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Se faire... (verbe pronominal)

À l'heure de la réduction de la planète, par le biais des moyens de transport sans cesse plus rapides, à n'être plus qu'une balle de tennis, une sphère toute rabougrie et accessible, on sent les bien nourris (et les moins bien nourris, plus jeunes, plus roots, comme on dit) prêts à l'aventure.

Et cette année, ils se font le Cambodge. L'an dernier, ils s'étaient fait le Pérou, et l'année d'avant, ils s'étaient fait le Yémen (un petit frisson, oui, le Yémen). Pas mal. 

Mais il y a aussi possibilité de se faire une toile, un restau, un tennis, une promenade, un trek, une nana, un mec...

On peut tout se faire. Cette réduction lexicale est-elle une simple facilité de langage, la confirmation d'un manque certain de vocabulaire, ou bien le signe d'une uniformisation des expériences ?

Quand j'étais enfant, notre instituteur interdisait le verbe "faire" dans les rédactions (de même pour "on", "il y a" ou "montrer"). Cela nous obligeait à ferrailler avec le Larousse. Nous n'en sommes pas morts. "Faire" peut tout remplacer. Il n'a donc pas de sens.

Ce qui est évidemment curieux en l'espèce tient dans la pronominalisation et à travers elle,  s'esquisse la pointe narcissique qui sied à l'époque, comme si, dans l'histoire, l'objet passait au second plan. Le Vietnam compte moins que le rappel que c'est moi qui y vais. Le Vietnam n'existe pas sans moi. Le monde à la mesure de ma présence. Une sorte d'idéalisme à la Berkeley. On sent dans la transformation du verbe un supplément contemporain d'ego par quoi l'individu condescend à valider le réel. Il n'explore plus : il convoque. Tout pour son plaisir.

On s'amuse bien sûr de cet étrange glissement. Il n'est pas le fait d'un groupe particulier. Les aventuriers (enfin...), eux aussi, se font la remontée de l'Amazonie ou le désert de Gobi. Ils vous expliquent qu'ils vont retrouver le sens de la réalité, la voix du monde, à la rencontre des "vrais gens" (belle escroquerie que cette vérité des gens, telle qu'on vous la balance quand vous préférez les pierres et les tableaux. Il y a ceux qui aiment les vrais gens, et les autres, qui seraient d'affreux misanthropes. Expédition faussement humanitaire grâce à laquelle certains s'achètent une virginité et un droit annuel à faire la morale et à l'altermondialisme). 

Pas besoin d'être grand clerc pour savoir que se faire le Guatemala ou la Namibie consistera à revenir comme pépère et mémère (qui cette année se sont fait, eux, l'Andalousie en bus climatisé) avec la carte mémoire bourrée de moments inoubliables. 

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