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Béraud, à vif

 

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À l'heure, si proche, où le Fils apparaît, une pensée pour le père. Non pas celui qui est aux Cieux, à la fois terrible et miséricordieux, et dont l'existence est un pari (parfois grandiose, souvent assassin) mais le commun, le mien, le vôtre, celui de chacun, avec lequel nous avons eu, qu'il fut présent ou absent, vivant ou mort, vivant puis mort, à partager, malgré nous, malgré lui. Celui dont nous héritons, comme nous héritons de nos mères.

Pour y penser, laissons Rousseau, Proust, Gide ou Sartre... Prenons Béraud. Il fait partie de cet enfer littéraire qu'il faut pourtant connaître. Je n'en suis pas un spécialiste. L'ami Solko est en la matière intarissable : c'est donc que le lecteur présent ira assouvir sa curiosité. (1)

Béraud écrit Qu'as-tu fait de ta jeunesse en 1941. L'ouvrage est commencé durant une nuit qu'il ne veut pas perdre à Rome (ce qui le rend plus cher encore). Ecrit de circonstances, peut-être, mais qui va se poursuivre.La plume se délie et ce sera l'enfance, l'adolescence et la jeunesse, jusqu'à la veille du conflit de 14. Le style est une délectation. Les portraits vifs sont dignes de Daumier. Le moindre figurant d'une vie qui file a droit à son trait, à sa marque. Beraud ne s'attarde pas. Il ne veut entrer dans le détail. Il a entrepris de nous donner moins le sens des faits que leur évanescence et leur fluidité dans une course qui croise Albert Londres ou Charles Dullin, entre autres.

Puis il y a le père. Boulanger de la presqu'île lyonnaise, qui voit son marmot vouloir échapper à toutes les conditions, sans jamais le désavouer tout à fait. Le père, qui s'amuse des hésitations plus qu'il ne réprimande. Le fils, parmi toutes ses tergiversations, devient plumitif, assumant "la chronique du Tout-Lyon, organe des mondanités lyonnaises" et pour "cinquante francs par mois", assurant aux Sports, "hebdomadaires des footballers (sic) du Sud-Est, les Dimanches sportifs de M. Bergeret". Voici ce qui suit, dont la dernière réplique, réelle ou fictive, est si magnifique qu'elle se passe de tout commentaire :

 

"Ce fut mon père encore qui vint à moi. Cette fois comme les autres, il fait ce que bien des pères autrement instruits n'eussent point fait. Une fois de plus, je connus la simple grande de son amitié. Il revint un jour avec un journal, mit ses besicles et lut avec attention le récit que j'avais fait de la mort d'un pauvre peintre, dont j'avais suivi le convoi depuis l'hôpital jusqu'à la fosse commune. Il plia le journal et le mit dans sa poche sans un mot.

Le lendemain je trouvai dans ma chambre une table, un encrier, des plumes et trois mains de papier. Dans la pièce voisine, j'entendais le pas égal de mon père. Il entra :

-Voici l'établi, dit-il en posant la main sur la table. Nous verrons l'ouvrier à l'œuvre.

De ses yeux clairs, il me regardait bien en face. Que dire ? Comment le remercier ? Il coupe court à l'émotion, selon sa manière, en mettant d'une boutade les choses au point :

-Si tu décides de te faire évêque ou astronome, il faudra me prévenir quelques jours à l'avance afin que je puisse te procurer le matériel".

 

 

 

 

(1)Je reviendrai sur le sujet de sa condamnation à mort au sortir de la guerre et sur ce qui fonde son bannissement radical. Mais ce n'est pas le sujet ici.

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