Etre ou ne pas être Charlie ? Est-ce une question ? Oui, une vraie question. Ou plutôt : était-ce la juste parole, celle qui répond à la situation et qui rend vraiment hommage à ceux qui sont morts ? Dans les deux cas, c'est non.
Le barnum des grandes huiles se prépare à Paris et le prétendu peuple de France s'apprête à suivre, républicain, uni et en partie lobotomisé. Lobotomisé, oui, parce qu'il viendra, comme à Carpentras, comme en 2001, comme en 2002, se soumettre à l'émotion sans le politique. La foule viendra dire qu'elle est Charlie, viendra se recueillir sur un journal qui avait du mal à boucler ses fins de mois, qui était critiqué par tous, que l'on trouvait excessif, vulgaire, provocateur, et qui fut, rappelons-le, peu soutenu, ou soutenu du bout des lèvres quand on levait une fatwa contre lui, quand les représentants des organisations musulmanes le traînaient en justice. Ils seront d'ailleurs dans les cortèges, avec du sang sur les mains, mais visiblement cela ne dérangera pas le pitre kafkaïen qui nous gouverne et son orchestre.
Je ne suis pas Charlie, parce que je trouve indécente cette formule. Je la trouve commerciale et facile, tout juste bonne à faire des tee-shirts et des fonds d'écran. C'est une des raisons qui me poussent à rester chez moi. Parce que Je suis Charlie est consensuel et vide. Elle permet d'oublier, de nier ce pour quoi les dessinateurs du journal ont été massacrés. Non pas parce qu'ils travaillaient à Charlie Hebdo, mais parce qu'ils avaient caricaturé Mahomet et que pour certains, cela mérite la mort. Le point de départ de toute la tragédie est là. Je serais venu si, à la place de la formule vide, il avait fallu brandir les caricatures incriminées. On serait revenus aux sources, on se serait comptés, on aurait été vraiment dans la résistance.
Je ne suis pas Charlie parce que Charb et sa bande étaient bien plus que Charlie et qu'ainsi que l'a dit sa compagne ceux qui les traitaient d'islamophobes sont coupables et qu'un certain nombre d'entre eux, à commencer par Boubakeur et le CFCM, seront dans les rangs. Je suis Charlie n'est pas à la hauteur du respect qu'on doit à ceux qui sont morts.
Venir avec les caricatures aurait signifié que nous prenions tous une part de la charge qui les a tués et que nous imposions à ceux qui jouent l'ambiguïté sanglante de se découvrir. Cela ne se fera pas. Ce que l'on présentera comme une victoire de la liberté et de la démocratie est de facto une défaite...