Ce sont de vieux souvenirs d'école, du temps des maîtres qui sentaient encore le hussard républicain, du temps de l'encrier, du buvard, de l'ardoise, de la petite éponge qui finissait par puer horriblement, des contrôles redoutés de calcul mental et des divisions après la virgule, quand on posait six, qu'il y allait quatre, qu'on retenait trois et qu'il fallait donner le résultat au dixième, voire au centième supérieur. Maintenant, les choses sont tout de même plus simples : la calculatrice, qui vous épargne toutes ces souffrances.
Ce que nous avons conservé de ces exercices fastidieux nous sert parfois, rarement, mais parfois. Par exemple : vous êtes à une terrasse et vous lisez dans un journal que la décision des Sages du Conseil constitutionnel, de retoquer la taxation à 75 %, sauve le football professionnel français d'un exode terrible. Ter-ri-ble ! Puisqu'on vous le dit ! Parmi les 1500 qui se seraient mangés l'impôt confiscatoire, 100 footballeurs ! La Ligue 1, passionnante, brillante et survitaminée au qatari et aux investisseurs avides de la baballe, a failli tomber dans une médiocrité désolante, faute d'avoir les cadors dignes d'un pays comme le nôtre ! On ne remerciera jamais assez Jean-Louis Debré, Michel Charasse et leurs acolytes. Alleluia !
À votre terrasse, vous prenez votre note (un allongé et un jus d'abricot) et au verso, avec votre éternel stylo plume, vous rappelant, à trois fois rien près, que la population active française, c'est 27 millions d'hurluberlus comme vous, vous vous lancez dans des calculs proprement eisteiniens.
Lesquels vous apprennent que 30 footeux par clubs de Ligue 1 x 20 clubs, cela nous fait environ 600 gugusses... De là, il ressort que 100 divisé par 1500 = 6,6 %. 6,6 % des menacés fiscaux sont des footeux. Ces footeux représentent 600 divisé par 27 millions = 0,003 % de la population active.
6,6 % d'un côté, 0,003 % de l'autre. Je ne sais pas si les chiffres parlent d'eux-mêmes, vraiment pas, mais devant ce ratio de 1 à 2000 calculé à la louche, on regrette d'avoir des restes d'école primaire et on se commande un martini blanc, sans glaçon, histoire de ne pas désespérer, tout en se disant que si les Français, à commencer par les classes populaires, acceptent cela, en justifiant que les footeux ont une carrière très courte, les mêmes Français qui traquent le profiteur d'un demi-euro, le resquilleur du bus, et jugent avec sévérité les prétendus privilèges (fantasmés souvent) de leur voisin, on n'est pas sorti de l'auberge.
Photo : Charles Platiau/Reuters