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giono

  • La littérature en recours

    Devant la mise en scène dramatisée pour un "gouvernement totalement révolutionnaire" (Christine Lagarde), les simagrées ministérielles, les voix tremblantes de ceux qui jurent travailler pour le pays, et lui seul, hors de toute considération partisane, devant les explications de spécialistes politiques sur tout ce qui change (pour que rien ne change !), les rodomontades d'une opposition complice, les votes d'intérêt, l'acceptation à tous les échelons de la société d'une pure logique d'enrichissement (peuple de Guizot en puissance), le social comme trompe l'œil d'une paupérisation à grande échelle, devant la collusion des partis de gouvernement pour en finir avec les humanités, devant tout cela : la littérature. La littérature comme refuge, non sur le mode de la défense, du repli, de la mélancolie geignarde, mais comme joie, bonheur, transgression, lucidité, extension du domaine de la vie. Alors c'eût pu être Bossuet, La Rochefoucauld, Chateaubriand, Stendhal, Proust... Mais, hier, c'était Giono. Giono qui, entre 1936 et1939, traduisit le Moby Dick de Melville, Giono dont la préface nous éclaire au delà de la seule question littéraire. Et voici, comme une réponse (parmi d'autres) au temps présent :

     

    "L'homme a toujours le désir de quelque chose de monstrueux objet. Et sa vie n'a de valeur que s'il la soumet entièrement à cette poursuite. Souvent, il n'a besoin ni d'apparat ni d'appareil ; il semble être sagement enferme dans le travail de son jardin, mais depuis longtemps il a intérieurement appareillé pour la dangereuse croisière de ses rêves. Nul ne sait qu'il est parti ; il semble d'ailleurs être là ; mais il est loin, il hante des mers interdites. Ce regard qu'il a eu tout à l'heure, que vous avez vu, qui manifestement ne pouvait servir à rien dans ce monde-ci, traversant la matière des choses sans s'arrêter, c'est qu'il partait d'une vigie de grande hune et qu'il était fait pour scruter des espaces extraordinaires. Tel est le secret des vies qui parfois semblent nous être familières ; souvent le secret de notre propre vie. Le monde n'en connaît jamais rien parfois que la fin : l'épouvantable blancheur d'un naufrage inexplicable qui fleurit soudain le ciel de giclements et d'écume. Mais même, dans la plupart des cas, tout se passe dans de si vastes étendues, avec de si énormes monstres qu'il ne reste ni trace ni survivants "et le grand linceul de la mer roule et se déroule comme il faisait il y a cinq mille ans"(1)"

                                 Jean Giono, Pour saluer Melville (1941)

     

    (1)Herman Melville, Moby Dick