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football

  • Ovale ou rond

    Hier matin, parcourant les titres des journaux sur le web, je découvrais (quoique ce ne soit pas une découverte, tant l'affaire est récurrente) que le stade vélodrome de Marseille et que le match contre Lyon n'avait été qu'incidents et ambiance délétère. Bref, la racaille en culotte courte (avec les idées encore plus courtes) avait encore une fois des siennes. Petits voyous de cour d'école auxquels on passe tout...

    Et de me souvenir que quelques heures plus tôt, le dimanche en fin d'après-midi, d'une anecdote de Nouvelle-Zélande/Argentine. Pour un petit croque-en-jambe : geste d'anti-jeu sans méchanceté (1), Richie McCaw avait été expulsé dix minutes. Pour ceux qui ne le savent pas, le sieur McCaw est le recordman des sélections et des capitanats en rugby. C'est le boss des All-Blacks, ce que le journalisme sportif, dans son goût de l'hyperbole, appelle une légende, un mythe. Soyons plus mesuré : c'est une figure. Une faute, un carton jaune et McCaw, sans un mot de contestation, sans un geste d'agacement, sans un regard de colère, obtempère. Tout grand qu'il est, il se plie à la décision qui amoindrit son équipe alors même qu'elle est menée. Et pas un de ses co-équipiers pour venir protester. Transposez l'affaire chez les footeux et tout est dit...

    Il y a évidemment des explications sociologiques, culturelles et aujourd'hui politiques pour expliquer une telle différence de comportement. On les connaît, et l'exaltation de la banlieue à travers la réussite mirobolante de demi-analphabètes à la syntaxe sidérante (ce qu'on pourrait définir ainsi : parler le Ribéry...) n'est pas pour rien dans l'histoire. C'est sans doute là une des plus belles réussites de cette escroquerie prolongée de 1998 et de son drapeau Black-blanc-beur... Passons.

    Osons un autre biais pour éclairer l'outrecuidance du footeux : prétentieux et sournois, râleur et truqueur, quand le rugbyman reste un gentleman même quand, parfois, quelques claques volent entre les joueurs. Serait-ce une histoire de ballon ?

    D'un côté, le ballon rond : parfait, prévisible, avec lequel on peut jongler, étaler sa technique, montrer sa supériorité. À ce niveau, l'homme se sent fort et sûr de lui. L'erreur est ailleurs, le défaut est hors de lui et la faute incombe à deux ennemis intimes : les poteaux et l'arbitre. Les poteaux qui sont ou ronds ou trop ronds, ou trop ceci, ou trop cela ; quant à l'arbitre, inutile d'en parler.

    D'un autre côté, le ballon ovale : d'une forme improbable et inamicale (sauf à le coller au creux de ses bras, mais pas facile d'y arriver). Le rugbyman sait d'emblée que le cuir pourra être glissant et insaisissable, que toute passe est incertaine,  que l'en-avant est le lot de chacun, que le rebond est aléatoire, que le vent joue avec le ballon dans les airs.

    Le rugbyman, aussi habile soit-il, sait que l'humilité est le fondement du sport qu'il pratique. Peut-être est-ce aussi d'être souvent à terre, de goûter le gazon plus qu'il n'en faut et les forces de l'adversaire plus qu'à son tour. C'est justement à travers toutes ces attitudes et ces confrontations que s'exprime une virilité sereine et amicale que l'on ne trouve nullement dans le football. Dans un quinze qui pèse sa tonne et demie, des hommes. Dans un onze qui roule des mécaniques, des adolescents pré-pubères... 

     

    (1)c'est-à-dire qui ne pouvait pas blesser son adversaire.

  • Valls ou la régression infantile

    Les esprits comptables qui voient dans les frasques berlinoises de Manuel Valls une énième preuve de la fracture, voire de la rupture, entre les élites et le peuple, et un énième épisode des libertés budgétaires de ceux qui nous demandent de la rigueur, ces esprits-là n'ont pas tort, évidemment, mais ils manquent ce supplément de consternation propre à cette échappée germano-footballistique.

    D'une certaine manière, j'eusse,à titre personnel, préféré que le sieur en question se fît la belle pour rejoindre sa maîtresse à Lisbonne ou à Palerme. Je n'y aurais vu qu'une liberté adulte dans un emploi du temps étouffant, nonobstant les considérations financières bien sûr. Ce n'était pas plus justifié sur le plan politique que ce qui va nous occuper mais, pour le moins, on aurait le sentiment d'être gouverné par quelqu'un qui, au delà de la fonction, cherche à trouver dans son hyper-activité un moment pour souffler. En l'espèce, nous sommes loin du compte et c'est l'arrière-plan symbolique qui, dans le fond, est choquant, et cela, à deux niveaux.

    Valls s'en va du congrès de son parti (1) pour aller voir un match. Un match phare de la saison, certes, mais qui vaut surtout pour lui, parce que l'une des équipes, le FC Barcelone, est le club de son enfance. Plus encore, le club de ses origines. Ce n'est pas seulement la référence à un quelconque attachement sportif (2) mais la revendication d'un lien que le premier ministre ne veut en aucune façon couper (ce qui peut sur le plan humain se comprendre), et cela, en passant outre le cheminement de sa propre histoire qui l'a fait devenir, et par sa volonté, français en 1982. Cet acte est en somme le premier signe de la régression. En quittant la France pour l'Allemagne, c'est-à-dire en abandonnant sa situation politique hexagonale (premier ministre au cœur d'un débat important concernant le parti au pouvoir), Vals fait un autre trajet qui le ramène en Catalogne, à cette Espagne des origines dont il possède encore la nationalité. La faute de jugement, ou ce que lui-même veut présenter désormais comme telle, n'en est pas une. Bien au contraire. Cet acte est le signe en creux de ce qu'il est : un narcissique infantile dont le désir d'être passe outre toutes les considérations proprement politiques. Il ne faut pas s'y méprendre. Réduire ce voyage au bon plaisir du puissant est une erreur. Ces quelques heures berlinoises dévoilent le politique sous son angle le plus fulgurant : un jeu d'enfant où, le pouvoir réel n'existant plus, le bonheur se trouve dans l'accomplissement de ses rêves d'enfantVals n'est pas allé à Berlin pour voir un match de football ; il y est allé pour joindre son désir profond (et passé) à sa puissance présente.

    Certains s'étonnent, notamment dans l'entourage présidentiel, qu'il ait pu commettre une telle erreur. Raisonnement doublement ridicule. D'abord parce qu'en matière d'infantilisme, Hollande n'a de leçon à donner à personne. Ses amours en scooter, comme un adolescent qui passerait par la fenêtre pour retrouver son premier flirt, sont du même tonneau. Ensuite, parce que la lucidité politique est de facto oblitérée par le pouvoir politique, quand celui-ci se met au service d'un désir aussi fervent. Il ne pouvait pas faire autrement. L'écœurement vient de là, dans ce que cette impossibilité à résister souligne de déréliction au niveau du pouvoir. L'immaturité soudain au vu et au su de tous. Cette hispanité régressive de Vals est bien pire que le passe-droit financier sur lequel on met l'accent. Bien pire, en effet : il est premier ministre du gouvernement français, et comme tel, il se devrait à une certaine réserve. Que dans sa salle à manger, il revêt le maillot blaugranes, grand bien lui fasse ; qu'il file à l'étranger pour changer symboliquement de passeport, voilà qui est bien plus gênant. Et de se demander si, dans l'affaire, la marche consciente vers le pouvoir ne se double pas d'une autre, inconsciente, pour ne jamais abandonner l'origine. Le quidam s'interroge alors : qu'en aurait-il été, au profond ministériel, si la finale avait opposé le FC Barcelone au PSG ? Nul doute qu'on aurait sorti la langue de bois sur la beauté du sport, le meilleur qui gagne, l'importance du beau jeu, etc., etc., etc..

    Cette observation eût été discutable s'il n'y avait pas eu une deuxième articulation dans la régression, et celle-là plus imparable encore. Vals, dans son retour au bercail, a emmené ses fils. On passera sur la parade qui ne résout rien : ils adorent le foot. On s'en fiche. On mettra de côté le coût tant la grandeur de cette République exemplaire est une foutaise. Que reste-t-il alors de si terrible ? Rien moins qu'un père (mais l'air du temps et le psychologisme qui règne dirait : un papa (3)) qui se fait plaisir, fait plaisir à ses garçons, et concrétisant sans aucun doute une promesse, leur montre ce qu'il est capable de faire en faisant le détour par d'où il vient. Cet aller-retour met totalement de côté le caractère public de la représentation politique. Il n'est qu'une histoire privée, une histoire de mecs, de démonstration masculine, par quoi le pouvoir, c'est en avoir, s'en servir au delà de ce qui est admissible. Berlin, pour Vals et ses fils, tient à la fois du pèlerinage (le passé catalan) et de la négation (du présent français). Ce qu'il vient regarder est indissociable du pouvoir qu'il a de donner à regarder. On imagine le souvenir inoubliable pour la progéniture, où se mêlent le goût de la victoire, l'union familiale et l'étalage du pouvoir paternel, comme aux temps très anciens où nous croyions que notre père était capable de tout et qu'il nous protégerait de tout.

    Valls, dans cet épisode qui risque de lui coller à la peau, est dans la monstration et la démonstration. Il est dans le plein désir, et pour ce faire, confond ce qu'il est, comme adulte, avec ce qu'il a été, comme enfant. Et ces enfants, sans qu'il s'en rende compte peut-être, sont le miroir nécessaire à sa volonté de jouissance sans fin. Pas la peine d'être grand clerc pour se dire que le retour à Poitiers a dû le consterner, parce qu'il s'agissait de revenir vers ce pour quoi il a été choisi alors même qu'il venait d'en nier la réalité. Ce n'est pas très rassurant quant à l'avenir...

    Mais l'avenir commun, Valls n'en a cure. On sait désormais qu'il est capable de tout pour satisfaire son désir et nous ignorer. Les Grecs appelaient cela l'hybris. La démesure... Mais les Grecs, comme les Latins, sont des inutiles. Et Valls en sait quelque chose, lui qui soutient la réforme de Valaud-Belkacem...

     

     

    (1)Preuve s'il en est du peu de considération qu'il faut avoir pour ce parti. Pas la peine de jouer la mauvaise foi, ces idiots donnent les arguments pour qu'on puisse en conscience les mépriser.

    (2)Et nous connaissons tous untel qui aime Paris, Marseille, Munich ou la Fiorentina, sans être ni parisien, ni marseillais, ni munichois, ni florentin. C'est un attachement sportif, dont on peut sourire, mais qui n'est pas fondé sur l'attachement au sol, que par ailleurs beaucoup condamnent, notamment ches les socialistes.

    (3)"Le papa", "la maman" : symptôme de l'époque, dans la bouche des psychologues miteux, des enseignants débiles, des journalistes qui cherchent à émouvoir, et des politiques qui veulent être proches...

     

  • Pleine lucarne, songe creux

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    Une certaine France s'en va bientôt au Brésil. La France aux pieds carrés et aux têtes creuses, la France aux trois mots de vocabulaire, la France à l'accent racaille, la France à la suffisance indexée à l'épais matelas bancaire, la France vulgaire et arrogante, la France à l'ego surdimensionné, la France maillot-short-crampons. Cette France-là a gagné, il y a quelques mois, et il n'y a pas de quoi jubiler.

    La saveur de cette qualification miraculeuse, en forme de résurrection morale d'un pays en détresse, permet à certains de ré-orchestrer l'odyssée black-blanc-beur de 98. Ce moment-là fut un cap dans la course éperdue à la débilité culturelle et politique. D'avoir exploité jusqu'au trognon l'hystérie footeuse, d'avoir vu des politiques, à commencer par Chirac et son ridicule maillot floqué, se pavaner comme des dindons à la suite des victoires d'une équipe par ailleurs d'une grande médiocrité, d'avoir entendu des intellos (de gauche, évidemment de gauche...) indexer leurs théories sociologiques sur les dribbles de Zidane, les courses de Thuram (devenu depuis un phare de la pensée francaise...), l'esprit de responsabilité de Deschamps, d'avoir vu, entendu et lu tout cela nous prépare à un remake savoureux, si, par le plus grand des hasards, l'équipe nationale allait loin (et la tâche n'est si difficile : les Suisses, les Équatoriens et les Honduriens ne sont pas des terreurs).

    On pourrait alors réentendre ce discours de la France qui gagne et donne du plaisir au citoyen, ne serait-ce que pour servir d'agent masquant du réel (un de plus, il est vrai : après le mariage pour tous, la baballe pour tous). Ce sera pratique d'user de ce discours grotesque qu'on nous a imposé. Le profil d'un pays, sa physionomie morale et politique se jugent à sa représentation non législative mais footballistique (c'était bien de cela qu'il s'agissait en 98, non ?), à sa vitalité sportive, non à sa respiration démocratique. Et donc tout va bien, ou du moins : pendant quelques semaines, tout ira bien.  

    On pourrait gentiment ironiser sur ces célébrations d'une crétinerie abyssale. Mais comparaison n'est pas raison. C'est un simple jeu de retournement n'ayant pour seul but que de rappeler cette évidence : l'idiotie comme philosophie pour attraper les masses présente des risques, à commencer par ce qu'on appelle l'effet-boomerang.

    Quand on monte aux cieux nationaux des footeux incultes (et ceux d'aujourd'hui sont magnifiques : les regards bovins de Giroud, Matuidi, Nasri ou Ribery sont exemplaires) à des fins idéologiques, il n'est plus possible d'empêcher quiconque de reprendre la balle au bond. Marion Le Pen le fait, sans difficulté : elle préfère le bleu, blanc, rouge au black, blanc, beur. En ethnicisant en 98 onze paires de guibolles, certains, encore en place d'ailleurs, ouvraient la boîte de Pandore. En ne circonscrivant pas la réalité sportive aux limites du terrain, en lui substituant un imaginaire travaillé par la couleur de peau, ces gens-là ont justement permis, volontairement, le particularisme identitaire. Seize ans ont passé et les discours de 98 sonnent plus encore qu'à l'époque creux, affreusement creux. Zidane sur l'Arc de Triomphe. Vulgarité pour peuple en perdition... Dans un contexte d'affrontements, de délitement, de communautarisme et de fronde (2) qui caractérise la France de 2014, il ne faudrait pas que nos gaillards échouent dès le premier tour parce que la facture de la défaite pourrait s'avérer plus salée qu'on ne l'imagine. Et quand j'écris : il ne faudrait pas, je ne signifie pas que c'est un souhait, mais la simple évaluation d'un risque. 

    (1)Il ne fait pas de doute, de notre point de vue, que l'affaire était volontaire.

    (2)Rions amèrement des comiques qui nous chantaient l'air du clivage sarkozyen. En l'espèce, le normal président aura fait mieux, beaucoup mieux.

     

    Photo : Marc Gourmelon

  • Plus un bruit...

    Michel Platini demande aux Brésiliens de se calmer. Ni plus, ni moins. Il est vrai qu'à l'allure où la situation se détériore dans ce pays émergent, il risque d'y avoir de gros ennuis pendant la trop indispensable Coupe du Monde. Le gouvernement brésilien a pourtant mis le paquet : 100 000 personnes pour la sécurité (police, militaires,...). Un véritable état de siège qui ne dit pas son nom. Un état policier dans toute sa splendeur, sans que nul n'y trouve à redire, à commencer par l'inutile Vallaud-Belkacem pour qui le Mondial doit être un grand moment de cocorico (comme quoi, le nationalisme, c'est à géométrie variable chez les gauchos. C'est nul quand ils se prennent une branlée électorale ; c'est chouette quand il permet d'aseptiser la crise et d'anesthésier la misère et de cacher l'austérité.).

    Donc, disons-le : les Brésiliens, pas tout bien sûr : les gens des favelas, les pauvres, les déshérités, font chier ! Et Michel Platini le dit, avec les mots qu'il faut, quand on est un dirigeant important. L'essentiel est que tout se passe bien, que tous les matchs soient des réussites, que l'ambiance soit festive, que le retour sur investissement soit à peu près correct. Bref le foot avant tout. Sur ce plan, Platini est dans la logique de ce qu'est le football, et le footballeur, en milieu ultra-libéral.

    Faut-il s'étonner du cynisme de l'ami Platoche (un gars sympa, non ?) ? Que nenni ! Rappelons, images à l'appui, qu'il fut l'homme qui tira, un soir de 1985, au Heysel, le penalty vainqueur d'une finale de coupe des Champions (ce n'était pas encore la Champion's League), alors qu'on venait à peine de retirer les cadavres des tribunes (39 morts, 600 blessés). Sa joie et ses justifications sont à vomir. Ce soir-là, c'est lui qui ne s'était pas calmé...


     

  • Le héros de notre temps

     

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    Le footballeur est le héros de notre temps (1), sans nul conteste. Et par héros, il faut bien sûr entendre qu'il est, étymologiquement, le désastre emblématique de la déliquescence érigée en victoire, de la transformation de la culture (2) en une matière dégradable, économiquement exploitable et formidablement vide.

    Il est vrai que du footballeur en question il n'est rien de ressemblant avec ce qui se fit pendant longtemps, avec ce que les gens de ma génération même connurent, avec ses élans tragiques, ses beautés ridicules et son côté vraiment populaire. Plus rien de tout cela, y compris, me disent les miennes connaissances qui continuent de jouer le dimanche, à petit niveau, par goût de l'amitié et des ripailles d'après-match : même en ces lieux de campagne reculés, le goût du fric et de la grosse tête a gagné. Le football est moribond, si l'on veut parler du jeu, de l'approximation qui fera rire les copains, de l'erreur d'arbitrage qui garde à l'affaire son humanité. Tout y est devenu sérieux. Le moindre tordu qui réussit une frappe se prend pour Ribéry ; le moindre tacticien des bacs à sable s'imagine en Guardiola. Passons...

    Si le footballeur est héroïque, c'est parce qu'en lui se concentrent quelques traits majeurs d'une contemporanéité délétère et sordide. En ce sens, ce sport et ses figures de proue ne sont pas des éléments de distraction. Il nous indique, sur les plans économique, culturel, sociologique et politique bien plus qu'on ne pourrait le croire.

    Premier trait. Il suffit d'avoir souvenir de ce qu'était la syntaxe d'un Platini ou d'un Jean-Philippe Durand (c'était dans les années 80) et d'écouter aujourd'hui Ribéry, Benzéma ou Jérémy Menez pour mesurer combien le football est désormais un sport où réussissent les purs abrutis, ceux qu'un parcours scolaire comme en faisaient nos grands-parents aurait déjà assommés cérébralement, quand il fallait que nos ancêtres aillent bien vite à l'usine ou aux champs. L'indigence footeuse, à la mesure il est vrai des journalistes qui les interrogent, est sublime (forcément sublime, pour reprendre la bonne Marguerite). On hésite entre le désarroi, le pathétique et parfois une belle envie de rire. À la suite du fameux épisode ubuesque du bus sud-africain, du refus d'en descendre et de la lettre de protestation d'une équipe soudée (ou peu couillue pour les opposants qui malgré tout obtempérèrent), Roland Courbis, ancien joueur lui-même et hâbleur hystérique sur RMC, se gaussa qu'on pût croire la dite lettre écrite par les joueurs (il s'avéra qu'elle était l'œuvre d'un avocat gérant les affaires d'un des 23). On y employait l'adjectif inhérent et il était bien sûr, lui, que pas un des cramponnés révolutionnaires n'eût été capable d'en définir le sens. Rions du bon mot, soit. Mais plus sérieusement : le prestige accordé à des demi analphabètes, qui balbutient une syntaxe qu'on ne pardonnerait pas à un enfant de six ans, cet aura dévolu à l'ignorance crasse, tout cela n'est pas sans lien avec le discours anti-intellectuel qui revient à la mode et qui fonde le populisme de marché. Les imbéciles de gauche qui voient du populisme partout (3) devraient s'expliquer sur leur allégeance à la crétinerie sur gazon, leur dithyrambe pour célébrer la moindre victoire et les honneurs qu'ils ont accordé, comme d'autres certes, à Zidane et consorts. Si ce n'est pas du populisme que de vouloir abolir les hiérarchies, faire du sport, et du football en particulier, la colonne vertébrale (à défaut d'être cérébrale) de la réussite hexagonale, qu'est-ce alors ? Il est vrai que l'affaissement culturel de la classe politique contemporaine rend celle-ci beaucoup plus sensible à l'idiotie en Adidas (ou Puma, peu importe). Le sport est une école de la vie, le football un champ d'expérience par quoi on acquiert une maturité et une envergure qu'on ne trouvera ni dans les livres (trop théoriques) ni dans l'instruction en général (trop sclérosante). La confusion des valeurs, dans le cadre de la culture, a son pendant dans le football qui est, rappelons cette évidence, un sport où il faut user de ses pieds. Il ne serait donc pas de bon ton de rire de ceux qui parlent comme des pieds. C'est leur destin, et il vaut bien celui des anonymes qui, ingénieurs, enseignants, chercheurs n'ont que le socle étriqué de leur pensée pour avancer dans la vie. Mais pourquoi d'ailleurs réduire l'opposition à ces trois catégories ? Il suffit de faire son marché, de bavarder avec les commerçants et les artisans du quartier, d'avoir des amis qui travaillent de leurs mains, dont les aspirations n'ont jamais été à hanter les bibliothèques pour se rendre compte de l'abysse des footeux. C'est en considération de la modestie affichée par certains qui vous entourent, modestie qui tourne parfois à la peur de mal parler, de dire une bêtise, d'être moindre que la bêtise survoltée et impérieuse des footballeurs devient insupportable.

    Deuxième trait : l'agacement devant cette remarquable idiotie est en même temps invalidé par la culture contemporaine puisque il ne peut relever que d'une considération élitiste, fondée sur une logique culturelle passant par la réussite scolaire, l'intégration des normes intellectuelles et la valorisation d'une hiérarchie des valeurs. Mépriser le footballeur, ce n'est plus simplement mépriser le peuple, c'est contester tout le processus démocratique (4) qui voit dans le marché le signe extrême de l'intégration de toutes les chances. Se moquer des footballeurs, c'est être un pisse-froid, un réac (5), un quasi contre-révolutionnaire. Dans le nouveau pacte libéral qu'on nous vend, chacun doit avoir ses chances. Mieux : chacun a ses chances, et les footeux en sont la preuve. Se moquer d'eux revient à appliquer une relecture rétrograde du progrès. Ce serait comme vouloir laisser à la porte de la bonne société un banquier parvenu. Si l'on ne veut pas reconnaître en ces sportifs l'éclatante vérité d'une société permettant la réussite, financière et sociale, à ceux qui avaient le moins de chance, on est soi-même méprisable.

    L'accession à la notoriété et à l'aisance n'est pas le fait du prince mais le résultat d'un mérite qu'une société libérale n'a de cesse de promouvoir à la seule condition qu'il s'évalue en espèces sonnantes e trébuchantes. Le footballeur est donc l'illustration, l'emblème d'une société qui fonctionne, parce qu'elle est animée d'une fraîcheur et d'une imprévisibilité qui ne permettent plus de la voir comme un mastodonte où se poursuit la reproduction telle que la dénonçait Bourdieu. Les histoires merveilleuses de réussite alimentent depuis longtemps la mythologie libérale. La nouveauté tient à ce que cette fois s'ajoute à l'éclat la fulgurance : le tout, tout de suite, dans la pleine jeunesse. Le travail est immédiatement récompensé, la richesse n'attend pas le nombre des années. Elle n'est plus le fruit laborieux d'un engagement mais la matérialisation d'un don et d'une chance saisie.

    Troisième trait : l'argent-roi est aujourd'hui le propre du football mais il serait illusoire que ce phénomène s'inscrive dans une exception sportive. La question ne porte pas sur l'échelle des rémunérations. Il est secondaire de savoir que des champions d'autres sports gagnent moins que des sous-lieutenants cramponnés, que le premier arrière-gauche minable de ligue 1 émarge largement au-dessus que le 25e coureur du classement de l'UCI. Le problème n'est pas là. Il n'y a d'ailleurs pas de problème ! Les gains accumulés par les footballeurs, les sommes astronomiques et les contrats divers dont ils bénéficient ne sont que la concrétisation d'un discours ambiant qui traverse l'époque. Ce n'est même plus le enrichissez-vous de Guizot. C'est la valorisation de soi au-delà du raisonnable, du nécessaire, du décent.

    Le plus fabuleux dans l'affaire est l'ingéniosité des payeurs et des supporters pour vous expliquer que leur carrière est courte, que ce sont des artistes et qu'ils donnent du plaisir. On pourrait descendre en flèche chacune de ces miteuses défenses mais on sait que la raison n'a plus rien à voir avec le lien que les individus entretiennent à la réussite financière et à l'accumulation du capital. Il faut donc passer outre et souligner que la folie des rémunérations correspond aussi à un mouvement plus vaste qui voit les inégalités se creuser, les riches devenir de plus en plus riches, et les pauvres de plus en plus pauvres. L'évolution tient dans le discours que l'on peut/doit tenir sur cet état de fait. La rigueur et la retenue de jadis (6) n'ont plus lieu d'être. L'affichage est de mise ; il faut avancer à découvert. C'est en cet endroit que le footballeur est homme de son temps. Il incarne mieux/plus que quiconque cette désinhibition devant sa propre réussite, la satisfaction pleine et entière d'un compte en banque garni. Il n'y a plus de dialectique à proposer ni de common decency à opposer. L'argent est en soi un signe et, pour parodier Baudrillard, son propre signe. Le footballeur est donc utile, voire nécessaire à l'actuelle société dans son délitement ultra-libéral. Qui accepte le premier, dans son gonflement monétaire, ne peut plus guère contester le second. Ainsi le sport n'est-il plus simplement un moyen de détourner de la douleur du quotidien, en clair : un divertissement pascalien. Il est le propre du monde présent, sa mise en scène symbolique, porteur de ses vertus, lesquelles peuvent/doivent s'accommoder de quelques vices. La perfection n'est pas de ce monde, c'est bien connu.

    Le footballeur est un artiste (d'où le droit aux caprices...), une perle, une rareté. Il s'agit d'appliquer aux êtres ce que l'on peut faire aux choses : les monétariser, pour eux-mêmes, et comme exemples d'une monétarisation à outrances de chacun des actes produits en/par la société.

    Quatrième trait : quand l'argent est le seul curseur de la pensée et de la conduite, il y a fort à parier qu'un certain nombre de repères passe à la trappe. Soyons légèrement passéistes... Mais cela ne nécessite pas d'aller très loin. L'argent n'a pas de territoire. Il est objet de transaction. Il est par essence ce qui passe, outrepasse, transgresse. Il est échange. Il n'a pas d'identité. Le rêve d'une société mondialisée, c'est une monnaie unique, l'abolition des nations et une déterritorialisation complète des individus. Que nous soyons le plus vite possible étrangers à nous-mêmes.

    Et le foot dans tout cela ?

    Prenons le contre-pied. Pensons à Paolo Maldini, à Berti Vogts, à Sepp Maier, à Franco Baresi, et pour l'heure à Francesco Totti... Toute une carrière dans un seul club. Un autre temps sans doute... Non ! Totti est toujours le capitaine de la Roma. Chacun aurait pu à un moment de leur carrière faire fructifier leur notoriété. Il n'en a rien été. Sans doute n'y trouvaient-ils pas suffisamment d'intérêt.

    Aujourd'hui, le footballeur est un nomade, un coureur de cachets, qui se moque du club, de l'histoire du club, de son palmarès (du club comme du sien...) parce que l'essentiel est dans le tiroir-caisse. Il n'aura pas échappé à ceux qui s'y intéressent un tantinet que plusieurs "artistes" ont décidé dès 23-24 ans d'aller taper la balle dans les Emirats, dans un championnat au niveau minable mais fortement rémunérateur. L'appât du gain est devenu tel que toute logique sportive a disparu.

    Faut-il s'en étonner ? L'amour du maillot (comme on dit) suppose qu'on ait une certaine idée de ce qu'il représente. Or, depuis l'arrêt Bosman de 1996, qui a permis la libre circulation des footballeurs et la possibilité d'aligner autant d'étrangers que l'on veut, le lien s'est singulièrement distendu. La pure logique du marché, qui voit des équipes anglaises aligner dix étrangers sur onze joueurs (idem pour l'actuel PSG) a fait du footballeur un authentique mercenaire du contrat le plus fort. Jadis, avant que les nations ne se conçoivent comme telles, on recrutait des combattants parce qu'on les payait. Le footballeur en est la version short et crampons. Le mercenaire nouveau viendra bien sûr expliquer avec sa syntaxe à deux sous que le challenge, l'envie de changer, la curiosité, le respect qu'on lui a montré (7)... Balivernes creuses et puantes dont les journalistes sportifs (on ne rit pas...) feront l'exégèse (si tant est qu'ils sachent ce qu'est une exégèse).

    On ne peut pas tout à fait leur en vouloir. Le triomphe de l'hédonisme individuel les conforte dans leurs choix. N'empêche : cette capacité de se vendre au plus offrant au delà de ce qui serait nécessaire pour se faire un palmarès souligne à quel point la réussite s'instruit dans un oubli du lieu et du collectif. Le footballeur est un nomade, comme il y a des nomades de la finance, comme il est nécessaire, pour que le système marche, qu'il y ait des nomades. On en revient toujours à ce combat mené par les bien nantis puis les intellectuels de gauche contre l'enracinement, dès le tournant du XXe siècle. C'est le énième affrontement entre Gide (trop vite lu) et Barrès (trop mal lu). L'homme du coin, honni, parce que vieillot, rance, aigri (et tout ce que vous voudrez ajouter pour l'assimiler à un être mort...), est la peste du libéralisme intégral. Partir, toujours partir, là où seuls mes intérêts seront satisfaits, tel est le credo contemporain.

    Le footballeur est un sans-papier symbolique, celui dont rêvent les libertariens et les tenants du marché intégral. Un sans-papier riche, en sécurité, aux opportunités immenses. Ce que nous devrions être toutes et tous, si nous savions lire la société, si nous savions intégrer les vraies valeurs de l'avenir... Ce que nous serons toutes et tous, un jour, dans un temps plus ou moins lointain. Mais à des tarifs nettement moins attrayants.

    Cinquième trait : certains s'offusqueront que l'on rétribue à ce point des décervelés tapant dans une baballe. C'est une faute d'appréciation regrettable, parce qu'alors ces critiques n'ont pas compris l'une des caractéristiques de l'époque contemporaine : le changement radical que l'on veut instituer dans le rapport au travail. Ou, pour être plus exact : l'image biaisée que l'on veut imposer d'en haut.

    Le temps est à la jouissance, au cool, à la mise en pratique, sur tous les plans, y compris celui des affaires, d'une pseudo-philosophie post-soixante huitarde qui prônait la décontraction. C'est l'heure du fun. Le travail n'est plus une contrainte mais un jeu, un plaisir. Rien que du bonheur : tel est le mot d'ordre. 

    Sur ce plan, le footballeur est le parangon de cette lyper-modernité qui veut du relâché (8). Il continue une histoire qu'il a commencée quand il était gamin. C'est un rêve qu'il vit. Qu'on se le dise : le libéralisme intégral permet de poursuivre son rêve, de ne pas sortir d'une enfance perpétuelle où l'on joue. Avec l'argent en plus, mais c'est un détail. Il n'y a pas tant de distance entre lui et le geek, le génial bidouilleur informatique qui vous pond des logiciels ou des réseaux sociaux tout en restant cool, adolescent boutonneux habillé sans effets. Le discours autour du bonheur au travail, du bonheur par le travail, du bonheur dans le travail : le footballeur en est l'illustration quasi magique. C'est pour cela, entre autres, qu'il est devenu un modèle qui fascine les gamins. Il est à la fois le fric et la facilité, l'aisance et l'absence de contraintes, la notoriété et la rigolade des matchs dans la rue ou sur le terrain vague. Il reste ce proche de nous qui masque la vérité d'une société de plus en plus dure, de plus en plus inégalitaire, de plus en plus violence sur le plan social. Il est l'échappatoire idéale.

    Pour que tout tienne, ou craque le moins possible, il faut des emblèmes cache-misère. Le footballeur en est un. L'un des plus efficaces. Il ne vend plus simplement du rêve, comme jadis. Il n'est plus une figure mais une quasi philosophie de l'existence dans le territoire du libéralisme intégral. Et l'on ne peut que sourire avec ironie, en pensant à la devise de la FIFA : "c'est beau un monde qui joue"...

     

     

     

    (1)Les amateurs de littérature russe pardonneront cette facilité qui me fait prendre le titre (traduit il est vrai) du grand roman de Lermontov. Il n'y a évidemment nulle ironie vis-à-vis de l'écrivain russe.

    (2)mais certains diront que de culture, je m'en fais comme d'autres une image surannée, vieillotte et en partie mythique, ce qui est sans doute vrai. Mais je répondrai simplement que l'histoire des hommes ne se construit pas sur le seul relevé des faits et qu'il en va de notre désir de vie comme de la théorie du clinamen chère à Lucrère et ultérieurement au génial Jarry du Docteur Faustroll pataphysicien : ce sont les petites dérives qui permettent que s'agrègent dans nos esprits les aspirations à ne pas se réduire en ridicules amas de chair...

    (3)Dernier exemple en date : l'aigri Cambadélis (il faut dire : être battu par Jean-Philippe Désir pour diriger le PS est une mortification qui pousserait un homme intègre à se retirer dans le Cantal ou dans la Creuse) craint une montée du « national-populisme ». Nous eussions aimé savoir ce qu'il entendait par là. Une énième allusion à la tentation nazie ? Un risque de chemises brunes ? Hélas, le journalisme ne s'est pas inquiété de cette saillie absurde et incohérente.

    (4)Dans ce que Thomas Frank appelle ironiquement la démocratie du marché, bien sûr.

    (5)Mais pas un facho, évidemment, parce que les supporters, n'est-ce pas, les ultras de tous les bords et de toutes les sauces...

    (6)Certains crieront à l'hypocrisie moralisante, à un puritanisme de façade. Ils n'ont pas totalement tort.

    (7)Le si fameux respect qui unit si bien le phrasé racaille et la suffisance footballistique. À décrypter ainsi : on ne me payait pas assez cher. Seulement 400 000 euros le mois, il est vrai, c'est manquer de respect.

    (8)Ce qui ne signifie pas du relâchement, ou du moins, pas du relâchement pour tous, parce que, justement, on ne cesse d'achever les petites gens, d'accélérer les cadences, de paupériser les sans-grade.

    Photo : Richard Seux

  • Très loin après la virgule

     

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    Ce sont de vieux souvenirs d'école, du temps des maîtres qui sentaient encore le hussard républicain, du temps de l'encrier, du buvard, de l'ardoise, de la petite éponge qui finissait par puer horriblement, des contrôles redoutés de calcul mental et des divisions après la virgule, quand on posait six, qu'il y allait quatre, qu'on retenait trois et qu'il fallait donner le résultat au dixième, voire au centième supérieur. Maintenant, les choses sont tout de même plus simples : la calculatrice, qui vous épargne toutes ces souffrances.

    Ce que nous avons conservé de ces exercices fastidieux nous sert parfois, rarement, mais parfois. Par exemple : vous êtes à une terrasse et vous lisez dans un journal que la décision des Sages du Conseil constitutionnel, de retoquer la taxation à 75 %, sauve le football professionnel français d'un exode terrible. Ter-ri-ble ! Puisqu'on vous le dit ! Parmi les 1500 qui se seraient mangés l'impôt confiscatoire, 100 footballeurs ! La Ligue 1, passionnante, brillante et survitaminée au qatari et aux investisseurs avides de la baballe, a failli tomber dans une médiocrité désolante, faute d'avoir les cadors dignes d'un pays comme le nôtre ! On ne remerciera jamais assez Jean-Louis Debré, Michel Charasse et leurs acolytes. Alleluia !

    À votre terrasse, vous prenez votre note (un allongé et un jus d'abricot) et au verso, avec votre éternel stylo plume, vous rappelant, à trois fois rien près, que la population active française, c'est 27 millions d'hurluberlus comme vous, vous vous lancez dans des calculs proprement eisteiniens.

    Lesquels vous apprennent que 30 footeux par clubs de Ligue 1 x 20 clubs, cela nous fait environ 600 gugusses... De là, il ressort que 100 divisé par 1500 = 6,6 %. 6,6 % des menacés fiscaux sont des footeux. Ces footeux représentent 600 divisé par 27 millions = 0,003 % de la population active.

    6,6 % d'un côté, 0,003 % de l'autre. Je ne sais pas si les chiffres parlent d'eux-mêmes, vraiment pas, mais devant ce ratio de 1 à 2000 calculé à la louche, on regrette d'avoir des restes d'école primaire et on se commande un martini blanc, sans glaçon, histoire de ne pas désespérer, tout en se disant que si les Français, à commencer par les classes populaires, acceptent cela, en justifiant que les footeux ont une carrière très courte, les mêmes Français qui traquent le profiteur d'un demi-euro, le resquilleur du bus, et jugent avec sévérité les prétendus privilèges (fantasmés souvent) de leur voisin, on n'est pas sorti de l'auberge.


    Photo : Charles Platiau/Reuters

  • Le prix de l'étranger

     

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    La classe politique française s'indigne. Elle aime cela, notre classe politique. Elle a l'éthique chevillée au corps. Il suffit de voir les diverses affaires troubles dans lesquelles elle a trempé ces trente dernières années pour se dire qu'elle est irréprochable. 

    Dans le cœur de l'été, elle a trouvé un nouveau sujet par quoi elle peut montrer sa vertu populaire et son sens de la mesure. Elle s'indigne, droite et gauche confondues, de Jouanno à Cahuzac, devant le salaire annuel astronomique de Zlatan Ibrahimovic, transféré du Milan AC au PSG. 14 millions d'euros. La somme n'est pas petite, il faut bien le reconnaître. Mais qu'y a-t-il de choquant, vraiment ? Ne sommes-nous pas déjà engagés depuis vers plus de vingt ans dans un délire économico-sportif qui suit une courbe exponentielle pour que l'on s'en alarmât seulement un 17 juillet 2012 ? On hésite entre l'hypocrisie et la bêtise. À moins que ce ne soit les deux. Car l'indécence ne peut concerner le seul Ibrahimovic. Il n'est qu'un pion (certes très favorisé) du système, lequel système mériterait qu'on le décortique en détail pour cerner ce qui justifie ainsi de telles sommes autour d'un ballon rond. Entre prestige, argent sale, blanchiment et trucages, il faut bien mesurer que le sport, et le foot en particulier, pue.

    Cette puanteur, les politiques ne font que l'entretenir. Sur le plan économique, leur complaisance, avec les dérives mercantiles et les aides publiques, plus ou moins déguisées, est coupable. Sur le plan moral, ils se discréditent en n'exigeant pas de la fédération française de football qu'elle nettoie ses écuries d'Augias et vire de la représentation tricolore des petites frappes sans éducation. Et justement, et ce n'est pas la moindre des contradictions, ces si peu dignes représentants de la France gagnent eux aussi des sommes colossales, sans même à avoir à descendre du bus. Ribéry gagne 800 000 euros mensuels au Bayern. On tourne autour des mêmes chiffres pour Benzema, Nasri,... Qu'ont-ils à dire sur le sujet ? Qu'ont-ils dit ? Rien. Quand Zidane aurait touché 10 millions d'euros du Qatar pour qu'il soutienne la candidature (victorieuse) de ce pays à l'organisation de la coupe du monde, que disent-ils ? Rien de plus.

    C'est alors qu'une pensée gênante vous traverse l'esprit. Jouer la vertu, la morale, et l'indignation en temps de crise, tout cela est d'autant plus facile quand elle concerne un étranger. Ibrahimovic, aussi fortuné soit-il, est pour le coup le métèque de service. La classe politique dit son écœurement, sur le sujet, quand c'est elle qui écœure.

    Le plus cocasse serait évidemment que le PSG, avec son recrutement en euros qataris, gagne la Champions League, auquel cas les indignés estivaux seraient les premiers à se fendre d'un message admiratif célébrant une réussite exemplaire du sport français. Il n'y a plus qu'à attendre le mois de mai 2013.



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  • Parlons banlieue

    http://www.lexpress.fr/medias/26/sarkozy-thierry-henry-et-nicolas-anelka-a-clairefontaine_259.jpg

    La France est un beau pays, avec une variété incroyable de niveaux de langue. À ceux qui croiraient à l'uniformité linguistique, montrons que, selon les endroits, le vocabulaire peut être riche, fleuri :

    «Va te faire enculer, sale fils de pute» (version Le Chesnay, banlieue sud-est)

    «Casse-toi, pauvre con !» (version Neuilly, banlieue ouest)

    P.S. : Il est clair qu'ainsi posé, on ne peut guère espérer que les grandes figures de notre société de spectacle nous aident à la sauvegarde du subjonctif imparfait. Encore eût-il fallu qu'ils le connussent...





  • Desproges, commentateur sportif

    Il y a quelques jours, France-Soir titrait pleine page, photo à l'appui : "Domenech devra-t-il se passer de Ribéry ?". La question est essentielle, en effet. Elle montre en tout cas que nous sommes entrés dans une phase où l'univers va devoir remiser au placard ses misères et ses inquiétudes. Il faut  donc bien se préparer à la Coupe du Monde, à un mois de juin de folie, dans l'incertitude hexagonale née d'une équipe qui part à vau l'eau. En clair : élimination piteuse au premier tour ou finale avec coup de tête en prime ? Devant la médiocrité du jeu national, les  démêlées judiciaires de certains de nos héros, la philosophie à trois francs six sous du sélectionneur, prenons un bol d'oxygène. Lecteurs, lectrices, enfilez votre maillot, votre short, vos chaussettes, vissez vos crampons. La chronique qui suit est pour vous. Pierre Desproges la prononça au printemps 1986, sur France-Inter, pendant la campagne mexicaine.

     

    « A mort le foot »

    Voici bientôt quatre longues semaines que les gens normaux, j'entends les gens issus de la norme, avec deux bras et deux jambes pour signifier qu'ils existent, subissent à longueur d'antenne les dégradantes contorsions manchotes des hordes encaleçonnées sudoripares qui se disputent sur gazon l'honneur minuscule d'être champions de la balle au pied.

    Voilà bien la différence entre le singe et le footballeur. Le premier a trop de mains ou pas assez de pieds pour s'abaisser à jouer au football.

    Le football. Quel sport est plus laid, plus balourd et moins gracieux que le football ? Quelle harmonie, quelle élégance l'esthète de base pourrait-il bien découvrir dans les trottinements patauds de vingt-deux handicapés velus qui poussent des balles comme on pousse un étron en ahanant des râles vulgaires de bœufs éteints.

    Quel bâtard en rut de quel corniaud branlé oserait manifester publiquement sa libido en s'enlaçant frénétiquement comme ils le font par paquets de huit, à grands coups de pattes grasses et mouillées, en ululant des gutturalités simiesques à choquer un rocker d'usine ? Quelle brute glacée, quel monstre décérébré de quel ordre noir oserait rire sur des cadavres comme nous le vîmes en vérité, certain soir au Heysel où vos idoles, calamiteux goalistes extatiques, ont exulté de joie folle au milieu de quarante morts piétinés, tout ça parce que la baballe était dans les bois ?

    Je vous hais, footballeurs. Vous ne m'avez fait vibrer qu'une fois : le jour où j'ai appris que vous aviez attrapé la chiasse mexicaine en suçant des frites aztèques.


    P. Desproges, Chroniques de la haine ordinaire, Seuil, 1987