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journalisme

  • Orientation d'un inculte

    La semaine passée, sur I-télé, le hasard (s'il existe) m'offre l'occasion d'écouter un débat "d'éditorialistes". Une sorte d'affrontement gauche-droite, aussi factice dans le milieu des journaleux qu'il l'est dans le milieu politique (1). Et le hasard se combinait avec la chance puisque l'un des deux artistes était Laurent Joffrin. Celui-ci sévit dans le paysage médiatique français depuis trente ans. Il en est un des représentants les plus superfétatoires. Baudruche gauchiste dans le sociétal et libéral éclairé au niveau économique. Rien que du classique.

    Comme tous les gauchos patentés, sa signature, à défaut de l'intelligence, est l'indignation. Signature qui, au passage, est une exclusive : un homme de droite, ou pire : d'extrême-droite, en est sui generis privé. L'indignation est le point de Godwin de ces gens-là, leur structuration mentale par quoi tout passe, en bouillie ou en purée. Pour le coup, Joffrin était indigné. La question portait sur l'appel de Denis Tillinac concernant la préservation des églises françaises, appel paru dans Valeurs actuelles. Pour les lecteurs de ce blog qui ne seraient pas au courant, voici l'affaire.

    Il y a quelques semaines, le président du CFCM, le si modéré (?) Dalil Boubakeur, accessoirement recteur de la mosquée de Paris, proposait de récupérer les églises abandonnées pour combler le déficit de mosquées. En clair, ce qu'on appellera non une transformation mais une conversion du lieu. Celui-ci, devant un certain nombre d'indignations, a rectifié le tir en disant qu'il s'était mal exprimé. On ne glosera pas plus avant sur cet essai malicieux pour tâter le terrain d'une possible islamisation du territoire à travers ses lieux symboliques, lesquels ont donné à la France une identité architecturale, intellectuelle et morale que les islamo-gauchistes et les francs-maçons s'ingénient à nier, selon une démarche révisionniste ahurissante.

    Devant cette inquiétante tentative de radicalisation (2), l'écrivain Denis Tillinac a donc lancé son appel. Et Joffrin évidemment de crier à l'intox, au faux débat, au détournement. Tout cela .organisé par des hommes (et des femmes) d'extrême-droite : il suffit de nommer l'écrivain Jean Raspail pour que le tour soit joué. Ce ramassis de réac fachos n'ont rien compris et ils épousent, peu ou prou, la ligne incarnée par une lepénisation des esprits. Denis Tillinac, dont j'avais déjà défendu la position sur ce blog, est encore une fois cloué au pilori. La parole de Boubakeur n'est pas à prendre au premier degré ; celle de Tillinac si. Le propos de Joffrin n'aurait rien de particulier et ne mériterait pas qu'on s'y arrête si cet idiot, ivre de sa bêtise, ne se donnait pas le droit d'être spirituel. Il explique alors que beaucoup des églises sont dans un axe est-ouest, tournées vers l'Orient, vers Jérusalem. Dès lors, Jérusalem ou La Mecque, c'est un peu la même chose. Sublime, forcément sublime, pour plagier la bonne Marguerite Duras...

    Ces considérations sont du même tonneau que celles de Boubakeur, pour qui l'islam et le christianisme sont des cultes voisins ! Balancées avec la présomption de l'inculte (nul sur le plateau ne rectifie), elles procèdent par amalgame (mot à la mode) et sont le fruit d'une ignorance crasse. Si le petit Joffrin avait un tant soit peu de culture, il saurait

    -que l'orientation (qui vient effectivement du mot orient) est-ouest est un classique architecturale ; que sa pratique se retrouve dans d'innombrables civilisations. Cela établit le rapport très ancien de l'homme à la nature, et notamment au soleil. Le porche du Temple de Salomon était déjà tourné vers l'est, ainsi que le précise Ezéchiel. La question de Jérusalem, qui n'est d'ailleurs pas l'est universel, selon la latitude où nous nous trouvons, est ridicule. Elle ne fonde pas l'édification des églises occidentales.

    -que la thématique de la lumière organise effectivement l'orientation des édifices chrétiens répond aussi à une symbolique déterminée par la figure même du Christ, "soleil de justice". Il est "la lumière du monde", ainsi que l'écrit Jean. L'architecture est donc le relais d'un discours spirituel et théologique spécifique à la chrétienté.

    De cela, Joffrin, en bon renégat de la culture millénaire qui a bâti l'Europe, fait des raccourcis à seule fin de nier une réalité historique et intellectuelle à laquelle ses accointances islamo-gauchistes voue une haine sans bornes.

    Peut-être n'aurais-je pas signé l'appel de Denis Tillinac (la pétition n'est pas mon fort), mais la bêtise mortifère de Joffrin ajoutée aux souvenirs littéraires des inquiétudes, il y a un siècle, de Proust et de Barrès, devant la ruine des églises, m'ont incité à le faire...

    (1)Si l'on veut comprendre rapidement cette identité sous la fausse garde des débats dits contradictoires, il suffit de regarder quelquefois les deux chaînes d'infos en  continu : BFM et I-télé. La première est vaguement de droite, l'autre vaguement de gauche. Mais dans les limites très étroites d'une doxa européenne et libérale qui les fait se ressembler comme des sœurs jumelles. Ceux qui y voient des différences imaginent donc que Ruth Elkrief et Laurence Ferrari pensent. Fichtre !

    (2)Radicalisation, en effet, parce que le sieur Boubakeur est fort silencieux quand il s'agit de défendre les chrétiens d'orient, et plus encore les chrétiens d'Algérie, lesquels sont persécutés au milieu d'un silence condamnable.

    (3)Il dirige Libération. Que dire de plus ?

     

     

     

  • Jouer l'indignation

      

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    Le 2 août, la comique de droite Natacha Polony commettait un article dans Le Figaro au titre magnifique : ces paysages que l'on assassine, dans lequel elle s'alarmait et se lamentait (pour le moins) de la disparition des paysages français au profit (si l'on peut dire) d'une rentabilité obtuse à l'ère de la rationalité néo-libérale à laquelle elle collabore (sans quoi elle ne se répandrait pas dans ce journal et ne ferait pas l'exercice vulgaire d'être l'allier de l'histrionnesque Ruquier (1).)

    Elle découvre donc la France et la manière dont la modernité la massacre. Elle retarde un peu. On peut toujours lui conseiller de se retourner vers la mission de la DATAR des années 80, laquelle conviait des photographes à explorer la France (2). Elle peut aussi se replonger dans les œuvres de Pierre Bergounioux, Jean-Christophe Bailly et plus lointain, ce cher Giono. Évidemment, s'il faut aller dans le plus sulfureux, il y a de magnifiques pages sur la puissance du paysage chez Barrès, notamment dans Les Déracinés et plus encore dans ce voyage initiatique du père et du fils que sont Les Amitiés françaises (livre dans lequel on trouve déjà le lamento du paysage perdu...), quand, par exemple, il évoque le promontoire de Sion-Vaudémont : 

    « Le lendemain, vers les trois heures de l'après-midi, quand nous eûmes gravi les côtes qui dessinent le cours de la Moselle et que le promontoire de Sion-Vaudémont, brusquement, apparut sur la vaste plaine agricole, nous y marchâmes tout droit à travers les antiques villages.C'est ici le Xaintois, que César disait un grenier; c'est le comté de Vaudémont, petite province de la souveraineté des ducs, mais distincte de leur Lorraine et du Barrois. Depuis des siècles, sur cette terre, rien ne bouge, et ses cultures immuables commandent des mœurs auxquelles nul ne se dérobe, sinon par la fuite dans les villes. Je fais écouter par Philippe un silence qui jadis enveloppa ses pères. Nous laissons l'automobile au pied de la falaise historique, qui, presque à pic, se dresse de deux cents mètres. Nous gravissons à pied le sentier découvert, et c'est encore à pied que Philippe et moi, nous suivrons dans tout son développement la sainte colline, telle que nous l'embrassons maintenant : bizarre cirque herbacé, en forme de fer à cheval, qui surplombe un vaste horizon de villages, de prairies, de bosquets, de champs de blé surtout, et que cerclent des forêts. 

    À la pointe où nous sommes d'abord parvenus, il y a le clocher de Sion, et sur l'autre jointe. pour nous faire face, la ruine de Vaudémont. De ce témoin religieux à ce témoin féodal, en suivant la ligne de faîte, par le taillis de Playmont, le Point de Vue, les Ghambettes et la porte du Traître, c'est une course de deux petites heures. Je ne sais pas au monde un promenoir qui me contente davantage ».

    Ces quelques lignes ont sans doute, au goût de beaucoup, un accent trop français ; elles dissonnent dans le concert mondialisé de l'homogénéité terrible et de l'alignement froid. Mais, pour qui a vécu en zone frontalière, s'il y a bien des glissements et des influences, il est aussi de franches ruptures. La Flandre française n'est nullement la Belgique. On la reconnaît d'un coup d'œil. En fait, le démembrement du territoire français, son industrialisation, sa fermeture utilitaire pour en faire là une Z.I., ici un autoroute, ailleurs une étendue banlieusarde, encore : le règne de l'agriculture intensive ou un parc pour touristes désœuvrés, ce démembrement est le fruit entendu et rationalisé d'une vision dont le journal qui emploie la pauvre Polony est un défenseur zélé. On ne peut à la fois se chagriner que la campagne ne soit plus qu'une attraction récurée quand il fut de bon ton de moquer les régionalistes, les partisans d'une ruralité humaine. Car, si l'on veut bien ne pas s'en tenir à la déploration que l'on prend souvent pour une forme molle de la pensée : la nostalgie comme sclérose, il faut tirer de cette désagrégation du paysage un constat plus sombre. C'est bien là une manière de chasser l'Histoire. En défaisant ce qui est bien plus qu'un décor, un héritage, on cherche avec l'uniformisation la disparition de ce sens profond qu'est l'enracinement, dont une des formes les plus précises est justement la capacité des hommes à se reconnaître face et dans le paysage. Et cette reconnaissance est évidemment double : le repérage se mélange à l'identification. La question n'est donc pas seulement une affaire de développement ; elle a une portée civilisatrice. Polony peut nous faire le coup des papillons et des brochets qui disparaissent, agiter la corde sensible de l'enfance, faire la grincheuse devant les attentes de la FNSEA. Le problème est bien plus large et elle passe à côté.

    Son papier sent la BA, le décalé facile. Qu'attendre de plus, de toute manière ? Le parisianisme dont cette journaliste n'est qu'une énième incarnation, cet état d'esprit à la pointe de la modernité n'envisageant pas qu'il puisse y avoir une vie au delà du périphérique, dont le snobisme caricatural n'est que la redite des romans du XIXe siècle (en somme : des balzaciens sans talent...) a encore de belles années à vivre, hélas.

    (1)Natacha Polony est l'exemple-type de la pseudo-révoltée de service, de la réac à deux euros, dont la sphère médiatique a besoin (une sorte de Zemmour en tailleur...) pour nous faire croire que nous vivons en pays de tolérance (mais chacun sait, depuis Alphonse Allais, qu'il y a des maisons pour cela). Elle joue la contestation, un peu comme certaines adolescentes jouent la révolte : le même maquillage vulgaire et le verbe facile. On a juste envie de lui dire : rentre chez tes parents, on a passé l'âge, sinon qu'en matière de politique, c'est plus gênant.

    (2)Des photographes autrement plus puissants dans le regard que notre balayé Franck Provost du PAF, si l'on veut accorder quelque crédit à une personne comme Yann-Arthus Bertrand : ils ont nom, entre autres : Lewis Baltz, Raymond Depardon, Dominique Auerbacher, Sophie Ristelhueber ou Tom Drahos...

     

     Photo : Philippe Nauher

     

  • Drapé de lin blanc et de vertu...

    Savoureux que de lire l'éditorial du Monde, en date du 30 juillet, où il est question du désastre libyen. Savoureux que ce constat apocalyptique et les raisonnements qui en découlent. Car, après avoir brossé un rapide panorama du désastre vient le temps de la réflexion (ou de ce qu'on voudrait faire passer comme tel), et sur ce point l'éditorialiste offre deux perles.

    Commençons par la première :

    "Impossible de ne pas poser la question de la pertinence de l’intervention des Etats-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne à l’appui de la rébellion de 2011 – intervention que Le Monde a approuvée sans réserve à l’époque. Washington, Paris et Londres ont-ils eu raison de mener cette campagne de bombardements aériens qui a permis aux rebelles de l’emporter sur Kadhafi ?"

    Étrange rhétorique qui veut que l'on pose une question que certains, opposés à cette aventure libyenne et aux élucubrations de BHL et de son copain Sarkozy, avaient déjà posé dans les temps où ces deux-là se prenaient pour Tintin. Ce que le journaliste regarde avec gêne, d'aucuns s'en étaient déjà émus, ne voyant dans les printemps arabes que des nids à islamistes, d'Al Qaïda ou d'ailleurs. Ce n'était pas un simple désir de neutralité ou une forme de désintérêt, mais de la lucidité. Les torsions diplomatiques pour nous faire avaler des couleuvres ne suffisaient pas mais il était alors odieux de dire qu'on préférait Khadafi aux exaltés d'Allah, comme on préférait Ben Ali à Ennhadha et Moubarak aux frères musulmans. Ce n'était peut-être pas dans l'air du temps ni très droits-de-l'hommiste mais constatons qu'au moins, sur ce plan, les réfractaires n'ont pas à prendre l'air faussement sceptique du plumitif mondien...

    Certes, il y avait plus d'entrain à suivre le refus de Chirac à suivre Bush, et à applaudir la verve de Villepin, mais on en comprendra aisément le fond : se rallier au corrézien et au diplomate à la mèche prêtait moins à confusion que de se joindre à la voix de Rony Brauman ou à celles des dirigeants FN. On peut se lamenter : les mois qui ont suivi ont donné raison à ceux-ci, et ce serait grotesque de chercher de fausses explications ou de pratiquer l'art du détournement pour expliquer que leurs positions justes se fondaient sur de mauvaises raisons. Que les pisse-froid reprennent leur livre d'histoire, les festivités de 14-18 battent leur plein, ils pourront toujours méditer. La catastrophe de la Libye était courue d'avance mais Sarkozy et ses suiveurs (en particulier de gauche) se voyaient en sauveur du monde, sans même savoir vraiment ce qu'est le monde et ce que les peuples attendent (et qui les manipulent).

    Seconde perle :

     

    "Questions faciles à soulever a posteriori : la décision politique de l’intervention se prend parfois dans l’urgence, souvent pour des raisons humanitaires. Mais questions auxquelles, au regard du chaos qui emporte la Libye, il est difficile d’échapper aujourd'hui." 

    Il arrive que le réel finisse par toucher le plumitif mondien, que ses bavardages et ses positions de naguère se fracassent devant les morts, les exactions, les délires de ceux qu'il a aidé à armer. Mais il n'oublie jamais qu'il est de gauche (ou de centre droit, ce qui revient au même), et donc fondamentalement bon, sympathique, empathique, juste. Les questions (c'est-à-dire le signe de son échec analytique, de sa faillite intellectuelle et de sa bêtise politique) sont "faciles à soulever a posteriori". Il balaie à la vitesse de l'éclair la lucidité des autres, il met en perspective, selon la formule consacrée. Et comme il est l'architecte de l'univers intellectuel, qu'il se prend pour l'un de ces prétentieux obtus dont La Bruyère ou La Rochefoucauld ont su avec tant de finesse peindre la figure bouffie, il passe sur sa mésaventure (et donc sur sa culpabilité morale) pour nous servir une fois de plus l'excuse magistrale : le monde est bien difficile à comprendre et bien malin qui peut en déchiffrer le sens et en prévoir l'évolution. Une sorte de réflexion de comptoir ou de marché, au choix. Le propos n'est sans doute pas sans fondement, mais, dans ce cas, que le gratte-papier mondien la ferme (et si l'on pouvait rêver que ce soit définitivement... Seulement, nous sommes lucides, alors...), qu'il nous évite et ses manières de penseur creux, et ses illusoires retours sur soi pour se refaire une virginité.

     

  • De la respiration démocratique artificielle

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    Libération a des problèmes, des problèmes financiers. Cela attriste : la démocratie risque de perdre beaucoup dans l'affaire, comme si l'arc-en-ciel perdait une couleur et que le gris gagnait encore un peu plus dans le décor. Une voix qui s'affaiblit, c'est un peu de nous qui meurt. Etc, etc, etc.

    On peut ainsi enfiler les perles. Trois phrases suffisent. Revenons au sérieux.

    Le fait est que Libération se meurt, faute de lectorat. Des ventes au numéro en baisse de près de 40 %. En clair, ce journal commence à devenir confidentiel, de bien moindre importance que certaines publications régionales que l'on regarde comme du menu fretin. Les intellos gaucho-parisiens continuent de la jouer influence-référence-contre-culture, alors qu'ils marinent dans un bassin à poissons rouges. La disparition de Libération ne serait pas un malheur en soi. Ce serait même plutôt une bonne chose, une sorte d'hygiène dans le paysage de la manipulation et de la fausse monnaie. Que quelques énergumènes à la Demorand (1) se croient encore le droit de faire entre Châtelet et le Rostand la pluie et le beau temps de ce qui doit être (bien) pensé est pénible. On peut toujours espérer qu'un jour l'escroquerie cesse. Mais ce n'est pas garanti.

    Il y a, ainsi, dans notre démocratie des zones de non-droit d'inventaire où la suffisance gauchiste échappe aux lois. Même à trois dans une cabine téléphonique, péronnelles et moineaux se croiront le centre du monde. Sur ce point, Libération partage un grand privilège avec nos amis écolos, les mesdames et messieurs 2,5% du suffrage universel, à qui on fait la part belle, en rétribution sans doute de leur rôle supplétif à une majorité bancale et sans ligne politique (mais pour l'économique, si : le bateau ultra-libéral sous spinaker). Les Verts sont l'exemple emblématique d'une démocratie fabriquée et confisquée, comme Libération est le signe d'une interdiction au débat que l'on voudrait maintenir coûte que coûte.

    Demorand et Cécile Duflot ont le même profil. Des gens de peu représentant d'abord eux-mêmes auxquels la magouille politique et médiatique accorde des droits exorbitants. C'est, paraît-il, à ce prix que nous respirons démocratiquement. Quand ils ne seraient pas là, ni l'un ni l'autre, est-il sûr que nous aurions besoin d'un masque à oxygène ? J'en doute...

     

    (1)Lequel en est à sa troisième motion de défiance de la part des journalistes qui lui reproche, entre autres, son autoritarisme (ce qui amuse de la part d'un chantre de l'harmonie, du respect de l'autre, et autres boniments droits-de-l'hommiste...).


    Photo : Stuart Franklin

  • La forme creuse

    Il s'agit du Figaro.fr mais cela n'est que pure circonstance. Il pourrait être question de n'importe quel média presse, web ou non. La tendance, l'orientation partisane comme on dit, est secondaire. Ce qui prime : le vocabulaire sous-jacent.

    Le Figaro.fr change son format et tout est déjà dans le titre : «Le Figaro redessine son site Internet pour mieux raconter l'actualité ». Informer, c'est raconter. Le storytelling qui a fait fureur dans le domaine publicitaire depuis les années Reagan s'est définitivement installé dans le champ journalistique. On pourrait dire que l'affaire n'est pas si nouvelle. Dans un sens, Albert Londres était un écrivain, ou pour le moins, dans ses enquêtes, un narrateur. Certes. Il y avait chez lui le style, un style mis au service d'enquêtes au long cours. L'écriture était une partie du sens. L'écriture était, d'une certaine manière, une pratique construite, un véritable support procédant de toute une tradition qui ne se fondait pas sur le seul journalisme. Il n'est donc pas étonnant que de beaux écrivains furent, sans que cela soit incompatible, des chroniqueurs élégants : de Béraud à Blondin en passant par Vialatte, par exemple.

    Mais si l'on considère la médiocrité de l'écriture journalistique contemporaine, au Figaro comme ailleurs, ce n'est certainement pas le style qui permet de donner au verbe raconter toute sa noblesse. Comment, d'ailleurs, cela pourrait-il se faire ? L'information en continu donne-t-elle un autre choix qu'une écriture bâclée et à l'emporte-pièce ? Dès lors, le raconter dont il est question n'est rien d'autre qu'une mise en scène, plus ou moins biaisée, répondant à un diktat temporel croissant. Raconter l'actualité... Évidemment... Le factuel brut dans une logique spectaculaire pour attirer le chaland. Raconter ici signifie occuper l'espace. L'actualité est un film, ou peu s'en faut, que l'on aura l'occasion de scénariser, et encore : pas toujours, en fonction des intérêts de chacun. L'épisode Léonarda en aura été le dernier avatar.

    En fait on comprend mieux cette annonce à la lumière de ce que déclare Alexis Brezet, le rédacteur en chef : « nous ne changeons pas notre recette, mais nous augmentons la part consacrée à l'information, à la vidéo et à la photo ». Passons sur l'aveu, en creux, qui faisait/fait (?) que l'information n'est pas le centre de la publication (Serait-elle en fait le prétexte à un marché publicitaire ? Une nouvelle version du temps disponible de ce cher Patrick Le Lay ?). Retenons surtout qu'il s'agit d'une recette. Excès de langage, si on veut le défendre... À moins que ce ne soit le vrai signe du formatage de l'information. Le journal comme soumission du fond à un impératif formel. Comme dans une certaine restauration : masquer la médiocrité de ce que l'on donne par l'habillage. Plus encore : la recette suppose un protocole, une méthodologie, des quasi gimmicks capables de capter l'attention, de captiver l'esprit, de capturer le chaland. Peu importe ce qui, alors, est dit, l'essentiel est que cela passe bien. Ce n'est pas la matière qui compte mais sa lisibilité formelle. Formelle, sans même être nécessairement stylistique.

    Et si je parlais d'habillage, c'est parce que cette décision répond à une obligation (commerciale, on s'en doute) : la « nouvelle présentation [...] tient compte des dernières tendances dans le traitement de l'actualité sur le Web ». Tendances... L'affaire n'est pas que technique. Elle obéit aussi à des processus typiquement marketing. Il y a en matière d'information des tendances, comme dans la mode.

    L'histoire vient de loin, sans doute. Émile de Girardin et sa Presse, au milieu du XIXe siècle, avait creusé le sillon. On sait ce que Maupassant en fit en écrivant Bel Ami. Le plus remarquable tient dans le triomphe ouvert du discours publicitaire appliqué au monde journalistique. Que celui-ci prétendant encore à son statut de quatrième pouvoir, dont elle a récupéré les droits chez Burke, en soit arrivé là n'est pas vraiment un signe de bonne santé démocratique. Le roi est nu et ne cache même plus sa nudité.

     

     

  • Poubelle de la morale

    Comme aimait le rappeler l'anar Ferré, le problème avec la morale, c'est que c'est toujours la morale des autres. Mais il faut croire qu'une certaine gauche s'est fait la spécialiste de la morale à géométrie variable, fustigeant à qui mieux mieux et s'exemptant, en même temps, justement parce qu'elle se croit l'incarnation de la morale, de tout compte à rendre. Et cela avec une hypocrisie audacieuse et gonflée comme le crapaud de la fable. Dernier petit exemple.

    Le 13 de ce mois, le rédacteur en chef de Libération, le sieur Fabrice Rousselot se fend d'un papier, après l'interview de Marion Le Pen sur TF1 :

    « Un entretien avec Marine Le Pen n’est jamais anodin. À Libération, nous avons toujours refusé d’interviewer Le Pen père et Le Pen fille. C’est une position qui peut se discuter mais qui a au moins l’avantage d’être claire. »

    Ne discutons pas ici le côté Ponce Pilate et vaguement lâche de la posture. Il ne s'agit pas de savoir s'il faut bavarder avec la présidente du FN, mais de s'interroger sur l'utilité de la dialectique pour la combattre. Libération choisit la fuite, c'est son droit. Au nom, sans doute, d'une morale sans tâche, ou plutôt : d'une pureté de l'abstention (pourquoi pas le retrait dans un couvent, aussi...).

    La drôlerie est évidemment d'ajouter que ce même journal n'a jamais refusé de discuter avec le sinistre islamiste Tariq Ramadan (Libération du 27 avril 2013) et qu'elle ouvre ce jour ses colonnes aux élucubrations de Jean-Gabriel Cohn-Bendit, lequel se porta un temps garant intellectuel (misère...) de Robert Faurisson, chante des révisionnistes hexagonaux.

    Dont acte.

  • Voici Le Monde...

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    Parfois, quand vous faites vos courses et que vous vous répartissez les joyeux ennuis de l'attente aux caisses, vous êtes celui (ou celle) qui a fini le premier. Alors, vous attendez (comme quoi, on ne sort jamais vraiment du système) et les grandes et moyennes surfaces ayant eu comme prétention de répandre la culture, elles ont des rayons littérature réductibles au tout venant de la palinodie consumériste. On y trouve évidemment Musso, Lévy, et Millénium, mais aussi les multiples avatars de l'écriture journalistique devant quoi, aujourd'hui, le monde de la littérature recule insensiblement. 

    Mais revenons à notre pénible attente et au rayonnage des exemplaires de la moderne littérature. Nous attendons donc et nous voyons, bien en évidence sur le présentoir, un couple. C'est une romance, une sorte d'illustration (pour ne pas dire une inscription dans le marbre) du glamour. Il a le charme vague -très vague- d'un Cassavetes ou d'un Berstein bouffi, elle, le brushing et le magnétisme, hélas éteint, d'une Liz Taylor. Ils posent, ils nous regardent. Ils sont les symboles parfaits (et la perfection est alors le signe même de l'imperfection, pire : de l'imposture) du duo kitsch, de l'histoire mainte fois épuisé de l'union idéal. Ils ont tout pour être heureux : l'art de la séduction (comme quoi, photoshop est magique, un véritable détournement) en absolu témoignage de la réussite. Il faut que nous les enviions, que nous les désirions, que nous nous projetions ; et nous avons l'air un peu crétin avec nos sacs plastiques où se mélangent, pêle-mêle, les tomates séchées, la salade trévise, le San Daniele, deux bouteilles de Perrier, trois courgettes et un pot de confiture poire-mandarine. Il y a de quoi se sentir minable, n'est-ce pas, d'être ainsi ancré dans la prosaïque quotidienneté... Eux, si beaux, si forts, si loin. 

    D'ailleurs, ils ont un nom : les Strauss-Khan, comme il y avait les Kennedy. Ce n'est pas un couple mais une légende. Une entité double mais complexe. Un monde, un univers, une histoire, une romance, un scénario...  Tout ce qu'on veut, pourvu que l'on soit capable de comprendre que par le pluriel il s'agit moins d'eux que de nous, de notre médiocrité face à leur existence quasi cinématographique. Pourtant, nous, miette de l'univers (à l'aune du diktat médiatique), nous savons combien ce titre est faux puisque leur vie commune a volé en éclat. Mais c'est bien le principe des gens d'exception d'exister par delà leurs échecs, les troubles du quotidien, les mensonges, les petits arrangements du pouvoir, les trahisons, les douleurs... Ils sont insubmersibles. Il est donc possible, sans le moindre ridicule, sans qu'ils aient même l'idée d'intenter un procès à l'éditeur, de poser avec autant d'aplomb, de faire que ce cliché du passé puisse survivre à l'épreuve de la réalité. Ils sont dans l'éternité de leur représentation, dans ce qu'ils avaient décidé d'être, et que rien, et surtout pas la réalité, ne peut entacher.

    Puis quelques jours passent et comme il n'est pas de réalité sans une certaine forme de répétition (dont nous essayons de neutraliser la pesanteur en trouvant des subterfuges), nous revenons au même endroit et cette fois, nous prenons le livre et le lisons en diagonales. Autant dire que nous ne le lisons pas ; mais en même temps nous en saisissons la substantifique moëlle, laquelle est aussi peu nourrissante qu'une carcasse de poulet d'élevage. La pauvreté de la prose s'allie à la médiocrité du propos. Cela pue le cancan et le cul-de-basse-fosse, l'analyse politique micro-ondes, la tambouille des petites fiches scolaires. Rien que nous ne sachions déjà, après tant de déballages de presse, rien qui ne puisse nous rendre indifférent au personnel politique et médiatique

    Cette médiocrité assez putride, nous ne la devons pas à quelque paparazzo en mal de célébrité, à quelque plumitif people. Que nenni ! Nous sommes redevables de deux journaliste du Monde. N'est-ce pas magnifique ? Au fond, ce n'est rien d'autre que du Voici pour bac +3 (mais en écrivant cela, je mesure que je méprise inutilement et injustement le lecteur ou la lectrice de Voici... sans atteindre jamais la cible véritable : le lecteur contemporain du Monde.). Il y en a qui glousseraient devant le populo engagé dans la lecture d'une biographie de Rihanna ou d'Amy Winehouse. Mais, là, l'histoire vole autrement plus haut. Il est certain que le sujet est porteur et que la profondeur intellectuelle de ce qui fut un phare (sinon Le phare) de la presse française ne peut plus s'indigner que deux de ces journalistes aillent à la soupe. C'est humain, parisien, vulgaire mais il faut bien arrondir ses fins de mois...

  • Parler au micro

     

    journalisme,décence



    Il s'est approché du micro. Il avait les yeux rougis par le chagrin. Il venait de perdre un ami de longue date. Il était effondré ; il s'y attendait mais ce n'est pas exactement attendre que cette chose immonde forcément triomphante. Alors le journaliste lui a demandé si l'heure n'était pas à se souvenir des bons moments. Il a eu l'air ahuri devant une telle ineptie. Que voulez-vous que je vous dise ? Par la réponse en forme de question, il bottait en touche. Il fuyait avec le tact nécessaire la grossièreté de l'interlocuteur et la profondeur de sa misère. Ainsi restait-il dans le jeu lissé que les médias organisent au décès d'une célébrité. Poser la question absurde : lui-même savait qu'il aurait pu être à sa place, de l'autre côté du micro. Il ne fait que son travail. Si c'en est un...


    Photo : X...



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  • Folliculaires...

    Contrairement à l'idée reçue, les Lumières regardèrent avec une certaine circonspection le développement des journaux, n'y voyant que l'instrument d'une pensée au jour le jour, décousu et somme toute de peu de portée. Avant que Burke n'évoque la presse comme un quatrième pouvoir, les écrivains dont on vante sans cesse le goût pour les libertés et l'instruction étaient dubitatifs sur la valeur même de ce nouveau medium. Peut-être ne croyaient-ils pas en sa réussite... Ce en quoi les siècles suivants leur auront apporté un sérieux démenti.

    Il y a pourtant un point qui, malgré tout, est à porter à leur crédit. Ils ont vu avec lucidité que la presse n'était pas, ne serait pas un complément du livre classique mais, à longue échéance, sa neutralisation. Le fait que, progressivement, le monde de la littérature et de la pensée, devenant au XIXe le monde éditorial et littéraire, se soit accointé avec celui du journalisme, a débouché sur une confusion dommageable à la définition même des cadres intellectuels. Balzac, Baudelaire ou Zola sont parmi les agents les plus significatifs de cette confusion, qui consacre au XXe siècle, avec le sommet qu'est la figure sartrienne, l'écrivain médiatisé, puis l'écrivain ou le penseur médiatique, celui qui se donne en spectacle.

    L'écrivain a sa carte de presse. Il y a même un prix réservé à celui qui combine (et j'emploie ce verbe à dessein) les deux activités : L'Interallié. Cette confusion des genres très française n'est pas sans incidences. Elle permet à lune certaine écrivaillerie hexagonale d'être à la fois en tête de gondole littéraire, dans les magazines, dans les journaux, à la télévision : commentateurs, éditorialistes, critiques et écrivains. Cette côterie est multi-fonction, multi-cartes (comme le moindre vrp), polyvalente, adaptable à toutes les situations, en bonne troupe libérale qui se doit de montrer que rien ne la désarme. Elle est son auto-fiction permanente et se donne en spectacle à longueur de pages et d'interviews dont elle connaît les artifices, puisqu'elle s'acoquine depuis longtemps avec ceux qui font la littérature (comme on dit : font l'affaire. Et d'ailleurs, il s'agit de cela : faire l'affaire, faire des affaires). Les statues du Commandeur en la matière sont la baudruche sollersienne, Casanova de l'Infini à la portée des gogos, passé du riz maoïste à la  soupe libérale, et BHL, la phrase gonflée comme un brushing, homme de toutes les batailles et de toutes les justices pourvu qu'elles soient filmées.

    Et de relire Rousseau, pour le plaisir et par hygiène...



    Lettre de Jean-Jacques Rousseau à M. Verne le 2 avril 1755.


    "Vous voilà donc, Messieurs, devenus auteurs périodiques. Je vous avoue que votre projet ne me rit pas autant qu'à vous : j'ai du regret de voir des hom­mes faits pour élever des monuments se contenter de porter des matériaux, et d'architectes se faire manœuvres. Qu'est-ce qu'un livre périodique ? Un ouvrage éphémère, sans mérite et sans utilité, dont la lecture négligée et méprisée par les gens lettrés, ne sert qu'à donner aux femmes et aux sots de la vanité sans instruction, et dont le sort, après avoir brillé le matin sur la toilette, est de mourir le soir dans la garde-robe. D'ailleurs, pouvez-vous vous résoudre à prendre des pièces dans les journaux et jusque dans le Mercure, et à compiler des compilations ? S'il n'est pas impossible qu'il s'y trouve par hasard quelque bon morceau, il est impossible que, pour le déterrer, vous n'ayez le dégoût d'en lire toujours une multitude de détestables. La philosophie du cœur coûtera cher à l'esprit, s'il faut le remplir de tous ces fatras. Enfin, quand vous auriez assez de zèle pour soutenir l'ennui de toutes ces lectures, qui vous répondra que votre choix sera fait comme il doit l'être, que l'attrait de vos vues particulières ne l'emportera pas souvent sur l'utilité publique, ou que, si vous ne songez qu'à cette utilité, l'agrément n'en souffrira point ? Vous n'ignorez pas qu'un bon choix littéraire est le fruit du goût le plus exquis, et qu'avec tout l'esprit et toutes les connaissances imaginables, le goût ne peut assez se perfectionner dans une petite ville pour y acquérir cette sûreté nécessaire à la formation d'un recueil. Si le vôtre est excellent, qui le sentira ? s'il est médiocre, et par conséquent détestable, aussi ridicule que le Mercure suisse, il mourra de sa mort naturelle, après avoir amusé durant quelques mois les caillettes du Pays de Vaud. Croyez-moi, Monsieur, ce n'est point cette espèce d'ouvrage qui vous convient. Des ouvrages graves et profonds peuvent nous honorer, tout le colifichet de cette petite philosophie à la mode nous va fort mal. Les grands objets, tels que la vertu et la liberté, étendent et fortifient l'esprit ; les petits, tels que la poésie et les beaux-arts, lui donnent plus de délicatesse et de subtilité : il faut un télescope pour les uns, un microscope pour les autres ; et les hommes accoutumés à mesurer le ciel ne sauraient disséquer des mouches ; voilà pourquoi Genève est le pays de la sagesse et de la raison, et Paris le siège du goût. Laissons-en donc les raffinements à ces myopes de la littérature, qui passent leur vie à regarder des cirons au bout de leur nez ; sachons être plus fiers du goût qui nous manque, qu'eux de celui qu'ils ont ; et, tandis qu'il feront des journaux et des brochures pour les ruelles, tâchons de faire des livres utiles et dignes de l'immortalité."

     

  • La falsification en douce

    Dans son édition du 9 février 2011, Libération publiait un article sur les déboires de Michèle Alliot-Marie en Tunisie. Le papier n'avait en soi rien de très neuf. Il ne faisait qu'illustrer la bêtise ministérielle, son inconséquence, ou, ce qui est le plus vraisemblable, le mépris pour la chose publique. MAM est au quai d'Orsay et l'on se demande bien pourquoi si elle est ainsi ignorante des agitations du monde. Il est vrai qu'elle n'est peut-être là que pour achever un parcours politique exemplaire où elle aura été de toutes les fonctions régaliennes (un peu comme un footballeur qui aurait fait le tour des grands clubs).

    Mais la question de ce billet ne porte pas sur les reproches que l'on peut adresser à cette médiocre diplomate. Elle concerne le journal lui-même, que je ne lis plus depuis longtemps (ou si peu), rachitique et creux qu'il est désormais devenu. Il y avait fort longtemps que je ne m'étais commis à lire sa prose. Au moins ne m'y suis-je pas attardé pour rien... Pour accompagner cet article, une photographie, dans un format qui prend à peu près le tiers de la double page. C'est un portrait assez serré de MAM. Au cas, sans doute, où le lecteur idiot n'aurait pas compris ce qu'il lisait. Je m'y arrête un peu, sur ce cliché tant il est remarquable. On y voit une ministre impeccablement peignée, avec des lunettes noires, col ouvert avec un foulard discret : un petit air Catherine Deneuve qui n'aura jamais réussi à être aussi belle que l'actrice (il faut faire avec ce qu'on a). Elle esquisse un léger sourire, rictus si rare chez celle dont la rigidité, dans le physique et le phrasé, est remarquable. Elle n'a rien, bien sûr, de la vacancière en goguette, de madame Michu sortant de l'hôtel ou du camping. Mais on s'en doutait. Dans le contexte où cette photo apparaît le lecteur se dit que la mère MAM se moque du monde, qu'à l'heure où des peuples sont soi-disant à se battre pour conquérir leur liberté (je croyais moi qu'ils l'avaient obtenue à l'indépendance. Je suis bien naïf...) elle est tranquille à trimballer l'élégance française au soleil doux d'un hiver tunisien évidemment plus clément que le nôtre (pensez : il y en a à ce moment-là  (nous sommes en décembre quand elle fait son escapade coupable) qui sont en train de se morfondre dans des aéroports puisqu'il neige...). Oui, ce photo est une incitation à demander sa démission, à crier à l'irresponsabilité étatique. Dehors MAM, vais-je mettre sur une banderole, remerciant Libération d'avoir avec beaucoup de pertinence démasqué celle qui fait passer mon pays pour un ami des puissants et des violents (alors qu'on nous rebat les oreilles sur la France et les droits de l'homme et phare du monde)... Il est évident que cette photo est une pièce à verser au dossier. Elle concrétise et synthétise le discours moral de ce journal anti-gouvernemental et joue sur l'immédiateté d'une visibilité à laquelle on délègue en quelque sorte la totalité du sens.

    D'ailleurs, la colère monte en moi (enfin presque) quand je commence à lire la légende qui, en blanc sur le fond de la dite photo, est écrite en petits caractères. Michèle Alliot-Marie en Tunisie... Oui, vraiment, à vous dégoûter de tout... Sauf que... en Tunisie en avril 2006. Oui, je lis bien : en avril 2006. Quand tout le monde s'accommodait très bien du régime de Ben Ali... Quel est le contexte de ce portrait souriant et guindé ? Des vacances ? Un voyage officiel ? Rien en tout cas qui puisse être objectivement et honnêtement rattaché à la situation présente, sinon que Libération nous informe (?) que MAM a déjà mis les pieds sur le sol tunisien.

    Alors ? Il s'agit de produire un effet, de cingler immédiatement l'esprit du lecteur d'un surcroît de mépris. L'information est nulle ; elle est même détournée. Le cliché est ici un exercice de falsification et le fait de légender la photo ne change rien. Il ne suffit pas aux diverses compagnies commerciales d'écrire en bas de page, dans des dimensions quasi illisibles, toutes les tables de leur loi, et de les invoquer ensuite, quand on veut presser le citron que vous êtes devenu, il ne suffit pas d'être en règle avec la loi pour ne pas être malhonnête. De même que le légal n'est pas le légitime... En procédant de la sorte et Libération n'est qu'un exemple, le journalisme fait la preuve de sa déchéance. En donnant de plus en plus de place à l'image, c'est-à-dire à ce qui se passe de commentaires, selon la bonne parole commune, parole creuse s'il en est, les journaux n'éclairent en rien les arcanes de la démocratie ; ils s'effacent un  peu plus chaque jour de l'ambition qu'ils affichent : informer, aider, libérer, pour n'être plus que les promoteurs de leur propre nécessité. Les quotidiens de la presse écrite française sont devenus aussi pauvres qu'est légère leur pagination.  Le texte n'est plus leur unique préoccupation. Pour qui les lit de loin en loin, on se dit qu'on n'y perd rien...