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Miroirs (II) : Gerhard Richter, désembuage

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Gerhardt Richter, Selbsportrait, 1996

 

Évidemment on se sent pris au piège. On désirerait passer un doigt ou un chiffon, sur ce qui ressemble à une glace. Il y aurait d'abord une bande (fine s'il s'agit d'un doigt, plus large si l'on est équipé) et le visage apparaîtrait nettement. On saurait à quoi s'en tenir. Et de dire : oui, c'est bien, au moins on va savoir à quoi il ressemble, ce Richter.

Mais il y a ce glacis, humide, semble-t-il, pellicule qu'on connaît bien, le matin, en hiver, après la douche, quand le chauffage vous abstrait de la pièce, pour n'être plus qu'une ombre.

Atmosphère moite et frileuse qui attise le besoin de voir, de se revoir, de se retrouver. C'est la vérification rassurante de l'être récuré.

Tel est le grand paradoxe de cet unique autoportrait de l'artiste. Le jeu du faux dévoilement agace moins par l'afféterie du peintre, qui ferait la coquette, que par l'expérience personnelle du flou hygiénique. L'eau ne lave pas seulement : elle dilue les traits.

Puis, retour au tableau même.

On a beau savoir qu'il n'y a rien d'autre que de la peinture sur une toile ; on en voudrait plus. Et, bien que l'on sache que ce sera prendre la proie pour l'ombre, on va voir ailleurs et l'on trouve des photos de Richter. On vérifie (ou l'on découvre, c'est selon), mais rien n'y fait. La magie, à moins qu'il ne faille parler ici de sortilège, de l'œuvre tient dans cette déception définitive par quoi cet autoportrait refusé, dans son unicité même, on n'en oublie pas la lointaine ressemblance.

Et on y revient, pour lui trouver des similitudes avec ces mauvaises photos de presse ou de caméras de surveillance qui nous informent sur un suspect ou un homme disparu, dont c'est la dernière apparition. 

Et on trouve à cette peau un peu laiteuse, à cette mise stricte, à ces montures banales, des allures d'Anglais travaillant pour un service du MI 5. 

Ou, pourquoi pas, un commissaire européen au sortir d'une réunion bruxelloise.

Ou un banquier.

Mais pas à un artiste. On ne pense pas à un artiste (sinon au pseudo guindé des grotesques Gilbert et George) parce qu'on a des clichés d'artistes dans la tête et cela ne cadre pas.

On ne s'en sort plus, puisque, clairement, moins on en sait et plus on brode.

Le piège.

Le piège de vouloir, en effet, connaître absolument le visage d'un homme qu'on ne rencontrera jamais, dont les traits ne nous disent rien du travail qu'il a mené, et de s'irriter du refus sans conséquence d'être identifiable.

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