du journal, cela suffira, avec quelques images du corps sous le drap blanc et la voix du présentateur en off.
Il y a d'abord des inondations en Flandre, triste spectacle, puis la réunion des ministres de l'économie de l'Union Européenne.
-Font chier. De toute manière... dit Marie, en se levant de table. Je vais chercher les fruits. Tu veux quoi ? Pomme ou poire ?
-Poire.
Quand elle revient, elle voit le drap blanc, quelques secondes.
-C'est qui ?
-Pas dit. Un gars qui s'est fait buter, visiblement. Encore un mec pas clair, à tous les coups. En fait, j'aurais bien pris une pomme.