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Bertrand Redonnet, Carto-(ro)mancier en mouvement (à propos de Géographiques)

Ils devisent, autour d'une table, d'un repas, non pas comme des socratiques qui voudraient chercher raison, mais habités d'une jovialité qui rappellerait plutôt les personnages de Boccace ou de Marguerite de Navarre. Cependant ce ne sont pas des histoires qu'ils racontent, des fictions. Ils évoquent leur pays, hors toute ferveur bassement nationaliste. Mais qu'est-ce que le pays ?

À mille lieues des bouffeurs de poussière et de mirages (il n'est pas l'homme de la Patagonie, des terres australes ou de l'équateur, pour faire joli. Tant mieux : les voyageurs démonstratifs me lassent). Bertrand Redonnet choisit le proche, le simple, le détail. Ses Géographiques sont d'abord le maillage du souvenir, le tissage d'une transition qui nous ramène à l'origine : origine des lieux et origine des mots. L'étymologie fera partie de l'aventure. Le texte est bien aussi ce croisement des abscisses et des ordonnées, des latitudes et des longitudes de la langue. Mais l'auteur évite soigneusement l'écueil de l'érudition impressionnante, de la somme qui signe sa présence. Tout mot, s'il mérite une histoire, et la sienne en premier, n'est qu'une relance pour une remontée de chair et de souffle. Les considérations climatiques, météorologiques ne sont que pré-textes, appuis poétiques pour la résurrection des beautés du monde. Et celles-ci apparaissent dans la source de l'être. Ce qu'échangent les personnages n'est pas la prévalence leur propre parcours mais l'envie d'en faire connaître la rêverie.

La construction dialogique, soit : une certaine forme de désordre, nous renseigne sur le besoin que nous avons d'entretenir la parole pour que l'individu ne disparaisse pas. Chaque interlocuteur ne vient pas avec son cheminement seul. Il roule son passé et semble se redécouvrir dans le mouvement même de la parole. Voilà ce qui, plus encore que les images surgissantes, métaphores et métonymies (que je suis bien d'accord avec lui quand il la place au-dessus de tout !), porte la poésie de Bertrand Redonnet : cette tension contradictoire de ceux qui disent, à peine visibles et pourtant fondus dans le paysage dont ils habitent encore les secrets. Les lecteurs habitués aux textes courts publiés sur son blog, y retrouvent cette légèreté du trait qui le caractérise : la retenue.

Parlions-nous de personnages ? La dénomination convient-elle ? Et l'histoire ? Le fil conducteur ? Dans la cartographie générique de la littérature, cet hégélianisme sclérosant, Géographiques est une transgression. Le discours de chacun, son dis-cursus, détour(nement) de la parole singulière, n'a pas besoin de tout l'appareillage des ordres littéraires. Il parle lui-même de divagations. Peut-on parler également de vagabondages. Rien de formaliste, en somme, parce qu'alors il y aurait un début, un milieu, une fin. Double fin : finitude et finalité. Or l'écrivain veut que de ces rencontres il n'y ait nul épuisement. Elles sont exemples, sorte de gai-savoir sans doctrine. Géographiques, jusqu'au choix de l'adjectif plutôt que le substantif, ne donne pas un définitif à l'espace. C'est une incitation à faire notre propre chemin. Tant mieux.

Pour l'heure, l'auteur vit en Pologne. Il clôture d'ailleurs sur «cette terre (qui) parfois oublie tout d'elle-même et plonge dans un coma livide. Un coma qui vous regarde avec le blanc des yeux. Un coma sans prunelles et sans paupières». Mais lui regarde, toujours, persistant : «les deux élans promènent alors leurs mélancolies erratiques». Dernière image du livre. Par un glissement polysémique subtil, le lecteur saisit ce qui fait peut-être l'essence de ce beau livre : une nostalgie discrète qui se refuse à l'inertie.


Bertrand Redonnet, Géographiques. Divagations. Le temps qu'il fait, mars 2010

 

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