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zidane

  • Le prix de l'étranger

     

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    La classe politique française s'indigne. Elle aime cela, notre classe politique. Elle a l'éthique chevillée au corps. Il suffit de voir les diverses affaires troubles dans lesquelles elle a trempé ces trente dernières années pour se dire qu'elle est irréprochable. 

    Dans le cœur de l'été, elle a trouvé un nouveau sujet par quoi elle peut montrer sa vertu populaire et son sens de la mesure. Elle s'indigne, droite et gauche confondues, de Jouanno à Cahuzac, devant le salaire annuel astronomique de Zlatan Ibrahimovic, transféré du Milan AC au PSG. 14 millions d'euros. La somme n'est pas petite, il faut bien le reconnaître. Mais qu'y a-t-il de choquant, vraiment ? Ne sommes-nous pas déjà engagés depuis vers plus de vingt ans dans un délire économico-sportif qui suit une courbe exponentielle pour que l'on s'en alarmât seulement un 17 juillet 2012 ? On hésite entre l'hypocrisie et la bêtise. À moins que ce ne soit les deux. Car l'indécence ne peut concerner le seul Ibrahimovic. Il n'est qu'un pion (certes très favorisé) du système, lequel système mériterait qu'on le décortique en détail pour cerner ce qui justifie ainsi de telles sommes autour d'un ballon rond. Entre prestige, argent sale, blanchiment et trucages, il faut bien mesurer que le sport, et le foot en particulier, pue.

    Cette puanteur, les politiques ne font que l'entretenir. Sur le plan économique, leur complaisance, avec les dérives mercantiles et les aides publiques, plus ou moins déguisées, est coupable. Sur le plan moral, ils se discréditent en n'exigeant pas de la fédération française de football qu'elle nettoie ses écuries d'Augias et vire de la représentation tricolore des petites frappes sans éducation. Et justement, et ce n'est pas la moindre des contradictions, ces si peu dignes représentants de la France gagnent eux aussi des sommes colossales, sans même à avoir à descendre du bus. Ribéry gagne 800 000 euros mensuels au Bayern. On tourne autour des mêmes chiffres pour Benzema, Nasri,... Qu'ont-ils à dire sur le sujet ? Qu'ont-ils dit ? Rien. Quand Zidane aurait touché 10 millions d'euros du Qatar pour qu'il soutienne la candidature (victorieuse) de ce pays à l'organisation de la coupe du monde, que disent-ils ? Rien de plus.

    C'est alors qu'une pensée gênante vous traverse l'esprit. Jouer la vertu, la morale, et l'indignation en temps de crise, tout cela est d'autant plus facile quand elle concerne un étranger. Ibrahimovic, aussi fortuné soit-il, est pour le coup le métèque de service. La classe politique dit son écœurement, sur le sujet, quand c'est elle qui écœure.

    Le plus cocasse serait évidemment que le PSG, avec son recrutement en euros qataris, gagne la Champions League, auquel cas les indignés estivaux seraient les premiers à se fendre d'un message admiratif célébrant une réussite exemplaire du sport français. Il n'y a plus qu'à attendre le mois de mai 2013.



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  • Historique (adjectif)

     

    Le problèmes de l'Histoire tient à ce que, par définition, elle considère le passé au détriment du présent. Cela revient à instituer une instance complémentaire à ce présent. La société bourgeoise, dès le XVIIe siècle, par les prémices de l'archéologie et de la logique muséale a beaucoup œuvré pour cette inscription des temps anciens dans la mémoire collective. Ce n'était pas seulement, d'aileurs, à des seules fins de délectation esthétique ; il y avait aussi, par ce biais, l'établissement définitif de la nouvelle classe dominante et une démarche de différenciation (la fameuse distinction bourdieusienne et les futurs effets du capital culturel).

    Ce rapport au passé a perduré tant que demeuraient dans le capitalisme relativement ordonné et contraint la nécessité des cadres nationaux et le besoin, notamment face au danger communiste, d'un ancrage culturel relativement stable. Mais ce temps est révolu. Il faut désormais faire autrement, s'affranchir des contraintes territoriales. Tel est l'enjeu secret auquel s'attaquent les think tanks de toute espèces : de la Trilatérale aux Bilderbergers. Abolir les nations, les frontières.

    Or, l'évolution des questions territoriales a une incidence sur la représentation du temps. Les principes du libéralisme (néo ou pas) ne sont nullement en contradiction avec les transformations mentales nées de ce qu'on appelle le postmodernisme, et notamment sa composante narcissique, ainsi que l'ont analysée des auteurs comme Christopher Lasch (La Culture du narcissisme - La vie américaine à un âge de déclin des espérances, ou Le moi assiégé) et Fredric Jameson (Le postmodernisme ou la loigique du capitalisme tardif). Et celle-ci est indéniablement réfractaire à l'Histoire.

    Il suffit pour s'en convaincre d'observer la manière dont on a attaqué l'enseignement de cette matière, les découpages hasardeux et incohérents permettant de rendre incompréhensibles toute vision globale du passé. Les résultats sont assez magnifiques si l'on considère l'inculture abyssale de la jeunesse française. Celle-ci a mise en pratique une logique de la tabula rasa assez magistrale (façon de parler). Le vieux, l'ancien commence à ce qui dépasse sa petite existence. Ce n'est là qu'un des effets d'une volonté politique et d'une évolution culturelle qui ont été mainte fois et brillamment analysées. On relira des auteurs aussi différents que les membres de l'École de Francfort, Hannah Arendt, les situationnistes ou Marc Fumaroli (ce qui, au passage, recouvre un éventail politique assez éclectique, pour le moins).

    Je m'en tiendrai très humblement à commenter l'adjectif historique. Dans une première acception : ce qui relève de l'Histoire. Mais, dans un sens amoindri : ce qui est marquant, ce qui fait date. Et nul ne peut ignorer que nous vivons dans une époque où cette seconde lecture a pris une place phénoménale. Tout moment, tout événement devient historique. Ainsi entend-on que le dollar atteint son plancher historique de l'année, que la gauche, pour telle élection, fait un gain historique (qui sera balayé dans les quatre, cinq ou six ans qui suivent). Le postmodernisme invente donc l'immédiateté historique (bel oxymore) à l'aune d'une société de l'information privilégiant l'instantané, le direct, le vécu. Car derrière cette dérive se cache la volonté d'animer nos existences figées par des décisions de plus en plus obscures d'un semblant d'agitation. Une sorte de théâtralisation du monde pour combler l'ennui et la fatigue de soi (pour citer le remarquable livre d'Alain Erhenberg) qui nous habitent. Il faut nous distraire et créer l'événement, nous faire croire que l'aventure est à chaque coin de l'écran, car l'historique est essentiellement une catégorie médiatique. Il est la mise en scène d'une Histoire où, spectateurs, on transforme pour nous le moindre fait en émotion. Parce que, évidemment, l'historique ne recouvre plus une catégorisation intellectuelle : il est instantané et live. Il est avant tout une notion compensatoire, l'effet placebo d'une déréliction insondable.

    C'est pour cette raison que son aire de prédilection est le sport, puisque celui-ci, dont la diffusion occupe un volume horaire de plus en plus important, est une sorte de baromètre de la sociabilité, la borne sans cesse réactualisable d'une jouissance promise. Pas une médaille, pas une victoire qui ne deviennent un instant à vivre, un opium neutralisant les incertitudes et les angoisses. Pas une aventure physique qui ne soit une forme d'accomplissement collectif, reléguant la nouvelle de la veille à sa propre inanité. Les commentateurs sportifs (on ne peut quand même pas leur affubler le masque du journalisme, lui-même déjà bien ridicule) manient l'hyperbole avec une maestria qui tourne à la caricature. Ils veulent nous faire vivre, puisque beaucoup vivent si peu (confinés dans une stratégie de procuration ou écrasés par sa violence). Peut-on alors trouver meilleure illustration de cette confusion des temps, de cet écrasement des mondes vers le rien que cette image projetée, le soir de la victoire française en Coupe du Monde, de Zidane sur l'Arc de Triomphe, comme s'il fallait en effacer la matérialité, la monumentalité... Abolition absolue de notre Histoire devant l'icône dérisoire d'une liesse sans lendemain possible.