Les chemins ne se croisent jamais mais ils viennent à la rencontre du voyageur. Et toi, tu es attentif au croisement devant lequel tu te trouves. Tu aimes ce hasard déroutant d'histoires : parfois une chevauchée picaresque, parfois une comptine...
Tu remplis la perspective délacée des axes, selon une grâce divinatoire et défaillante. Vers ici est l'aventure, la cadence avancée de la menace ou l'irritable suspicion du décor. Vers là tu paries pour le silence et la trace lente qui file vers la mer.
Tu croises des chemins : ce sont les tissus de ton quotidien et ceux des grands desseins. Tu aimes leur imprécision bombée, les nids de poule, les beaux rapiéçages goudronnés quand il a plu, la grâce du talus incertain qui sait ménager des ornières.
Au croisement, ni droite, ni gauche : à l'orientation bornée tu substitues ton intuition aisément défaite par la gravité de tes pas fatigués, mais tu conjures la faute par avance d'un amour pour ce que tu aurais pu ne jamais connaître.
Tu ne fais pas à ta guise. La main si grande des chemins dont tu ne peux discerner l'inventivité (tu le pressens. Elle imprègne la géographie de ta précarité), te délivre sa bénédiction. Tu le sais et tu t'obstines.
Photo : Roger Ragonneau