usual suspects

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

anne sinclair

  • Voici Le Monde...

    les-strauss-kahn-raphaelle-bacque-ariane-chemin1.jpg

    Parfois, quand vous faites vos courses et que vous vous répartissez les joyeux ennuis de l'attente aux caisses, vous êtes celui (ou celle) qui a fini le premier. Alors, vous attendez (comme quoi, on ne sort jamais vraiment du système) et les grandes et moyennes surfaces ayant eu comme prétention de répandre la culture, elles ont des rayons littérature réductibles au tout venant de la palinodie consumériste. On y trouve évidemment Musso, Lévy, et Millénium, mais aussi les multiples avatars de l'écriture journalistique devant quoi, aujourd'hui, le monde de la littérature recule insensiblement. 

    Mais revenons à notre pénible attente et au rayonnage des exemplaires de la moderne littérature. Nous attendons donc et nous voyons, bien en évidence sur le présentoir, un couple. C'est une romance, une sorte d'illustration (pour ne pas dire une inscription dans le marbre) du glamour. Il a le charme vague -très vague- d'un Cassavetes ou d'un Berstein bouffi, elle, le brushing et le magnétisme, hélas éteint, d'une Liz Taylor. Ils posent, ils nous regardent. Ils sont les symboles parfaits (et la perfection est alors le signe même de l'imperfection, pire : de l'imposture) du duo kitsch, de l'histoire mainte fois épuisé de l'union idéal. Ils ont tout pour être heureux : l'art de la séduction (comme quoi, photoshop est magique, un véritable détournement) en absolu témoignage de la réussite. Il faut que nous les enviions, que nous les désirions, que nous nous projetions ; et nous avons l'air un peu crétin avec nos sacs plastiques où se mélangent, pêle-mêle, les tomates séchées, la salade trévise, le San Daniele, deux bouteilles de Perrier, trois courgettes et un pot de confiture poire-mandarine. Il y a de quoi se sentir minable, n'est-ce pas, d'être ainsi ancré dans la prosaïque quotidienneté... Eux, si beaux, si forts, si loin. 

    D'ailleurs, ils ont un nom : les Strauss-Khan, comme il y avait les Kennedy. Ce n'est pas un couple mais une légende. Une entité double mais complexe. Un monde, un univers, une histoire, une romance, un scénario...  Tout ce qu'on veut, pourvu que l'on soit capable de comprendre que par le pluriel il s'agit moins d'eux que de nous, de notre médiocrité face à leur existence quasi cinématographique. Pourtant, nous, miette de l'univers (à l'aune du diktat médiatique), nous savons combien ce titre est faux puisque leur vie commune a volé en éclat. Mais c'est bien le principe des gens d'exception d'exister par delà leurs échecs, les troubles du quotidien, les mensonges, les petits arrangements du pouvoir, les trahisons, les douleurs... Ils sont insubmersibles. Il est donc possible, sans le moindre ridicule, sans qu'ils aient même l'idée d'intenter un procès à l'éditeur, de poser avec autant d'aplomb, de faire que ce cliché du passé puisse survivre à l'épreuve de la réalité. Ils sont dans l'éternité de leur représentation, dans ce qu'ils avaient décidé d'être, et que rien, et surtout pas la réalité, ne peut entacher.

    Puis quelques jours passent et comme il n'est pas de réalité sans une certaine forme de répétition (dont nous essayons de neutraliser la pesanteur en trouvant des subterfuges), nous revenons au même endroit et cette fois, nous prenons le livre et le lisons en diagonales. Autant dire que nous ne le lisons pas ; mais en même temps nous en saisissons la substantifique moëlle, laquelle est aussi peu nourrissante qu'une carcasse de poulet d'élevage. La pauvreté de la prose s'allie à la médiocrité du propos. Cela pue le cancan et le cul-de-basse-fosse, l'analyse politique micro-ondes, la tambouille des petites fiches scolaires. Rien que nous ne sachions déjà, après tant de déballages de presse, rien qui ne puisse nous rendre indifférent au personnel politique et médiatique

    Cette médiocrité assez putride, nous ne la devons pas à quelque paparazzo en mal de célébrité, à quelque plumitif people. Que nenni ! Nous sommes redevables de deux journaliste du Monde. N'est-ce pas magnifique ? Au fond, ce n'est rien d'autre que du Voici pour bac +3 (mais en écrivant cela, je mesure que je méprise inutilement et injustement le lecteur ou la lectrice de Voici... sans atteindre jamais la cible véritable : le lecteur contemporain du Monde.). Il y en a qui glousseraient devant le populo engagé dans la lecture d'une biographie de Rihanna ou d'Amy Winehouse. Mais, là, l'histoire vole autrement plus haut. Il est certain que le sujet est porteur et que la profondeur intellectuelle de ce qui fut un phare (sinon Le phare) de la presse française ne peut plus s'indigner que deux de ces journalistes aillent à la soupe. C'est humain, parisien, vulgaire mais il faut bien arrondir ses fins de mois...

  • Un(e) grand(e) professionnel(le) (groupe nominal)

    Voilà bien une expression propre au monde médiatique. Nous, qui vivons dans le commun, connaissons des gens qui travaillent bien, qui font bien leur boulot, des pros, mais jamais il ne nous viendrait à l'idée d'appeler notre boucher (fût-il M.O.F.), notre boulanger, notre plombier ou notre médecin ainsi.

    Cette dénomination, on l'entend particulièrement pour encenser les journalistes, et cela depuis une vingtaine d'années. C'est-à-dire à partir du moment où, au-delà des figures inféodées au pouvoir (sous de Gaulle ou Giscard) est apparu ce curieux mariage des médias avec le politique. Et quand je parle de mariage, il faut prendre ce mot stricto sensu. Je me souviens d'une interview stupéfiante de François Mitterrand répondant aux questions d'Anne Sinclair (compagne de Dominique Strauss-Khan) et de Christine Ockrent (compagne de Bernard Kouchner). Certains s'en étaient offusqués et l'on avait alors entendu la justification suprême : ce sont de grandes professionnelles. Depuis, nous en avons eu d'autres : Béatrice Schoenberg (avec Borloo), Marie Drucker (avec Baroin), Audrey Pulvar (avec Montebourg). Il ne s'agit pas de mettre en doute les capacités de ce beau monde mais de sourire devant la faille de l'expression même.

    Proust (encore et toujours) nous a appris que pour mentir juste il ne faut jamais chercher à parer toutes les éventualités (C'est dans Un Amour de Swann : Odette fait cette erreur et son amant s'en rend compte). Dans le cas qui nous occupe, on retiendra la bizarrerie de l'adjectif. Pourquoi grand(e) ? Le professionnalisme a-t-il des degrés ? Si l'on veut valoriser, sans arrière-pensée, la sobriété, paradoxalement, s'impose. L'adjectivation est un surplus, une volonté de preuve, un aveu : la présence acharnée de celui qui parle, comme l'adverbe dont parle U. Eco, et qui veut se convaincre lui-même de son affirmation. Elle est le «je te jure» des enfants pris en faute : je te jure, c'est vrai de vrai. L'adjectif est, sinon l'inconscient de la collusion, du moins la reconnaissance d'une légitime suspicion.

    Or, en la matière, les journalistes, plus que les politiques, bénéficient d'une mansuétude dont ils sont les premiers pourvoyeurs lorsqu'il s'agit d'eux-mêmes. Mutadis mutandis, peu d'élus auraient joui d'une telle impunité qu'en ont été gratifiés Poivre d'Arvor bidonnant une interview de Castro, ou David Pujadas anticipant à tort la décision d'Alain Juppé alors sur la chaîne concurrente. Ces petits écarts ne les empêchent d'être dans le métier reconnus comme de grands professionnels.

    En fait, nous touchons là, dans le domaine de l'information, à l'hypocrisie de ce qu'il est commun d'appeler la déontologie. Se retrancher derrière le grand professionnalisme de tel(le) ou tel(le) est une manière d'éluder le trouble né de la confusion des sphères de pouvoir. Plus encore, c'est déporter sur le plan de l'éthique individuelle ce qui relève d'abord de la morale collective. Sainclair ou Ockrent sont anecdotiques. En revanche, le problème que leur situation met en lumière est l'écart grandissant qui existe entre les élites, auxquelles on prête une justesse d'appréciation, une rigueur dans le travail, une honnêteté intellectuelle sans failles, et le quidam qui a tout à prouver. Cette manière de faire est une forme assez remarquable d'outrecuidance, le signe d'un mépris pour le peuple qui, par essence, est bête et devant lequel on ne prend même plus le soin de cacher ses éventuelles turpitudes. S'en remettre à la seule intelligence d'un grand professionnel n'est pas le gage d'une indépendance structurelle des médias.

    Cette catastrophique évolution est remarquable dans notre pays parce que les gens ont à ce point personnifié l'information que l'intercesseur du monde qu'est devenu le présentateur du journal a fini par gagner une sorte d'immunité diplomatique. Dès lors, on lui pardonne tout, et cette reconnaissance du grand professionnalisme de Sainclair, Pujadas, ou Poivre d'Arvor, elle est aussi défendue par ceux que l'on piège. Sans quoi il ne serait guère concevable qu'un pays se régalât d'avoir au 20 heures chaque soir le même homme pendant vingt-cinq ans.