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Tête froide

Il n’y aura pas de messe, personne pour prendre en charge la douleur, lui donner un semblant de distance. Vous serez invités à vous recueillir dans une pièce inhumaine, avant que la crémation commence, qui se déroulera sans vous, et c’est là que, pour toi, le bât blesse. Sans vous. Il sera seul face au feu, glissant dans le four jusqu’à la totale désintégration, seul, livré à la machine, à la technique ardente et économique, dont chacun se détournera pour sortir dehors, restant quelques instants plantés comme des idiots sur le parking, avant de rentrer à la maison. Ni cérémonie, ni sacré. Et le sacré sert justement à accepter ce qui n’est pas de l’ordre du monde, tout en étant dans le monde.

Gain de temps, gain de place. On aura roulé doucement, galéré pour trouver une place parce que ce jour-là, il y a foule dans le quartier et tu ne sais pas pourquoi. On aura proposé du café à Mireille, Paule et Jacques, aux parents de Christophe qui sont venus soutenir ta mère. Et toi, le dernier, tu seras sorti de la pièce maudite, posant une main tremblante sur le cercueil. Voilà. Tu seras sorti le dernier sans trop savoir ce que cela change. Tu t’éternises. Un employé s’approche doucement ; d’un regard étudié, il te fait comprendre que le temps est venu. Tu n’essaies pas de mégoter une rallonge, comme dans l’enfance, quand tu essayais de repousser l’heure d’aller au lit. Tu les rejoins sur le parking. Ils t’attendent. Fabienne fait la moue. Elle doit croire que tu veux te rattraper.

Ni messe, ni cérémonie. Une simple opération. Et le lendemain, vous aurez récupéré l’urne pour la répandre dans un carré vert et ridicule, un si mal nommé jardin du souvenir, où ta mère versera les cendres blanches, fines et légères, blanches à cause du calcium des os, s’envolant à moitié sous le coup des rafales de vent. Alors la pluie se mettra à tomber drue ; tout le monde filera aux voitures, en courant. Parce que tu voudras rester, tu balanceras les clés de la voiture à ta sœur. Tu rentreras par tes propres moyens, tu appelleras un taxi. Sous ton parapluie, tu regarderas le ciel laver la pelouse, réduire les cendres en moins qu’elles-mêmes, en une bouillie infâme, anéantissant en quelques minutes l’apparence d’une vie, dont tu sentiras alors que tu en es l’étrange dépositaire, et ce sera une bien terrible charge que de perpétuer le souvenir de celui que tu as manqué de son vivant… Un jour, plus personne ne parlera de lui, sinon toi peut-être. Les cendres sont noyées. Personne ne saura qu’il y avait, à Saint-Quentin, et à l’usine d’Origny-Sainte-Benoîte, un Momo te faisant visiter l’usine où il travaille, jouant l’obséquieux devant son chef de service, gloussant de la réussite précoce de son aînée qui entre en médecine à seize ans, ajoutant qu’elle a mis la barre haut, sans finir sa phrase, mais tu l’entends, tu as douze ans, tu l’entends ce commentaire inachevé qui jette le doute sur qui tu es, et que, d’une certaine manière, tu confirmeras en décrochant ton bac à dix-sept ans seulement, incapable d’emprunter la voie royale et médicale que l’arracheuse de dents aura pris, elle.

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