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Chambre 19

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 Il y a les chambres d'hôtel que nous choisissons pour la vue et, d'une certaine manière, elles n'ont de grâce que dans l'échappatoire de cette fenêtre qui en fait tout le prix. Nous y trouvons un bonheur paradoxal où se mélangent le plaisir d'être en ce lieu et de pouvoir le fuir. Le corps demeure entre quatre murs et l'esprit est déjà loin. C'est une ligne de montagne, une vallée que l'on surplombe, la mer. La mer surtout, ce qu'Alain Corbin appelle si bien "le désir du rivage".

Il peut aussi arriver que la beauté soit la chambre elle-même. C'est souvent une question d'histoire, de patrimoine et d'un sens aigu de l'aménagement. Le propriétaire a magnifié l'endroit, sans doute pour que nous y vivions une expérience. C'est très tendance et renvoie à cette feinte passion pour le passé que l'on ripoline, que l'on rénove pur conférer un semblant d'authenticité.

Mais tout cela n'est qu'une écume, parce que, le plus souvent, la chambre d'hôtel est à l'image des circonstances qui nous ont obligés à nous y retrouver. Le travail ou la nécessité. Elle n'est pas un désir mais un élément parmi d'autres dans le puzzle des déclinaisons quotidiennes. Elle est défraîchie, standardisée, kitsch ; elle est sombre, froide, affreusement colorée, avec une odeur de renfermé. Nous courons presque aussitôt à la fenêtre chercher un réconfort, une lueur d'espoir. Mais ce n'est pas mieux. Notre œil se heurte à un mur : des briques, ou une peinture grise, écaillée, ou bien la rue est hideuse et l'immeuble en face a poussé comme un chancre dans les années 50. Parfois, c'est un square à l'herbe pelée où s'égosille la marmaille. Rien à espérer. Et nous nous retournons vers cette boîte désespérante pour chercher les commandes de la télévision accrochée au mur. Zapping, allongé sur le lit. Il est six heures. Le soir tombe. Nous irons manger bientôt. Nous reviendrons le plus tard possible. Repas seul ou collégial, et vers les onze heures nous reprendrons le défilé en sourdine des programmes creux. Avant de nous coucher, nous jetterons, en écartant les rideaux de velours rouge, un regard sur le dehors exécrable, comme si nous attendions que la somnolence et la banalité du jour se métamorphosent. La nuit passée, nous referons le même geste inaugural. Vainement. Rien ne change, rien ne peut changer.

La fenêtre de cette chambre-là, quand il n'y a justement rien à voir, aimante notre attention, dans un mélange d'ennui et d'assurance, parce qu'une phrase nous traverse l'esprit : "Heureusement que je ne vis pas ici". Nous ne guettons rien ; nous voulons nous donner des raisons d'être bien à l'endroit que nous appelons le chez-nous. C'est peut-être le seul bénéfice existentiel à tirer de ces quelques nuits où nous nous trouvons à l'écart partout, dedans et dehors...

 

Photo : Philippe Nauher

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