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Élémentaires...

 

Au delà des goûts d'enfance, il y a des pratiques qui demeurent, une certaine façon de faire, de procéder, qu'on se gardera de montrer en public (le public étant alors la société qui nous veut adulte ou éduqué) mais qu'on retrouve en petit comité ou seul.

Chacun a les siennes. Ce ne sont pas des reprises techniques ou des enfantillages, des manières (comme disait la grand-mère, quand on fait son intéressant ou le Jacques...), mais des restes de soi, d'un soi indétaché du temps perdu (qui ne l'est donc pas tout à fait, perdu), des quasi rituels qui conditionnent le goût à venir : commencer par la partie un peu amère du pain d'épices, croquer les quatre coins du petit Lu, ne pas mélanger son chocolat liégeois mais s'ingénier à une coupe longitudinale géologique, garder la peau du riz au lait pour la fin (faim), préserver la coque meringuée de l'omelette norvégienne, mettre à part le feuillage supérieur couvert de sucre glace de l'éclair pour après...

Il y a des mets (le mot est bien pompeux) qu'on ne mange pas dans l'esprit où ils ont été conçus pour leur consommation. Nous contournons la règle de leur composition. Difficile de savoir ce qui, au profond, nous amène à de telles démarches. Est-ce un souvenir ? Une appréciation des textures et des saveurs qui renverrait à une architecture plus ample de notre goût ? Une nostalgie ? Une fronde malicieuse ? Dans tous les cas, l'enjeu est de séparer les éléments, ou, pour le moins, de ne pas (trop) les mélanger, d'en garder le plus longtemps possible la distinction. Comme s'il fallait, en des occasions bien précises, contrer l'autre temps puissant de l'enfance : celui du mélange tous azimuts, de la bouillie. La purée et la viande, la brouillade, la salade de riz, la salade en général.

Terrible, d'ailleurs la salade, où la mère avait toujours ajouté un ingrédient indésirable, que l'on triait et mettait sur le bord de l'assiette. L'opération était fastidieuse et nous valait régulièrement des remarques sur le fait qu'on ne s'amuse pas à table, quand on était rarement aussi sérieux et méticuleux. La salade, c'est peut-être le goût le moins individuel, le plat de tous les restes, de tous les ajouts, le plat des fins de frigo ou des bouffes improvisées, le plat des temps où l'on ne mange pas : on ingurgite. On fait comme tout le monde, on est avec tout le monde.

Avons-nous justement toujours envie de faire comme tout le monde ? Nous avons notre propre partition, aussi, quelque chose que nous ne sommes pas forcément les seuls à faire mais dont nous ne voudrions jamais vraiment nous séparer. Comme maintenant, face à la fenêtre grande ouverte, en plein soleil, poser dans l'assiette, sur le côté, le chou supérieur de la religieuse, petit et glacé de café, manger la couronne de crème au beurre, vaguement écœurante qui ornait le chou inférieur, plus gros, manger ensuite cette volumineuse partie, se lécher les doigts (foin de la barbare fourchette à dessert), attendre un peu, puis, en deux bouchées, deux coups de dents qui le sectionnent par le milieu, en venir au meilleur, au plus précieux, très, parfois trop, sucré, et se dire que la manière de l'avoir mangé, tout à soi, est une part de l'œuvre faite, aussi...

 

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