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sollers

  • Folliculaires...

    Contrairement à l'idée reçue, les Lumières regardèrent avec une certaine circonspection le développement des journaux, n'y voyant que l'instrument d'une pensée au jour le jour, décousu et somme toute de peu de portée. Avant que Burke n'évoque la presse comme un quatrième pouvoir, les écrivains dont on vante sans cesse le goût pour les libertés et l'instruction étaient dubitatifs sur la valeur même de ce nouveau medium. Peut-être ne croyaient-ils pas en sa réussite... Ce en quoi les siècles suivants leur auront apporté un sérieux démenti.

    Il y a pourtant un point qui, malgré tout, est à porter à leur crédit. Ils ont vu avec lucidité que la presse n'était pas, ne serait pas un complément du livre classique mais, à longue échéance, sa neutralisation. Le fait que, progressivement, le monde de la littérature et de la pensée, devenant au XIXe le monde éditorial et littéraire, se soit accointé avec celui du journalisme, a débouché sur une confusion dommageable à la définition même des cadres intellectuels. Balzac, Baudelaire ou Zola sont parmi les agents les plus significatifs de cette confusion, qui consacre au XXe siècle, avec le sommet qu'est la figure sartrienne, l'écrivain médiatisé, puis l'écrivain ou le penseur médiatique, celui qui se donne en spectacle.

    L'écrivain a sa carte de presse. Il y a même un prix réservé à celui qui combine (et j'emploie ce verbe à dessein) les deux activités : L'Interallié. Cette confusion des genres très française n'est pas sans incidences. Elle permet à lune certaine écrivaillerie hexagonale d'être à la fois en tête de gondole littéraire, dans les magazines, dans les journaux, à la télévision : commentateurs, éditorialistes, critiques et écrivains. Cette côterie est multi-fonction, multi-cartes (comme le moindre vrp), polyvalente, adaptable à toutes les situations, en bonne troupe libérale qui se doit de montrer que rien ne la désarme. Elle est son auto-fiction permanente et se donne en spectacle à longueur de pages et d'interviews dont elle connaît les artifices, puisqu'elle s'acoquine depuis longtemps avec ceux qui font la littérature (comme on dit : font l'affaire. Et d'ailleurs, il s'agit de cela : faire l'affaire, faire des affaires). Les statues du Commandeur en la matière sont la baudruche sollersienne, Casanova de l'Infini à la portée des gogos, passé du riz maoïste à la  soupe libérale, et BHL, la phrase gonflée comme un brushing, homme de toutes les batailles et de toutes les justices pourvu qu'elles soient filmées.

    Et de relire Rousseau, pour le plaisir et par hygiène...



    Lettre de Jean-Jacques Rousseau à M. Verne le 2 avril 1755.


    "Vous voilà donc, Messieurs, devenus auteurs périodiques. Je vous avoue que votre projet ne me rit pas autant qu'à vous : j'ai du regret de voir des hom­mes faits pour élever des monuments se contenter de porter des matériaux, et d'architectes se faire manœuvres. Qu'est-ce qu'un livre périodique ? Un ouvrage éphémère, sans mérite et sans utilité, dont la lecture négligée et méprisée par les gens lettrés, ne sert qu'à donner aux femmes et aux sots de la vanité sans instruction, et dont le sort, après avoir brillé le matin sur la toilette, est de mourir le soir dans la garde-robe. D'ailleurs, pouvez-vous vous résoudre à prendre des pièces dans les journaux et jusque dans le Mercure, et à compiler des compilations ? S'il n'est pas impossible qu'il s'y trouve par hasard quelque bon morceau, il est impossible que, pour le déterrer, vous n'ayez le dégoût d'en lire toujours une multitude de détestables. La philosophie du cœur coûtera cher à l'esprit, s'il faut le remplir de tous ces fatras. Enfin, quand vous auriez assez de zèle pour soutenir l'ennui de toutes ces lectures, qui vous répondra que votre choix sera fait comme il doit l'être, que l'attrait de vos vues particulières ne l'emportera pas souvent sur l'utilité publique, ou que, si vous ne songez qu'à cette utilité, l'agrément n'en souffrira point ? Vous n'ignorez pas qu'un bon choix littéraire est le fruit du goût le plus exquis, et qu'avec tout l'esprit et toutes les connaissances imaginables, le goût ne peut assez se perfectionner dans une petite ville pour y acquérir cette sûreté nécessaire à la formation d'un recueil. Si le vôtre est excellent, qui le sentira ? s'il est médiocre, et par conséquent détestable, aussi ridicule que le Mercure suisse, il mourra de sa mort naturelle, après avoir amusé durant quelques mois les caillettes du Pays de Vaud. Croyez-moi, Monsieur, ce n'est point cette espèce d'ouvrage qui vous convient. Des ouvrages graves et profonds peuvent nous honorer, tout le colifichet de cette petite philosophie à la mode nous va fort mal. Les grands objets, tels que la vertu et la liberté, étendent et fortifient l'esprit ; les petits, tels que la poésie et les beaux-arts, lui donnent plus de délicatesse et de subtilité : il faut un télescope pour les uns, un microscope pour les autres ; et les hommes accoutumés à mesurer le ciel ne sauraient disséquer des mouches ; voilà pourquoi Genève est le pays de la sagesse et de la raison, et Paris le siège du goût. Laissons-en donc les raffinements à ces myopes de la littérature, qui passent leur vie à regarder des cirons au bout de leur nez ; sachons être plus fiers du goût qui nous manque, qu'eux de celui qu'ils ont ; et, tandis qu'il feront des journaux et des brochures pour les ruelles, tâchons de faire des livres utiles et dignes de l'immortalité."