usual suspects

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Moyen

 

Klavdij SLUBAN.jpg

Que puis-je être sinon un homme moyen, aspirant à la médiocrité dont les bornes sont définies par les mesures en tous genres, les évaluations les plus absurdes... Quoi que je fasse, où que j'aille, je ne vois que chiffres et estimations auxquels je dois consigner ma vie ou qui m'assignent là à l'effort, ici à la modération. Je suis, selon les cas, sous la barre, au-dessous de la ligne de flottaison.

Je fais la comptabilité de mes contrôles. J'ai rempli les formulaires, répondu aux questionnaires, acquiescé aux sondages. Je n'ai pas à avoir d'idées mais à déterminer une plus ou moins grande conformité à l'air ambiant ; je n'ai pas à avoir d'envies mais à répondre aux lois du marché, à ses fluctuations stylistiques qui masquent le renouvellement comme moteur des profits.

Je suis un homme moyen. L'essence de la démocratie libérale est justement de le promouvoir, d'en faire une classe à laquelle doit aspirer le plus grand nombre. La pondération des opinions et le conformisme des comportements sont mes impératifs. Je suis l'invisible apparu au tournant du XXe siècle, quand Quetelet voulait appliquer à mon existence et à mon devenir des critères chiffrés, pour que la société ait le moins à craindre possible. 

Je suis l'homme indicé, enquêté et donc inquiété, parce que ce que je suis censé apprendre sur moi est destiné à se retourner contre moi. Le tir croisé et nourri des armes du confort m'amoindrit, le détournement assisté d'un socratisme à fins économiques me piège. Il ne s'agit plus que je me connaisse. Le but ultime est que je sois connu de qui me reste invisible.

L'homme moyen que je suis n'est même pas une figure de cire, mais un intervalle capable de tout contenir d'un monde neutre (parce que neutralisé). Je suis le rêve éveillé d'un enregistrement de surveillance, le souvenir d'une bande passante ; j'ai la forme d'un hologramme bleuté 3x5 mètres, dans un musée d'art moderne ; j'ai la virtualité d'une option d'achat ; je suis une décote dans un imaginaire déclinable en cinquante versions.

Ma médiocrité est celle de la terreur réinvestie en jeux du cirque. Je suis libre de croire ou de ne pas croire ; je cherche seulement à coller à mon environnement. 

Je suis l'homme moyen attendu au columbarium, en cendres. Je suis sans terre, sans territoire, sans tombe...

 

 

 

Photo : Klavdij Suban

Les commentaires sont fermés.