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territoire

  • Larbaud, la sensibilité itinérante

    J'ai déjà évoqué ce grand écrivain qu'est Valery Larbaud (ici et ici). Et les tenants du cosmopolitisme, bêtes comme des oies, ignares comme des parvenus dignes du monsieur Prudhomme dont se gaussait Verlaine, avec son esprit juste milieu et ses pantoufles, feraient bien de le lire pour comprendre combien cet homme si magnifique était à la fois un esprit du monde, du lointain, et un esprit du proche, de cette âme du lieu que des incultes, dont le plus grand mérite est le plus souvent d'être des héritiers des Trente Glorieuses, regardent comme une tare et un effroi de bien nourris.

    On peut tout détruire et je ne vois pas de différence philosophique entre les islamistes de l'EI qui saccagent Palmyre et les partisans très modernes et libéraux de la mise en scène du patrimoine à des fins commerciales.

    Je suis un nostalgique. J'aime la lenteur et je me souviens de mon premier voyage en train, tout enfant, entre Rennes et Combourg, et l'oncle qui nous attendait avec sa Dauphine. Un signe, dirait une mienne connaissance. Une rencontre déjà prévue avec Chateaubriand.

    Mais laissons nos souvenirs. Il faut se taire et lire Larbaud, dont les mots, la mélodie fluctuante, comptent bien plus que notre mélancolie. Il sait, avec magie et sensibilité, évoquer un lieu abandonné (ce qui, au fond, est un moindre mal, à côté de celui qu'on détruit).

     

     

     

    L'ancienne gare de Cahors

    Voyageuse ! ô cosmopolite ! à présent
    Désaffectée, rangée, retirée des affaires.
    Un peu en retrait de la voie,
    Vieille et rose au milieu des miracles du matin,
    Avec ta marquise inutile,
    Tu étends au soleil des collines ton quai vide
    (Ce quai qu'autrefois balayait
    La robe d'air tourbillonnant des grands express)
    Ton quai silencieux au bord d'une prairie,
    Avec les portes toujours fermées de tes salles d'attente,
    Dont la chaleur de l'été craquelle les volets...
    Ô gare qui as vu tant d'adieux,
    Tant de départs et tant de retours,
    Gare, ô double porte ouverte sur l'immensité charmante
    De la Terre, où quelque part doit se trouver la joie de Dieu
    Comme une chose inattendue, éblouissante ;
    Désormais tu reposes et tu goûtes les saisons
    Qui reviennent portant la brise ou le soleil, et tes pierres
    Connaissent l'éclair froid des lézards ; et le chatouillement
    Des doigts légers du vent dans l'herbe où sont les rails
    Rouges et rugueux de rouille,
    Est ton seul visiteur.
    L'ébranlement des trains ne te caresse plus :
    Ils passent loin de toi sans s'arrêter sur ta pelouse,
    Et te laissent à ta paix bucolique, ô gare enfin tranquille
    Au cœur frais de la France.

    Valery Larbaud, Les Poésies d'A.O.Barnabooth, 1913

     

     

     

     

     

     

  • Jouer l'indignation

      

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    Le 2 août, la comique de droite Natacha Polony commettait un article dans Le Figaro au titre magnifique : ces paysages que l'on assassine, dans lequel elle s'alarmait et se lamentait (pour le moins) de la disparition des paysages français au profit (si l'on peut dire) d'une rentabilité obtuse à l'ère de la rationalité néo-libérale à laquelle elle collabore (sans quoi elle ne se répandrait pas dans ce journal et ne ferait pas l'exercice vulgaire d'être l'allier de l'histrionnesque Ruquier (1).)

    Elle découvre donc la France et la manière dont la modernité la massacre. Elle retarde un peu. On peut toujours lui conseiller de se retourner vers la mission de la DATAR des années 80, laquelle conviait des photographes à explorer la France (2). Elle peut aussi se replonger dans les œuvres de Pierre Bergounioux, Jean-Christophe Bailly et plus lointain, ce cher Giono. Évidemment, s'il faut aller dans le plus sulfureux, il y a de magnifiques pages sur la puissance du paysage chez Barrès, notamment dans Les Déracinés et plus encore dans ce voyage initiatique du père et du fils que sont Les Amitiés françaises (livre dans lequel on trouve déjà le lamento du paysage perdu...), quand, par exemple, il évoque le promontoire de Sion-Vaudémont : 

    « Le lendemain, vers les trois heures de l'après-midi, quand nous eûmes gravi les côtes qui dessinent le cours de la Moselle et que le promontoire de Sion-Vaudémont, brusquement, apparut sur la vaste plaine agricole, nous y marchâmes tout droit à travers les antiques villages.C'est ici le Xaintois, que César disait un grenier; c'est le comté de Vaudémont, petite province de la souveraineté des ducs, mais distincte de leur Lorraine et du Barrois. Depuis des siècles, sur cette terre, rien ne bouge, et ses cultures immuables commandent des mœurs auxquelles nul ne se dérobe, sinon par la fuite dans les villes. Je fais écouter par Philippe un silence qui jadis enveloppa ses pères. Nous laissons l'automobile au pied de la falaise historique, qui, presque à pic, se dresse de deux cents mètres. Nous gravissons à pied le sentier découvert, et c'est encore à pied que Philippe et moi, nous suivrons dans tout son développement la sainte colline, telle que nous l'embrassons maintenant : bizarre cirque herbacé, en forme de fer à cheval, qui surplombe un vaste horizon de villages, de prairies, de bosquets, de champs de blé surtout, et que cerclent des forêts. 

    À la pointe où nous sommes d'abord parvenus, il y a le clocher de Sion, et sur l'autre jointe. pour nous faire face, la ruine de Vaudémont. De ce témoin religieux à ce témoin féodal, en suivant la ligne de faîte, par le taillis de Playmont, le Point de Vue, les Ghambettes et la porte du Traître, c'est une course de deux petites heures. Je ne sais pas au monde un promenoir qui me contente davantage ».

    Ces quelques lignes ont sans doute, au goût de beaucoup, un accent trop français ; elles dissonnent dans le concert mondialisé de l'homogénéité terrible et de l'alignement froid. Mais, pour qui a vécu en zone frontalière, s'il y a bien des glissements et des influences, il est aussi de franches ruptures. La Flandre française n'est nullement la Belgique. On la reconnaît d'un coup d'œil. En fait, le démembrement du territoire français, son industrialisation, sa fermeture utilitaire pour en faire là une Z.I., ici un autoroute, ailleurs une étendue banlieusarde, encore : le règne de l'agriculture intensive ou un parc pour touristes désœuvrés, ce démembrement est le fruit entendu et rationalisé d'une vision dont le journal qui emploie la pauvre Polony est un défenseur zélé. On ne peut à la fois se chagriner que la campagne ne soit plus qu'une attraction récurée quand il fut de bon ton de moquer les régionalistes, les partisans d'une ruralité humaine. Car, si l'on veut bien ne pas s'en tenir à la déploration que l'on prend souvent pour une forme molle de la pensée : la nostalgie comme sclérose, il faut tirer de cette désagrégation du paysage un constat plus sombre. C'est bien là une manière de chasser l'Histoire. En défaisant ce qui est bien plus qu'un décor, un héritage, on cherche avec l'uniformisation la disparition de ce sens profond qu'est l'enracinement, dont une des formes les plus précises est justement la capacité des hommes à se reconnaître face et dans le paysage. Et cette reconnaissance est évidemment double : le repérage se mélange à l'identification. La question n'est donc pas seulement une affaire de développement ; elle a une portée civilisatrice. Polony peut nous faire le coup des papillons et des brochets qui disparaissent, agiter la corde sensible de l'enfance, faire la grincheuse devant les attentes de la FNSEA. Le problème est bien plus large et elle passe à côté.

    Son papier sent la BA, le décalé facile. Qu'attendre de plus, de toute manière ? Le parisianisme dont cette journaliste n'est qu'une énième incarnation, cet état d'esprit à la pointe de la modernité n'envisageant pas qu'il puisse y avoir une vie au delà du périphérique, dont le snobisme caricatural n'est que la redite des romans du XIXe siècle (en somme : des balzaciens sans talent...) a encore de belles années à vivre, hélas.

    (1)Natacha Polony est l'exemple-type de la pseudo-révoltée de service, de la réac à deux euros, dont la sphère médiatique a besoin (une sorte de Zemmour en tailleur...) pour nous faire croire que nous vivons en pays de tolérance (mais chacun sait, depuis Alphonse Allais, qu'il y a des maisons pour cela). Elle joue la contestation, un peu comme certaines adolescentes jouent la révolte : le même maquillage vulgaire et le verbe facile. On a juste envie de lui dire : rentre chez tes parents, on a passé l'âge, sinon qu'en matière de politique, c'est plus gênant.

    (2)Des photographes autrement plus puissants dans le regard que notre balayé Franck Provost du PAF, si l'on veut accorder quelque crédit à une personne comme Yann-Arthus Bertrand : ils ont nom, entre autres : Lewis Baltz, Raymond Depardon, Dominique Auerbacher, Sophie Ristelhueber ou Tom Drahos...

     

     Photo : Philippe Nauher

     

  • Le Bien commun

     

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    Au milieu du discours vide et présidentiel d'un lendemain de déroute électorale, il y a cette phrase : « la République est notre bien commun ». Et comme si elle ne suffisait pas : « Je ne laisserai aucune de ses valeurs être abîmée ou froissée, où que ce soit sur le territoire national. »

    Combien est consternante cette affirmation républicaine (forcément républicaine...) sonne creux, sans doute parce que la petite morale de gauche s'est tellement emparée de la République qu'elle en a vidé la substantifique moëlle. La République n'est pas une essence intangible ; elle n'a pas la vertu d'incarner notre histoire et notre devenir. La République socialo-hollandaise est une parole rétrécie à quelques symboles qui ne fonctionnent plus. En l'évoquant ainsi, il invoque les mannes révolutionnaires, les heures choisies d'une résistance magnifiée et trompeuse. Si la République est notre bien commun, alors notre bien commun est pourri. Elle n'est plus que l'état transitoire d'une vitalité qui devient cadavre. La République n'est pas un en-soi, surtout lorsqu'elle a vu fleurir les comportements mafieux, le népotisme ministériel, l'incurie et l'incompétence. Il n'est même pas nécessaire de donner des exemples : la désaffection des abstentionnistes suffit à définir le dégoût.

    Les républicains, c'est-à-dire ceux qui désormais transforment un régime politique particulier en finalité quasi divine, les mêmes républicains, qui utilisent l'ordre symbolique de la Révolution française pour interdire de penser autrement, ces mêmes républicains sont des cuistres, des vaniteux, des petits-maîtres ridicules.

    La République n'est pas un bien, c'est un instrument, une méthode, et, arrivé au point où nous en sommes, une chaîne. Une chaîne d'autant plus lourde qu'elle est devenue le bien propre de ceux qui s'en prévalent, leur chasse gardée, au point qu'ils s'indignent de leurs revers électoraux.

     

    Mais, pour celles et ceux qui sont pour un temps partis loin de ce pays, ce n'est pas à la République qu'ils pensaient. Eût-elle été une monarchie constitutionnelle ou une simple démocratie populaire qu'ils n'eussent pas éprouvé un sentiment dissemblable à celui qui les animait quand, dans un avion retraversant l'Atlantique, à l'annonce que dans vingt minutes ils atterriraient à Roissy, ils se disaient qu'alors, quoi qu'il advînt (explosion en vol ou crash sur la piste), ils mourraient en France.

    Ce n'était pas la République à laquelle ils demandaient ce sentiment ; ce n'était pas pour elle qu'ils étaient traversés de telles émotions, mais pour le pays, la nation, le sol. Pour cette certitude du lien qui vous fait sentir la limite, la frontière, la différence du bosquet français et de la haie belge, de l'enclos français et de la pâture espagnole, du buron hexagonal et de la cabane transalpine. Pour cette épreuve épidermique que sont les traversées de la Beauce et de la Bourgogne, pour l'ineffable de l'enclos paroissial de Lampaul-Guimiliau, pour l'humide forêt au-dessus de Charleville-Mézières, pour les marais vendéens, pour la montée si douce vers Saint-Agnès, pour la bascule des toitures d'ardoise vers celles de tuiles.

    La vue, le sensible des architectures, les clochers de Martinville, la brume qui se lève sur le mont Aigoual ou les nuages paisibles au-dessus de Trigance, mais aussi les odeurs, le salé de la baie de Cancale ou l'humide automnal du Tronçais ; mais aussi le goût, entre l'andouille de Vire et les tielles sétoises ; mais aussi le rythme, entre l'ennui de la gare de Mézidon et une nuit passée dans un wagon à Chambéry ; mais aussi le bruit craquant du bois qui brûle face à la mer, sur une plage rhétaise ou celui d'une passée aux canards, en Brenne ; mais aussi, mais aussi, mais aussi, jusqu'à ce que l'envie de dormir ne vienne suspendre la présence infinie du territoire, de la nation en sa force magistrale, qu'aucun ordre, fût-il républicain, ne pourrait épuiser.

    Notre bien n'est pas dans la litanie des articles constitutionnels dont se gargarise le locataire éphémère de l'Élysée, lequel locataire devrait se rappeler que l'endroit fut un temps un garde-meubles. Notre bien n'est pas dans la parole vaine d'un petit concierge ensuffragé. Notre bien est dans ce qui ne se dicte pas, mais dans ce qui s'éprouve, dans cette différence qu'on veut nous retirer au profit d'une différence qui anéantit tout, d'un mondialisme dont la République présente est une collaboratrice zélée.

    Notre bien est dans ce par delà l'envie d'être français qui ne se décrète pas, parce qu'il est une part indéfectible de nous-mêmes. La République est devenue pour certains une affaire de papiers, de droits, d'indemnités et de prébendes. La Nation, c'est bien plus...

    Cela sonne évidemment très barrésien, et c'est donc fort suspect (1). Alors soyons suspect... (2)

     

    (1)Pour celles et ceux qui veulent les échos barrésiens d'Off-shore, c'est ici, , , encore, et pour finir, là...

    (2)Mais ce n'est pas moi, au demeurant, qui ai défini Barrès comme le premier intellectuel français. Il faut lire Michel Winock, qu'on ne peut soupçonner de complaisance à l'égard de cet écrivain.

     

    Photo : Yannig Hedel

  • Fief (substantif)

    Soyons grands, soyons modernes ! Regardons vers le futur, encore et toujours ! C'est, pourrait-on dire, le credo du temps, l'antienne des démocrates européistes et des vendeurs de lendemains radieux et sans frontières.

    On nous promet de l'espace, du territoire infini, du cosmopolitisme clinquant et humain. Si vous vous acharnez à aimer votre territoire (lequel n'est vôtre que par abus de langage : la propriété n'est ici que le signe de l'affection), vous êtes un passéiste, un rétrograde à l'esprit servilement paysan. À bas les crotteux et les enracinés. Tout cela sonne trop ancien régime et l'âme politique moderne regimbe.

    Il est néanmoins un détail qui surprend. Le personnel politique, de droite, du centre, de gauche, s'entend pour revendiquer son ancrage dans le pays. Rouges, roses, orange, bleus, les chœurs montent ferme pour ne pas briser le lien entre les élus et les citoyens. Tel est d'ailleurs l'argument central de ceux qui ne veulent pas d'une loi sur le cumul des mandats. Il s'agit de demeurer au cœur des choses, d'entendre les oscillations du peuple.

    Magnifiques, ces pétitions de principes, sublime, ce désir démocratique servant les intérêts fort circonscrits de barons provinciaux qui s'accaparent les fonctions, les pouvoirs, les droits, les nominations.

    Quand on considère l'affaire dans certains pays, on parle de népotisme, de confiscations démocratiques, de prébendes, etc. Ici, on appelle cette situation un fief

    Les plus nantis de la classe politique (chacun aura loisir de trouver des exemples qui lui sont proches, à toutes les mangeoires de la démocratie française) ont donc réactualisé, faut-il écrire : modernisé cette définition féodale du pouvoir. Ici et là : limites du droit et bon plaisir du baron ou de la baronne. 

    Fief : le mot est sans cesse repris dans les médias sans que cette anachronisme fasse grincer des dents.

    Le fief, donc. La valetaille et notre bon maître.

    On aimerait y trouver un abus de langage mais pour avoir vécu en plusieurs endroits du territoire hexagonal, dans des endroits particulièrement fieffés, nous savons qu'il n'en est rien. La République et ses valeurs, dont ils nous rebattent les oreilles, par quoi ils justifient fausse morale et désinformation pour masquer leurs pratiques honteuses, s'effacent devant ce qui les contente. 

    Le fief est une de ces piteuses mascarades de la démocratie, certes, mais plus encore : il est l'aveu à peine voilé d'un mépris souverain du citoyen au profit d'une roture qui se rêve poudrée et sang bleu.

    Le fief, c'est la pitoyable mesquinerie d'une troupe satisfaite se rengorgeant de toute sa fierté à célébrer les comices agricoles et les inaugurations de salles polyvalentes.

    Mais, pour parodier Céline, écrivons que le fief, c'est l'idéal aristocratique à la portée des caniches...

  • Casino Royal

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    J'évoquais dimanche le mépris d'une certaine classe politique, celle qui, visible et outrecuidante de sa notoriété, se croyait le droit de tout. J'avais alors illustré ce que pouvait être, en l'espèce, la lâcheté d'un Juppé ou d'une Vallaud-Belkacem. J'avais moqué la faiblesse des sans-grade de la députation qui servaient de godillots à une nomenklatura parisienne et ministérielle.

    La situation née de cette opposition radicale, entre une base que l'on traître comme des chiens (et à travers eux l'électorat à qui on demande surtout d'obéir plutôt que de voter en conscience) et une élite électorale se croyant tout permis, est magnifiquement illustrée par l'épisode rochelo-rhétais, dans lequel Ségolène Royal, parachutée méprisante et narcissique, se retrouve, pour un deuxième tour fratricide, face à un socialiste local. Il n'est pas question ici de se bercer d'illusions sur la force de l'inconnu qui, tout à coup, brave le pouvoir, de sonder les reins pour cerner ce qu'il y a là de courage politique ou de rancœur personnelle. Il ne s'agit pas de savoir s'il faut ou non éjecter tel ou tel du jeu politique. Ségolène Royal ne mérite pas en soi autant d'intérêt.

    En revanche, la dialectique du national face au local s'y exprime en toute clarté. C'est d'ailleurs, entre parenthèses, ce qui explique l'échec prévisible et souhaitable du burlesque Mélenchon en territoire minier (1). Il faut en effet se demander quel sens ont les parachutages prétentieux, quand on nous vante la décentralisation, l'ouverture vers les solutions de terrain, et la connaissance des gens (les gens... quelle belle dénomination) pour pouvoir répondre à leurs problèmes et à leurs angoisses. Il est clair que les charentais n'ont pas voulu répondre au diktat parisien. Ils voulaient qu'un homme (ou une femme...) ayant un passé avec eux les représente. Ségolène Royal en doublant son déracinement opportuniste d'une ambition à la présidence de l'Assemblée Nationale (2) a aiguisé un désir certain. Non pas le désir d'avenir creux d'une nombriliste, mais le désir de reconnaissance d'un homme qui essaie d'œuvrer pour le pays (j'entends pays au sens local) dont il est issu. Sans qu'il y paraisse, le choix du second tour renvoie à une problématique bien plus large que le rejet ou non d'un ténor par un petit candidat. Il met en évidence l'aveuglement socialiste devant une inquiétude territorialisée, laquelle inquiétude nécessite, au-delà d'une projection nationale, une écoute locale dont rien ne garantit qu'elle puisse exister avec quelqu'un qui ne rêve que des ors les plus visibles de la République. Dans le fond, le sieur Falorni rappelle à sa manière qu'il ne peut y avoir de démocratie vivante (ou disons un peu moins asphyxiée) sans une inscription des élus dans tous les coins du territoire. Mais il est vrai que les chantres de la décentralisation, depuis Gaston Deferre, ont d'abord usé de ce discours pour établir des baronnies capables de satisfaire (ou calmer) des appétits locaux. N'empêche : on ne peut envisager une respiration démocratique véritable sans respect des anonymes...

    On comprend l'embarras du parti socialiste. Que celle à qui on voulait offrir le perchoir soit effacée de la vie politique, cela fait désordre. Mais il y a plus : c'est clairement la question du rapport au territoire, de l'identité politique qui est posée. Faut-il alors penser qu'il y ait dans ce modeste du lieu un fond de souche que déteste tant le cosmopolitisme de gauche ? L'électeur de La Rochelle ou de l'île de Ré, en se refusant à Royal, rappelle, pour une fois, que la vanité ne peut servir de programme. Il apparaît trop souvent que les ambitions de quelques privilégiés de la mascarade politique n'ont nul frein et peuvent abaisser les humbles, qu'ils soient engagés ou simples votants, à n'être que soumis. Mais il arrive aussi (trop rarement) que la ficelle soit trop grosse, le mépris trop affiché, l'incohérence trop insupportable.

    Si Ségolène Royal doit servir à quelque chose (et cela avant qu'elle ne se retire à l'île de Ré, par exemple, avec Jospin : ils pourront bavarder en faisant du vélo.), c'est bien de servir d'exemple. Elle peut être utile, c'est certain, car son élimination serait une manière, très réduite, je le concède, de revivifier la culture politique, même si je ne suis pas dupe, puisque Juppé, pour le citer à nouveau, est un Phénix magnifique : elle aura envie de revenir. Mais, au moins aura-t-elle été battue par quelqu'un de son camp, ce qui n'est pas rien. Si Ségolène Royal a encore une utilité (ce qui supposerait qu'elle en ait eu une), c'est de nous faire croire encore un peu que la politique n'est pas un jeu sans conséquences. Peu importe, pour le coup, et jusqu'à l'heure de son élection, que le sieur Falorni soit ce qu'il est. Dans le principe du respect de l'électeur, il faut le rappeler, tout ne se réduit pas à un choix entre la peste et le choléra...

     

     

    (1)Petit prétentieux qui se targuait, devant des journalistes le 15 mars, de pouvoir être appelé dans 120 circonscriptions, et qui choisit, comme fait du prince, de défier Marion Le Pen, parce que cela aurait pu redorer son blason de présidentiel battu à plates coutures. Médiocre comme il est, il n'aura pas résisté à un quidam socialiste, ce qui n'est pas peu dire quand on connaît l'incurie de ce parti en ces terres populaires. Et de savoir que c'est un illustre inconnu qui fera mordre la poussière à la grande blonde n'est pas sans saveur, pour qui connaît, comme moi, la région. Les péquenots chtis, ceux que les fachos du PSG et les adorateurs de Danny Boon aiment tant moquer, n'ont pas voulu d'un sénateur révolutionnaire de pacotilles. Ils n'ont pas besoin de Zorro pour exister et c'est tout à leur honneur...

     

    (2)Fruit d'un deal avec son ex, pour afficher son soutien au deuxième tour des primaires...


    Photo : Justynne


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  • Jean-Christophe Bailly, voyageur du proche

     

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    Dans les temps où Nicolas Sarkozy engageait sa campagne électorale en montant sur l'estrade pour nous confier qu'il aimait la France, qu'il énumérait les raisons de son amour, pour nous révéler aussi ce qu'était de ne pas aimer la France, en ces temps, donc, où il jouait la fibre patriotique sur une musique vieillie de la pauvre rhétorique Guaino, je commençais à lire Le Dépaysement de Jean-Christophe Bailly.

    Le titre, Le Dépaysement, est sur ce point une merveille. Il feint l'exotisme facile, comme si nous avions envie de nous changer les idées (et l'auteur lui-même, croit-on...) alors que c'est justement tout l'inverse. Ce n'est pas la lassitude ou le besoin de s'aérer qui enclenche le désir de vagabonder dans l'hexagone mais la curiosité de ne pas avoir encore compris cette présence française en lui. Le sous-titre éclaire davantage : Voyages en France. Le pluriel n'est pas qu'une question de décompte des billets de train ou des trajets en voiture. Loin de cela. C'est la multiplicité qui donne du sens, le caractère fragmentaire et fragmenté de l'expérience qui remplit peu à peu l'esprit d'un tableau imparfait et pourtant saisissant du territoire. Ce livre est d'abord une incitation à penser l'irréductibilité du monde à l'idée trop facile que l'on s'en fait.

    Bailly parle donc de la France, quoique ce verbe convienne mal puisqu'il écrit, et dans une langue plus sereine et plus douce que celle du binarisme élyséen. Ce n'est pas un carnet de voyage, ni un pèlerinage pour circonscrire la nation et le territoire. Ce n'est pas un recueil d'anecdotes : les personnages sont là, certes, mais ils sont en filigrane, participants précis et en même temps fugaces du décor (ce décor qu'ils ont façonné et qui les a façonnés). Ce n'est pas une enquête sociologique. Il y a chez Bailly une liberté, un délié dans le parcours, un balancement si imprévisible entre le détail, le croquis et la réflexion que le lecteur a vite la conviction que l'enjeu n'est pas la somme (le livre dans son entier) ou l'addition des parties (les chapitres cumulés) qui priment mais, étrangement, tout ce qui a été laissé de côté, tout ce à quoi ces pages nous ramènent. C'est une clef, en quelque sorte, pour regarder le monde autrement, parce que si nous y sommes, lecteurs, c'est dans les interstices du cheminement de l'auteur, cheminement qu'il faut faire nôtre, ensuite.

    Ainsi nous emmène-t-il en promenade dans des lieux discrets, secondaires, dirait-on, comme pour une route qui n'est pas un grand axe. C'est Culoz, Saint-Quentin, les jardins ouvriers de Saint-Étienne, une rue singulière de Lorient, Tarascon et Beaucaire... Il ne part pas à la recherche de ce qui est français en ces lieux, parce que ce serait vouloir les réduire absolument à l'abstraction d'une sémantique que les nationalistes et les cosmopolites (1) ont pourri de leurs certitudes. Il sent plutôt ce que l'histoire a inscrit, dans le déplacement incessant de son agitation, cette imperceptible marque des choses, des dispositions architecturales, des aménagements, des tracés, des connivences avec la nature,... Son livre n'est pas celui du soleil, des chromos d'un temps doré et d'une douceur intemporelle de vivre, qui fait dire/écrire à certains qu'avant tout était  absolument mieux puisque c'était avant. Ses pages sentent la pluie, le vent, une certaine difficulté à se mouvoir dans l'espace, la lenteur de l'ordinaire, de ce que les belles âmes parisiennes qui regardent le périphérique comme le début de la misère ne pourront pas comprendre, parce que pour la comprendre, il faudrait l'imaginer, et que l'imagination ne part jamais de rien. Livre de fuite (non pas de renoncement mais de fuite, quand un ailleurs proche appelle son correspondant tout aussi proche) pour nous dire que c'est d'abord le regard qui doit se remplir du monde et non l'inverse. Dès lors, il n'est pas nécessaire d'aller loin.

    Mais revenons à la France de Bailly, qui n'est, on s'en doute, ni celle de Nicolas Sarkozy, kyste national-libéral dont l'incohérence sidère, ni celle des gauchistes classiques qui trouvent que, même dans le désordre et l'absurdité, la France reste un beau pays, un phare de la conscience mondiale, un modèle, mais un modèle qu'ils ne cessent de vouer aux gémonies. L'écrivain sait, lui, que parfois la parole est vaine, une sorte d'ajout à l'évidence. Dès lors, sa phrase et son sens du presque-rien émerveillent, parce que, loin de vouloir expliquer la complexité d'une nation qui a vu tant de singularités la nourrir, ces deux éléments (union de la forme et du fond) ouvrent vers un espace hexagonal fluide (les cours d'eau y ont une importance capitale) : jamais un lieu ne peut être compris sans sa proximité, même non dite ; jamais un lieu, aussi délimité soit-il sur la carte de France, ne peut être approché sans le lointain qu'on n'oserait pas habituellement lui accoler. Au fond, comme un exemple mystérieux, il s'agit d'admettre que Rimbaud, écrivain des brumes ardennaises est revenu, malgré tout, mourir en France, à l'exact opposé de sa naissance : Marseille.

    Cette œuvre ouverte qu'est la France, cette impossible unité (que la mondialisation cherche absolument à détruire), cette puissance de la présence du territoire, sans désir de revendication, Bailly l'a éprouvé, écrit-il, un jour à New York. Ce sont les premières pages du livre. Il est dans un appartement. La télévision diffuse en version originale La Règle du jeu de Renoir.

    « Il m'arriva ceci d'inattendu que ce film (ce que je revois, c'est seulement l'image en noir et blanc, sans dimension ni cadre) se mue en révélation. Non parce que je l'aurais alors découvert (je l'avais en effet vu, de cela en revanche je suis sûr), mais parce qu'à travers lui, à travers donc ce film qui, sans doute, est avant tout un classique du cinéma, j'eus la révélation, à ma grande surprise, d'une appartenance et d'une familiarité. Ce que ce film tellement français, ainsi visionné à New York, me disait à moi qui au fond n'y avait jamais pensé, c'est que cette matière qu'il brassait (avec la chasse, le brouillard, la Sologne, les roseaux, les visages et les voix -les voix surtout) était mienne ou que du moins, et la nuance qui ôte le possessif est de taille, je la connaissais pour ainsi dire fibre par fibre -mieux, ou pire : que j'en venais. »

    Quand, désormais, les simplifications politiques et morales ne vous laissent que le choix entre un nationalisme étroit et oublieux d'une partie de l'Histoire, et un cosmopolitisme culpabilisant et haineux de la même Histoire, le livre de Bailly est un bonheur d'intelligence et de finesse. Une autre façon d'approcher le monde, ce monde qui commence aussi au bout de notre rue.


    (1)Je renvoie à la querelle entre Maurras et Gide, celle du peuplier, au début du XXe siècle.


    Jean-Christophe Bailly, Le Dépaysement. Voyages en France, Seuil, 2011.

     

     

  • Par la force des choses

     

    New Moore Island is now completely submerged under water. Global Warming experts say the land sunk because of Climate Change. It was a land that Bangladesh and India fought over for many years.

    L'anecdote est plaisante, quand on a un certain goût pour l'humour noir. Depuis 1981, l'Inde et le Bangladesh se disputaient un territoire. Rien qui soit pourtant une étendue imposante mais une île de neuf kilomètres carré environ, autant dire une misère, quand on considère notamment la superficie du sub-continent indien. L'îlot en question n'avait pas de ressources particulières. Il était là, simple enjeu. Enjeu symbolique certainement, et sa possession devait se justifier sur des considérations étayées par l'histoire, la religion ou la race (1). À l'échelle de GoogleEarth, en zoom, l'insignifiance pouvait prendre des allures de continent. C'est ainsi que naissent les guerres pichrocolines, dans le regard hypertrophié animant les esprits vindicatifs attachés à réduire le monde à leur représentation. La glose nationaliste est un terreau favorable aux imbéciles entreprises, glose sans laquelle il n'y aurait pas eu la guerre aux Malouines, les tensions hispano-marocaines pour Melilla. On a même parfois l'impression que l'ardeur des belligérants est décuplé par le ridicule du gain. Ainsi un état peut-il avoir, dans son imaginaire politique, la petitesse d'un gratte-papier pour qui gomme et taille-crayons sont plus importants que les affaires dont il a la charge. Il y a de nombreux parallèles possibles entre l'infiniment grand et l'infiniment petit, des logiques récurrentes indépendantes des principes d'échelle.

    En ce sens, le différend indo-bangladais n'est qu'un épisode de plus dans le feuilleton de l'absurde. Il a eu, néanmoins, un épilogue des plus réjouissants pour un esprit enclin à ne plus rien prendre au sérieux. New Moore, ou South Talpatti, selon le camp dont on se réclame, du fait du réchauffement climatique, a fini par sombrer. L'océan indien, sans même une révolte digne des gros titres, a englouti l'ilôt. L'inquiétude écologiste se saisira de cette catastrophe pour souligner l'urgence d'une réforme fondamentale de notre économie. Le désastre est en marche. Pressons-nous d'y trouver remède. Cela est fort juste, mais en l'espèce, d'autres indices nous ont déjà mis la puce à l'oreille.

    Regardons plutôt ce naufrage comme une métaphore nouvelle de la dérision politique. Avatar du pulvis est, de l'handful of dust : la puissance liquéfiée. Plutôt que de se vouloir penser le monde sous l'angle de son humanité (laquelle souffre, et particulièrement dans ces deux pays), l'Inde et le Bangladesh illustrent et réalisent la symbolique du pire. La puissance n'est pas dans le mieux des êtres mais dans la conservation jusqu'au boutiste de ses fantasmes. Et chacun, comme ennemis et complices, joue le jeu. Soudain l'océan s'en mêle. L'océan reprend ses droits, ce qui n'est d'ailleurs pas l'expression idéale puisque de droit il n'en a pas. Il n'est l'agent de personne ; pur acteur sans pensée, et qui triomphe de ceux pour lesquels le monde devait se soumettre. Telle est la belle ironie de cet affrontement sans vainqueur. Divertissement pascalien, propre à mobiliser les cœurs du pays, il est démasqué par un incident climatique. L'inexorable de la nature annule la dialectique politique, la relègue au rang de farce barbare. On aurait aimé voir, pendant la montée des eaux, des combattants des deux camps s'acharner à sauver ce qui ne pouvait l'être, à endiguer pour quelques jours (ou semaines) les pieds dans l'eau le si précieux témoignage de leur virilité nationale ; et les voir lentement se reitrer en invectivant l'océan silencieux.

    New Moore désormais défunte, l'Inde et le Bangladesh peuvent-ils se retourner contre le monde, la vie, les dieux, que sais-je ? Peuvent-ils sentir combien tout à coup ils sonnent creux. Sans doute trouveront-ils un autre terrain de jeu, maintenant que trente ans de bisbille pourrissent sous les eaux. Il n'y a pas à s'en faire. En la matière, les états ont d'infinies ressources. Leurs aigreurs n'ont pas besoin de grand chose. Ces deux-là ne sont qu'un exemple de circonstance, que quelques vagues ont ridiculisés. Pour l'avenir, l'horizon est chargé de bien plus funestes présages car la montée des eaux aura pour effet au Bangladesh un exode massif de population et l'épopée autour des neuf kilomètres carré désormais invisibles aura un goût bien amer.

     

    (1)J'use de ce dernier terme à dessein tant le déni scientifique de cette classification n'empêche pas qu'on voie en resurgir les miasmes déguisés sous le vocabulaire de l'ethnicité.