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Actu (substantif)

 

 

Au cinéma, jusque dans les années 50, avant le triomphe de la télévision, le film était précédé des Actualités. Pluriel de la diversité, d’une certaine forme hétéroclite. Les Actualités, dès l’origine, c’est un mélange sans ligne directrice. Collages aléatoires plutôt que puzzle. Le Journal de 20 heures est emblématique de ce phénomène qui perdure, que les prétentions informationnelles des journaleux (écrits, audio, vidéo) n’ont jamais dépassé. Un petit vernis un peu écaillé.

Et quel que soit le procès qu’on puisse en faire, on reste dubitatif devant la récente évolution sémantique… Les Actualités avaient déjà pris une forme générique : l’actualité. On dira que ce passage pluriel/singulier marquait la volonté nette de neutraliser l’hétérogénéité des composants en y substituant une consistance justement singulière par quoi le vecteur d’informations se donnait une légitimité implicite. Le choix fait devenait une vérité du monde, ou sur le monde, comme si les faits s’étaient imposés d’eux-mêmes (alors qu’il n’en est rien : les faits, surtout dans le cadre de l’information, sont des constructions. Plus encore : des mises en scène, des quasi narrations).

Mais de l’actualité on passe à l’actu. Quelques syllabes qui tombent, une apocope : rien de bien grave, en somme. On connaît plein d’exemples : télé(vision), cinéma(tographe), bac(calauréat). Une simplification dans l’air du temps. Une économie de syllabes en guise d’énergie accrue, de vitalité affichée, de spontanéité réactive. Plus le mot s’allonge, plus il est sérieux, intellectuel. La tension vers le monosyllabe est histoire de réorientation de la force.

En l’espèce, l’actu induit une forme courte, spectaculaire, facile à saisir, sur le modèle du clip, du flash, de la brève. Le raccourci morphologique va de pair avec le contenu et le rythme du contenu. De l’actualité à l’actu, on passe de l’information à comment s’en débarrasser. L’actu, comme formalisation, n’est pas faite pour s’appesantir, moins encore réfléchir. Il ne faut pas être sérieux. Le trop de sérieux est une tare. Et l’on sait que cette simplification est comprise pour déminer le terrain. L’actu inclura sans doute quelques malheurs mais son idéal est que le temps restreint, la forme réduite fassent le jeu du fun. L’actu, c’est déjà le 6 minutes de M6. Deux morts au Proche-Orient, une inflation contenue, une visite du premier ministre australien, la 25eme journée de Ligue 1, un chat qui fait peur à un éléphant, le clip torride de Tartempion, météo. Coupé.

Au fond, ce n’est que la traduction efficace de cette magnifique dérive démocratique en matière d’informations, dont les deux axes majeurs sont l’appauvrissement du contenu et l’extinction de l’analyse. La victoire des journaux gratuits, en somme…

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