Au début, lorsqu'on rencontre ce mot sur le site du Monde, on croit à un effet de style, voire à une marque idéologique, une manière de protestation ironique. Mais quand on le retrouve sur celui du Figaro, il n'est plus possible de s'en tenir à cette seule explication et il faut admettre que l'on vient de découvrir une nouvelle acception d'un mot qui, jusqu'alors, vous semblait assez clair. On ne sait pas quand il est apparu, ni qui en est en quelque sorte l'origine. Le monde des affaires ? L'administration ? Peu importe. L'essentiel est qu'il soit là, désormais, dans le paysage.
Cette semaine, j'ai donc appris que le nombre d'exilés fiscaux s'était accru en 2008. Exilés. Il y a bien des années, il était courant de parle d'évasion fiscale, en fustigeant ceux qui, hors de toutes considérations communes, décidaient de préserver leur capital dans des endroits plus appropriés. L'expression certes criminalisait l'action, quand bien même la modicité des contrôles et la limite des moyens alloués aux autorités compétentes laissaient planer le doute sur la volonté politique de juguler le phénomène. Et ce n'est pas l'évolution vers une Europe axée sur la fluidité des transferts monétaires qui allait arranger la situation.
C'est sans doute cette criminalisation de l'acte qui devait heurter. En ces temps d'euphémisation linguistique, il fallait assouplir les dénominations et si les femmes de ménage sont devenues des techniciennes de surface, les aveugles des non-voyants, il était logique que la finance bénéficiât elle aussi d'une compensation, en l'état : une indulgence sémantique. Certes, les présupposés de l'expression évasion fiscale renvoyaient à la représentation du territoire national, et incidemment de l'entité politique qui s'y rattache, comme prison, ce qui n'était guère flatteur. Nous apprenions ainsi qu'il y avait des raisons de fuir au regard d'un système entravant les libertés. Cependant, comme tout évadé, l'évadé fiscal pouvait aussi assumer une part de culpabilité, car, c'est bien connu, celui qui s'évade est d'abord un incarcéré et tout incarcéré doit avoir quelque part une chose à se reprocher. L'histoire classique de la fumée et du feu...
Néanmoins, la dénomination présente oblige à inverser la tendance et ce, sous deux rapports. De l'évasion fiscale à l'exilé fiscal, on glisse du fait à l'agent, c'est-à-dire qu'on humanise la réalité. Ce qui n'était alors qu'une valise passée en douce, un trafic d'écritures, devient un être de chair, avec une vie, des sentiments, une famille etc. Plus encore : l'exil est un acte subi et peu importe qu'il procède d'une volonté propre ou d'une contrainte. Ne s'exile que celui qui ne pouvait pas faire autrement. Les raisons peuvent être objectives ou subjectives : tout cela est secondaire. Prime la souffrance sourde de l'être coupé de son monde. Apprendre que la France produit (?) de l'exilé fiscal revient à en faire une terre liberticide, à poser l'impôt comme une injustice (1). Ainsi des milliers de Français partent-ils, à l'aventure (?), faire fructifier ailleurs leurs intérêts, trouvant des cieux plus cléments. Je me souviens pourtant d'une étude plaçant la France parmi les pays les attrayants. Ce n'est pas suffisant. Il y a des gens qui souffrent que nous ne soyons pas dans la même veine que la tradition libérale dure où chacun se débrouille en conservant pour soi le maximum des fruis de son travail. Voilà les causes de l'exil. Des individus abandonnant une patrie qui les a financièrement trahis. Exilés en Suisse, en Angleterre, en Belgique ou ailleurs. Exilés comme des Cubains fuyant Castro ? Il est sinistrement comique que cette annonce se fasse alors même que le pouvoir a axé sa politique sur une reprise en main de la fiscalité en faveur du capital, sinistrement comique que l'on continue à fuir au temps du bouclier fiscal (2).
Tout à ma mesquinerie sémantique, j'en étais resté à une conception plus classique. L'exilé était un individu qui avait fui une oppression objective, ou bien un relégué qu'un pouvoir violent avait renié. Cela remontait à loin, si l'on pense à Ovide envoyé au bord de la Mer Noire, ce qui nous vaudra de lire Les Tristes. Je pense à Voltaire, à Hugo, à Zola, à Joseph Roth, à Zweig, à Kadaré, Gao Xingjian. La liste est infinie. À ceux qui penseraient que j'ergote, je réponds simplement que l'on choisit ses héros, ses références, ses modèles à l'aune des valeurs que l'on veut promouvoir (3).
(1)Ne parle-t-on pas de la pression fiscale ?
(2)L'expression guerrière et défensive en dit long sur la nécessité qu'il y a de protéger les hauts revenus. On comprend que la vie est un combat...
(3)Question subsidiaire : ces exilés continuent-ils de voter ?