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12-Approches...

"À l'aveugle" est un ensemble de douze photographies de Georges a. Bertrand, que celui-ci m'a envoyées sans la moindre indication. Il s'agit d'écrire pour chacune un texte dans ces conditions d'ignorance. Une fois achevé ce premier travail il me donnera les informations que je désire, et j'écrirai pour chacun de ces clichés un second texte : ce sera la série "À la lumière de..."

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Sept chevelures, qui suppriment toute identité. Plus encore que l'uniformité des habits. Ils sont, soudain, comme ces personnages de tableaux anciens, nécessités par l'angoisse d'un décor livré à la seule nature. L'homme, là, et pourtant disparu, absent.

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Netteté des vêtements : petit pull sans manches et chemises rayées. Tous pareils. Employés d'une entreprise, conformes. Souvenir d'une rigueur anglaise (est-ce l'Inde ou le Pakistan ?), quelque chose qui fait soudain penser au cricket. Et puis la rue, les papiers de la rue, toujours... Pays émergent... émergeant de quoi ?

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J'imagine : penché au-dessus de la rembarde, à crier pour qu'ils lèvent tous la tête, et que je les vois. Possible. Mais en faisant ainsi (c'est-à-dire : je crie "eh ! Vous ! Oui, vous !" ; je les hèle, comme de vulgaires agents de ma volonté), je les annule de toute leur singularité. Leur visage enifin visibles n'est plus leur identité, mais mon désir de leur en attribuer une.

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Qu'est-ce que l'odeur dans une photographie, lorsque celle-ci ne montre pas justement un élément qui nous ferait penser que... Or, il traîne dans ce cliché des effluves, comme si la saleté du sol, les choses indistinctes posées sur le capot, nous plongeaient dans un puits de courants gras ou épicés. Ce serait, à l'endroit où nous sommes, recueillir un échantillon saturé de la vie urbaine. Puanteurs oxydées (par le simple fait de ramener l'expérience des narines aux taches de rouille : en pleine ville mais avec la possibilité rêvée d'un bord de mer, d'une salinité de l'air capable de nous sauver de la nausée). Puanteurs bitumées des villes gonflées par l'illusion de notre fin de siècle. Puanteurs grasses de cuisine qui sortent à la rue, confondant l'intérieur et l'extérieur, comme si nous avions l'estomac plein d'en avoir trop vu.

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Si, considérant la rambarde en une ligne de repère (laissons de côté les discussions sur sa linéarité légèrement capricieuse), j'ajoutais en surimpression une portée musicale, je ferais de ces têtes inconnues, chevelure d'un noir de jais, des notes, et j'aimerais alors qu'à partir de ces sept notes, et seulement celles-ci, dans une progression qui lui appartiendrait, selon des motifs et des répétitions sortis de sa volonté, un musicien compose un thème, une mélodie qui aurait la force d'évoquer la pause de midi, dans la rue sale, papiers qui traînent, détritus, traces d'huile, caillasse même infime et toits rouillés de véhicule. Une ritournelle qui soit capable de rappeler qu'aussi haut que soit le regard il ne peut effacer la quotidienneté âpre de nombre d'existences... 

 

 

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