J'aimerais bien que l'on se dise des choses, murmure-t-il, des choses... Des choses sans importance, comme des bouts de ficelle qui serviraient à lacer nos chaussures. Pas vraiment pour qu'on aille plus loin, ou plus vite : on peut s'en tenir là, rester sur place et convenir que, par le seul fait de la voix sussurée, on fasse défiler les paysages. Mais pour ce faire, il faut des choses dans la bouche, une nourriture qu'on ne suspectera pas d'être intentionnelle, et de ne jamais tirer les ficelles de ce que tu me diras, de ce que je te dirai, des choses que nous avons vues, toi et moi, ou pas vues, ou cru voir, ou espéré de ne pas avoir vu, des choses, dans un tiroir qui referme mal : les tiroirs de nous-mêmes, les macchabées à tiroirs que nous sommes en passe d'être. Mais pour ce faire, il faut de la matière, où qu'on la prenne, dans le feuillage qui suinte au-dessus de nos têtes, dans l'arrivage du vent qui soulève la poussière, dans l'effacement des signes de la stèle ornant la place, ou bien dans ces choses que je ne saurai jamais autrement que parce que tu me les auras dites, et que je te croirai sur paroles, parce qu'il n'y a aucune raison pour que tu ne m'aies pas menti, je dis bien ce que je dis : parce que je parie plus sur ton mensonge que sur ta sincérité de mauvaise maille, forcément mauvaise puisque tu l'invoques à la moindre incartade dans ce que tu espères que les autres penseront de toi. Donc se dire des choses, avec tout le mensonge qui sied, sans quoi, tout cela ne vaudra pas tripette, pas plus qu'un pavé mal damé, tu m'entends. Ce sont les choses sans importance, les tiennes, les miennes, combinées dans leur effilochage (tu prends deux morceaux de tissus et c'est un texte nouveau...), qui me serviront de viatique.