On vint le chercher pour lui dire que tout s'était admirablement bien passé, que la mère et l'enfant se portaient au mieux. Ils n'attendaient plus que lui.
Elle était épuisée et sourit à peine. Il l'embrassa délicatement et pour la première fois tourna son regard vers le nouveau venu, à la fois inconnu et pourtant déjà nommé, par eux.
Ce n'était rien qu'une minuscule fébrilité, une rougeur poings et yeux fermés dans du linge blanc.
Les heures s'écoulèrent, presque en silence, à trois, jusqu'à midi où il se résigna à annoncer à tous la nouvelle. Il y avait en lui une certaine répugnance à se confronter à ce moment. Il avait suffisamment connu la paternité des autres pour savoir ce qu'elle pouvait engendrer de lieux communs, de phrases creuses et d'avis contradictoires. Il savait que l'attendait la litanie des enthousiasmes. Tout y passerait : l'éclat de la jeune mère, la beauté de l'élu, les gazouillis débiles, le désir de le regarder de plus près, de le prendre dans les bras, si c'est possible, le jeu des ressemblances.
Plus que tout, et cela ne manqua pas d'arriver, non pas de sa mère, au loin, qu'il eut quelques minutes seulement téléphone, mais de la tante Pascale, émue aux larmes, il redoutait qu'on lui dît que son père aurait été fier.
-Ton père serait fier.
Ainsi glosa l'idiote. Il en profita pour répondre, mais ce n'était pas répondre, qu'il avait besoin d'en fumer une, la première et, comme une pirouette de plus, ajoutant : la dernière.
Il descendit l'escalier à toute vitesse, se retrouva sur le trottoir.
Il serait fier.
Pourquoi ce besoin de rappeler l'absence, cette impudeur à vouloir susciter l'émotion, cette bêtise à ne pas comprendre qu'il n'avait pas, lui, relier la naissance de son fils à la fierté imaginaire de son père mais qu'en servant le premier doucement dans ses bras il avait rendu au second l'hommage secret du quotidien de la présence perpétuée. Il n'y avait de part et d'autre ni grandeur, ni fierté, parce que ces évaluations ne concernent plus ni les disparus ni ceux qui ne les oublient pas (et donc n'en parlent jamais avec légèreté) mais une communion, au delà du crématorium et du conditionnel.
-Tu comprends, la communion !
Il avait parlé tout fort et le passant sur le trottoir le dévisagea, croyant peut-être qu'il était fou.