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aloysius bertrand

  • Les jeux du sommeil, Aloysius Bertrand

    Le sommeil... Avant-goût de la mort, terreur de ne pas se réveiller ou, à l'inverse, l'insomnie, terreur de ne jamais fermer l'œil.

    Parmi ceux qui ont le mieux traversé cet entre-deux de l'existence, cet autre mystère de la chambre, Aloysius Bertrand, grand romantique, quoi qu'en ait décidé la postérité... (1)

    LA CHAMBRE GOTHIQUE

    Nox et solitudo plenæ sunt diabolo.
    Les Pères de l’Église.

     

    La nuit, ma chambre est pleine de diables.

    « Oh ! la terre, — murmurai-je à la nuit, — est un calice embaumé dont le pistil et les étamines sont la lune et les étoiles ! »

    Et, les yeux lourds de sommeil, je fermai la fenêtre qu’incrusta la croix du calvaire, noire dans la jaune auréole des vitraux.

     

    *

     

    Encore, — si ce n’était à minuit, — l’heure blasonnée de dragons et de diables ! — que le gnome qui se soûle de l’huile de ma lampe ! 

    Si ce n’était que la nourrice qui berce avec un chant monotone, dans la cuirasse de mon père, un petit enfant mort-né !

    Si ce n’était que le squelette du lansquenet emprisonné dans la boiserie, et heurtant du front, du coude et du genou !

    Si ce n’était que mon aïeul qui descend en pied de son cadre vermoulu, et trempe son gantelet dans l’eau bénite du bénitier !

    Mais c’est Scarbo qui me mord au cou, et qui, pour cautériser ma blessure sanglante, y plonge son doigt de fer rougi à la fournaise !

     

                       Aloysius Bertrand, Gaspard de la Nuit, 1842

     

    (1)Mais le lecteur pourra se reporter à un article très beau de Jean-Luc Steinmetz, homme dont je garde, comme étudiant que je fus, un souvenir toujours vivace et admiratif.

     

  • Aloysius Bertrand, le précurseur

    http://www.romantisme.wikibis.com/illustrations/250px-aloysius_bertrand_-po_c3_a8te_fr._281807-1841_29.jpg

    En 1842, un an après la mort de son auteur, Aloysius Bertrand, est publié un recueil de poèmes en prose, Gaspard de la Nuit. Fantaisies à la manière de Rembrandt et Callot. Créateur discret d'un genre auquel Baudelaire donnera une envergure plus grande avec Le Spleen de Paris. Poésie de Bertrand où mélangent la rêverie romantique, la réhabilitation d'une littérature galante du XVIIIe, les échos du gothique (tel qu'il faut l'entendre à travers les romans anglais d'Ann Radcliffe ou d'Horace Walpole), le goût du clair obscur, la rapidité d'une esquisse faite sur le vif. Mélange autour d'une langue tournée vers le passé, dans ses références, dans sa préciosité, et d'une forme promise aux éclats les plus subtils de la poésie française. (a)

    UN RÊVE


    J'ai rêvé tant et plus, mais je n'y entends note. Pantagruel, livre III.

    Il était nuit. Ce furent d'abord, — ainsi j'ai vu, ainsi je raconte, — une abbaye aux murailles lézardées par la lune, — une forêt percée de sentiers tortueux, — et le Morimont (1) grouillant de capes et de chapeaux.


    Ce furent ensuite, — ainsi j'ai entendu, ainsi je raconte, — le glas funèbre d'une cloche auquel répondaient les sanglots funèbres d'une cellule, — des cris plaintifs et des rires féroces dont frissonnait chaque fleur le long d'une ramée, — et les prières bourdonnantes des pénitents noirs qui accompagnent un criminel au supplice.


    Ce furent enfin, — ainsi s'acheva le rêve, ainsi je raconte, — un moine qui expirait couché dans la cendre des agonisants, — une jeune fille qui se débattait pendue aux branches d'un chêne, — et moi que le bourreau liait échevelé sur les rayons de la roue.


    Dom Augustin, le prieur défunt, aura, en habit de cordelier, les honneurs de la chapelle ardente; et Marguerite, que son amant a tuée, sera ensevelie dans sa blanche robe d'innocence, entre quatre cierges de cire.


    Mais moi, la barre du bourreau s'était, au premier coup, brisée comme un verre, les torches des pénitents noirs s'étaient éteintes sous des torrents de pluie, la foule s'était écoulée avec les ruisseaux débordés et rapides, — et je poursuivais d'autres songes vers le réveil.

    (1)C'est à Dijon, de temps immémorial, la place aux exécutions.

    (a)Signalons que Ravel composera, en 1908, de magnifiques pièces pour piano à partir de quelques poèmes de ce recueil : Ondine, Gibet et Scarbo