usual suspects

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

intime

  • Le prix de la mise en scène

    Alors que le but essentiel des politiques est l'exhibition (avec toute la connotation qu'on admettra par un détour en anglais), on rira de la soudaine discrétion du normal président en vacances et plutôt qu'une énième raillerie, ces quelques lignes de Michaël Foessel en guise de viatique...

     

    "On pense souvent que l'intime est le "caché", nous préférons dire qu'il permet de suspendre tout jugement extérieur sur ce qui s'y trouve élaboré. Pour exister, l'intime doit échapper aux regards : c'est une manière de signifier qu'il est soustrait à la compétence sociale. Or, on peut précisément juger des "amours" que les politiques et leurs communicants imposent à notre attention, puisqu'elles sont exhibés pour convaincre l'opinion de l'humanité de leurs protagonistes. Il ne s'agit pas ici de "pipolisation" du politique, mais de celle de l'intime qui se trouve relégué au range de valeur monnayable sur le marché de la concurrence sondagière. Dans les pages qui suivent, les mises en scène de soi des politiciens serviront de fil conducteur. Mais il est clair qu'elles manifestent bien autre chose que l'idiosyncrasie narcissique de quelques hommes publics contemporains. Elles expriment, sinon une incapacité à aimer, du moins une impuissance à représenter l'intime hors de toute colonisation par la marchandise.

    Cette impuissance n'est le seul fait des politiciens fascinés par le monde du show-biz, elle est caractéristique de l'idéal de transparence qui règne aujourd'hui presque sans partage. Les exhibitions un peu bouffonnes des hommes publics ne sont donc qu'un élément parmi d'autres d'une difficulté spécifiquement contemporaine à envisager l'intime autrement que sur un mode ironique. Elles présentent cependant l'intérêt de poser le problème dans le cadre où nous voulons l'examiner : le rapport entre la privatisation de l'intime et l'état de la démocratie. Un monde sans intimité est un monde où les réserves de protestation s'amenuisent. L'édification d'un tel monde n'est pas sans conséquences sur les liens éthiques, y compris institutionnels, entre les individus. Même si ce n'est pas pour les raisons que l'on avance (et qui tiennent dans la formule "privatisation de l'espace public"), la démocratie ne sort pas indemne de la dévalorisation sociale de l'intime.

    Bien sûr, il ne s'agit pas de n'importe quelle démocratie, mais de sa forme contemporaine qui implique toute une dimension sensible. La démocratie "sensible" n'a rien de sentimental. On ne peut ignorer ni le poids des procédures, sans lesquelles la représentation sombre dans l'idéal fusionnel, ni les finalités sociales, sans lesquelles la démocratie cède à l'abstraction des droits individuels. Mais on verra que l'occultation de la dimension sensible de la démocratie a un prix institutionnel aussi bien que social. Le sentimentalisme outré n'est que le revers de l'insensibilité aux injustices : ce sont à deux figures bien connues de l'impuissance du politique."

    Michael Foessel, La Privation de l'intime, Seuil, 2008