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À quoi s'en tenir

 

 

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Il eût suffi pour que de cet épisode il ne restât rien dans ta mémoire, tant la banalité des autres au milieu du quotidien a peu de chance de laisser une trace, il eût suffi que l'histoire se déroulât en une autre ville, une autre banlieue. Tu ne l'aurais peut-être même pas vu... Mais non.

Dès lors, dans la chaleur lourde de juin, vers les quinze heures, pendant que tu fumais sur le parking désert une cigarette et que tu devisais avec elle sur l'envie immédiate ou repoussée de descendre vers la ville, et c'était bien cela : descendre, puisque vous étiez sur les hauteurs et qu'à quelques kilomètres, invisible, coulait la Seine, tu le vis arriver, lui d'abord, dans une Renault 14 blanche (mais un peu sale), se garant doucement, sortant tout aussi doucement, la quarantaine, calvitie prononcée et bedaine, pour marcher vers l'entrée de l'hôtel, qu'il n'eut pas le temps d'atteindre parce qu'elle surgit du dernier virage, conduite nerveuse, plaçant son véhicule, une 205 rouge, à côté du sien. Il se retourna. Tu le vis sourire. Elle apparut, leste et frêle, à peine la trente ans, et comme s'il avait fallu compenser, par une discrétion superflue, l'évidence de leurs retrouvailles, il ne l'avait pas attendue, pour, devant la machine, faire les codes divers par quoi il réservait une chambre. Elle arriva près de lui alors qu'il ouvrait la porte. Il s'effaça et le bruit sec du système qui se referme se combina au geste tendre et désiré qui scellait leurs retrouvailles.

Il n'y avait que vous, qui reviendriez à la nuit tombée. Le parking serait plein. Toutes les chambres occupées. Et eux, depuis longtemps repartis vers de mystérieuses demeures.

Les cases impersonnelles du motel à la française pouvaient servir à ces 5 à 7 qu'on imagine souvent en des hôtels discrets et feutrés, nichés dans des rues étroites, dans des centres ville, et auxquels on arrive après bien des ruses. Ici, nul besoin de précaution, sinon l'horaire : un après-midi sans client ni réceptionniste. 

Il n'y avait qu'eux. Silence dans les couloirs, et le vide des clapiers. Le mythe du lieu pour soi seul. L'univers désert. Un souvenir, qui sait ?, de Shining. Une autre forme de frisson. De quoi, logiquement, vous donnez le goût de toutes les audaces, alors que, selon le plus probable, ce n'était qu'une solution de repli et qu'ils prendraient encore cette rencontre dans un Formule 1 comme un danger potentiel.

Le soir, tu considéras cette chambre, semblable à la leur, qui, à bien des égards, héritait de l'aménagement carcéral, dans la modestie des dimensions, la spartialité du confort et le sentiment profond que tu n'étais nulle part.

Alors tu as repensé à eux..

L'amour en zone périphérique, la passion low-cost, une version Z.I. des baisades de Léon et Emma.

Car c'était dans les environs de Rouen, ce qui grava dans ta mémoire cette rencontre sur laquelle tu ne portais pas de jugement moral. L'infidélité n'était pas le sujet mais le lieu. Le lieu en ce qu'il portait malgré lui les stigmates d'un plaisir entravé, en ce qu'y bruissait le regret d'une histoire inaccomplie. Loin de leur trouver pourtant la mièvrerie bovaryste, tu plaignais cette aventure réduite à des rencontres en non-lieu. Il y manquait le charme grâce auquel les souvenirs prennent consistance et s'installent dans le temps, même si l'histoire a déjà pris fin. Que peut-on garder d'un  après-midi dans un Formule 1 ?

Toutes les chambres ne se valent pas même si l'on n'y vient que pour baiser...

 

Photo : Benedetto Bufalino

 

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