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Regard au sol

Disons-le sans ambages : la Basilique Saint-Pierre de Rome n'est pas le lieu le plus spirituel qui soit. Il ne s'agit pas de dire qu'on ne puisse pas y faire la rencontre de Dieu ou que le recueillement y soit impossible. Mais l'ampleur architecturale engloutit celui qui vient, impressionné qu'il a déjà été d'avoir remonter la via della Conciliazione, saignée grotesque et fasciste, prouvant une fois de plus combien l'organisation de l'espace est une question essentiellement politique.

Le gigantisme n'est pas le meilleur moyen d'atteindre à l'intimité de la foi et l'intérieur, dans la démesure d'une volonté mêlant la théologie et les impératifs d'un pouvoir auto-désigné, est une grosse boîte dans laquelle le murmure accumulé des croyants, des visiteurs, des touristes et des esthètes (ceux-là n'ont pas grand chose à contempler qui puissent vraiment les bouleverser, sinon la Pietà de Michel-Ange que protège désormais une vitre blindée depuis qu'un fou furieux est allé à sa rencontre à coups de marteau (1)) donne l'impression d'être dans un hall de gare. L'émerveillement n'existe pas, le souffle est absent. Il est presque symptomatique que le Bernin, si brillant, si touchant (2), se perde dans un Baldaquin prétentieux et massif. Tel est, d'ailleurs, le sentiment qui fait son chemin, quand on circule entre les piliers de l'édifice : de se retrouver dans une sorte de cabinet de curiosités, devant lequel l'esprit s'étonne, sans plus. Le pied de saint Pierre usé par les mains des pèlerins, la colombe du saint Esprit perchée dans les hauteurs et dont vous apprenez qu'elle un mètre soixante-dix d'envergure, l'enchaînement des tombeaux pompeux : Innocent VIII, Paul III, Urbain VII, Alexandre VII, au choix, et dans le désordre. On peut ainsi faire une visite du lieu, comme d'une composition en puzzle d'éléments qui, déjà pris à un par un, manquent de grâce, mais, assemblés, font fourre-tout d'une puissance actant sa présence. Et, actant sa présence, en souligne l'absence. On voudrait que nous nous élévions et rien ne nous y incite.

Mais le grotesque atteint son summum lorsque dans la nef centrale l'œil contemple le pavement. On découvre alors à intervalles irréguliers des marques, avec des inscriptions en latin. Vous êtes alors non loin du chœur et progressivement vous allez vous reculer pour aller vers la sortie. Ces marques sont les repères qui indiquent à quel endroit s'arrête telle ou telle grande église de la chrétienté. Ainsi, et nous l'avons tous fait, moi le premier, nous nous lançons dans une sorte de jeu du qui a fait mieux que l'autre et, un peu comme un classement de hit-parade, nous engageons nos pas sur le chemin à rebours du top ten des plus grands édifices, dont nous connaissons le vainqueur, puisque nous y sommes (3). Cet amusant concours au ras du sol surprend et moi qui ne crois pas je me demande ce que le croyant, lui, peut y lire : la grandeur du lieu fait-elle la profondeur de la foi ? La masse est-elle le signe de la vérité théologique ? Que la maison papale s'amuse à ces évaluations quasi potachiques étonne. On est dans un lieu qui devrait se suffire et tout à coup il faut penser à un ailleurs, à des ailleurs, minorés, ramenés au rang de faire-valoir. La rêverie, mélange d'abandon et de sérieux, s'envole. Et rêver, justement, avec l'attendrissement du souffle, c'est dans d'autres écrins romains que cela sera possible : à Santa Maria in Cosmedin, à San Giorgio in Velabro, à San Clemente, par exemple...

(1)Ce qui fait un point commun entre Michel-Ange et Marcel Duchamp dont l'urinoir a subi le même sort. Mais c'est un rapprochement purement factuel parce qu'il ne nous aurait pas déplu que l'escroquerie du second finisse en morceaux.

(2)Pour être touché par la grâce de son art, il faut aller à la Villa Borghese admirer son David au visage tendu, sa Proserpine tout en chair. Surtout : se rendre à Santa Maria della Vittoria où Sainte Thérèse d'Avila vous bouleverse de sa beauté extatique à un point qu'on se demande comment l'Église ne lui a pas fait un sort plus que funeste.

(3)Quoique ce ne soit plus exact puisque la Basilique de Yamoussokro, en Côte d'Ivoire, a désormais pris le dessus. Copie de Saint-Pierre, sa construction a été décidée par Houphouët-Boigny, le premier président du pays.


 

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