On pense parfois que là où il n'y a que procédé factice (et l'art contemporain pullule de ces trucs, de ces gimmicks) on ne retirera rien d'important. On passe devant, distrait ou agacé, en se disant que les artistes d'aujourd'hui sont de ceux ayant le mieux compris les enjeux de la loi du marché (même si ce phénomène, Baxandall, dans L'Oeil du Quattrocento, en identifie la très ancienne détermination). Il n'empêche que parfois, un de ces coups faciles porte.
On Kawara a commencé ses date paintings en 1966. Le principe en est simple. L'artiste inscrit sur un fond monochrome, le plus souvent noir, la date à laquelle il a peint sa toile. Chacune est accompagnée, si vous en achetez une, d'une coupure de presse attestant de la véracité (?) de l'entreprise.
Il n'y a ni beauté ni effet spectaculaire dans ces œuvres mais elles viennent pourtant à la rencontre de notre propre histoire, percutant la chronologie que notre vie s'est constituée, entre les jours qui ont passé sans qu'il en reste rien, et les points nodaux sur lesquels se précipite (à la fois mouvement et processus quasi chimique) notre esprit. Dès lors, face au jeu d'On Kawara, nous sommes entre la recherche, souvent vaine, d'un souvenir que ressusciterait la toile, et la crainte que les hasards d'une exposition rencontrent l'advenu en nous dont nous ne nous sommes jamais dépris. Car, alors, nous ne manquerions pas d'osciller, balancier et défaillance, devant ce partage incongru, exposé, visible, de ce que nous avions cru faire nôtre, vaniteux et fragile.
Ce serait un peu comme d'entrer dans le cimetière d'un village espagnol perdu et d'y trouver, près de l'entrée, gravée sur un marbre noir, en lettres dorées cette fois, la date d'un décès qui n'en est pas moins celle de notre naissance.