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  • Huysmans, noir brillant

    L'événement littéraire de l'année qui s'achève est la parution des romans de Joris-Karl Huysmans dans la collection de la Pléiade. Il n'y a pas que Michel Houellebecq que cette nouvelle ravit. Le très fin-de-siècle écrivain n'aurait sans doute pas laissé la même trace s'il s'était contenté de suivre jusqu'à la mort les boursouflures naturalistes en se réduisant à n'être qu'un épigone du sinistre Zola.

    Heureusement pour lui (et pour nous), son destin croisa d'abord une certaine forme de scepticisme littéraire avant d'aborder les contrées de la foi. Ce fut le temps inauguré par le célèbre A Rebours, avant d'aller jusqu'à La Cathédrale ou L'Oblat, en passant par Sainte Lydwine de Schiedam. Ecrivain magique et éclairant bien au-delà de son époque.

    En ces dernières heures de l'année, offrons aux désireux du ventre plein et de la joie orchestrée un moyen de se réjouir, à la façon de l'excentrique des Esseintes (1), parce qu'il y a bien quelque chose de funeste dans ce qui nous entoure. Un repas tout en noir.

     

    "Il s'acquit la réputation d'un excentrique qu'il paracheva en se vêtant de costumes de velours blanc, de gilets d'orfroi, en plantant, en guise de cravate, un bouquet de Parme dans l'échancrure décolletée d'une chemise, en donnant aux hommes de lettres des dîners retentissants un entre autres, renouvelé du XVIIIe siècle, où, pour célébrer la plus futile des mésaventures, il avait organisé un repas de deuil.

    Dans la salle à manger tendue de noir, ouverte sur le jardin de sa maison subitement transformé, montrant ses allées poudrées de charbon, son petit bassin maintenant bordé d'une margelle de basalte et rempli d'encre et ses massifs tout disposés de cyprès et de pins, le dîner avait été apporté sur une nappe noire, garnie de corbeilles de violettes et de scabieuses, éclairée par des candélabres où brûlaient des flammes vertes et par des chandeliers où flambaient des cierges.

    Tandis qu'un orchestre dissimulé jouait des marches funèbres, les convives avaient été servis par des négresses nues, avec des mules et des bas en toile d'argent, semée de larmes.

    On avait mangé dans des assiettes bordées de noir, des soupes à la tortue, des pains de seigle russe, des olives mûres de Turquie, du caviar, des poutargues de mulets, des boudins fumés de Francfort, des gibiers aux sauces couleur de jus de réglisse et de cirage, des coulis de truffes, des crèmes ambrées au chocolat, des poudings, des brugnons, des raisinés, des mûres et des guignes; bu, dans des verres sombres, les vins de la Limagne et du Roussillon, des Tenedos, des Val de Pefias et des Porto; savouré, après le café et le brou de noix, des kwas, des porter et des stout.

    Le dîner de faire-part d'une virilité momentanément morte, était-il écrit sur les lettres d'invitations semblables à celles des enterrements."

     

    (1) Lequel extrait est déjà dans Off-shore, ici, dans un autre contexte.

  • Ego te intus et in cute novi

    Il n'y a pas de mot pour ça. La cylindrée de dictionnaire le plus complet est trop faible. D'ailleurs, ce ne serait pas pour le dire que tu irais feuilleter le répertoire de tous les mots de la langue, mais pour te le dire, à toi seul, dans le secret du murmure. Pouvoir lui donner un nom (peut-être pas un nom, d'ailleurs, mais un qualificatif, ou un adverbe, qui sait) prenant source dans ton ventre, juste au-dessus du sternum, là d'où tu tires le souffle consistant qui porte ta voix.

    Même dans ce creux, si profond, si abyssal parfois, tu ne trouves pas le mot. Pas même une sonorité qui serait un borborygme ou un sifflement, un avant de la parole.

    Alors, tu vis sans lui, et avec lui, avec et sans ce mot, car ça demeure, chemine toujours en toi. Au milieu des vicissitudes et des bonheurs, des temps morts et des jours sans pause, tu cherches son assomption. Tu le sens dans ton corps, qui se promène, Il chagrine ton sommeil, déconcentre ta rêverie, réveille ton indolence, rudoie ta légèreté, nourrit ton goût pour la vie.

    Il n'y a pas de mot pour ça. Ce n'est pas une inquiétude mais une aberration nourricière par quoi la trame du jour qui suit s'écrit toujours approximativement...