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possession

  • Par la force des choses

     

    New Moore Island is now completely submerged under water. Global Warming experts say the land sunk because of Climate Change. It was a land that Bangladesh and India fought over for many years.

    L'anecdote est plaisante, quand on a un certain goût pour l'humour noir. Depuis 1981, l'Inde et le Bangladesh se disputaient un territoire. Rien qui soit pourtant une étendue imposante mais une île de neuf kilomètres carré environ, autant dire une misère, quand on considère notamment la superficie du sub-continent indien. L'îlot en question n'avait pas de ressources particulières. Il était là, simple enjeu. Enjeu symbolique certainement, et sa possession devait se justifier sur des considérations étayées par l'histoire, la religion ou la race (1). À l'échelle de GoogleEarth, en zoom, l'insignifiance pouvait prendre des allures de continent. C'est ainsi que naissent les guerres pichrocolines, dans le regard hypertrophié animant les esprits vindicatifs attachés à réduire le monde à leur représentation. La glose nationaliste est un terreau favorable aux imbéciles entreprises, glose sans laquelle il n'y aurait pas eu la guerre aux Malouines, les tensions hispano-marocaines pour Melilla. On a même parfois l'impression que l'ardeur des belligérants est décuplé par le ridicule du gain. Ainsi un état peut-il avoir, dans son imaginaire politique, la petitesse d'un gratte-papier pour qui gomme et taille-crayons sont plus importants que les affaires dont il a la charge. Il y a de nombreux parallèles possibles entre l'infiniment grand et l'infiniment petit, des logiques récurrentes indépendantes des principes d'échelle.

    En ce sens, le différend indo-bangladais n'est qu'un épisode de plus dans le feuilleton de l'absurde. Il a eu, néanmoins, un épilogue des plus réjouissants pour un esprit enclin à ne plus rien prendre au sérieux. New Moore, ou South Talpatti, selon le camp dont on se réclame, du fait du réchauffement climatique, a fini par sombrer. L'océan indien, sans même une révolte digne des gros titres, a englouti l'ilôt. L'inquiétude écologiste se saisira de cette catastrophe pour souligner l'urgence d'une réforme fondamentale de notre économie. Le désastre est en marche. Pressons-nous d'y trouver remède. Cela est fort juste, mais en l'espèce, d'autres indices nous ont déjà mis la puce à l'oreille.

    Regardons plutôt ce naufrage comme une métaphore nouvelle de la dérision politique. Avatar du pulvis est, de l'handful of dust : la puissance liquéfiée. Plutôt que de se vouloir penser le monde sous l'angle de son humanité (laquelle souffre, et particulièrement dans ces deux pays), l'Inde et le Bangladesh illustrent et réalisent la symbolique du pire. La puissance n'est pas dans le mieux des êtres mais dans la conservation jusqu'au boutiste de ses fantasmes. Et chacun, comme ennemis et complices, joue le jeu. Soudain l'océan s'en mêle. L'océan reprend ses droits, ce qui n'est d'ailleurs pas l'expression idéale puisque de droit il n'en a pas. Il n'est l'agent de personne ; pur acteur sans pensée, et qui triomphe de ceux pour lesquels le monde devait se soumettre. Telle est la belle ironie de cet affrontement sans vainqueur. Divertissement pascalien, propre à mobiliser les cœurs du pays, il est démasqué par un incident climatique. L'inexorable de la nature annule la dialectique politique, la relègue au rang de farce barbare. On aurait aimé voir, pendant la montée des eaux, des combattants des deux camps s'acharner à sauver ce qui ne pouvait l'être, à endiguer pour quelques jours (ou semaines) les pieds dans l'eau le si précieux témoignage de leur virilité nationale ; et les voir lentement se reitrer en invectivant l'océan silencieux.

    New Moore désormais défunte, l'Inde et le Bangladesh peuvent-ils se retourner contre le monde, la vie, les dieux, que sais-je ? Peuvent-ils sentir combien tout à coup ils sonnent creux. Sans doute trouveront-ils un autre terrain de jeu, maintenant que trente ans de bisbille pourrissent sous les eaux. Il n'y a pas à s'en faire. En la matière, les états ont d'infinies ressources. Leurs aigreurs n'ont pas besoin de grand chose. Ces deux-là ne sont qu'un exemple de circonstance, que quelques vagues ont ridiculisés. Pour l'avenir, l'horizon est chargé de bien plus funestes présages car la montée des eaux aura pour effet au Bangladesh un exode massif de population et l'épopée autour des neuf kilomètres carré désormais invisibles aura un goût bien amer.

     

    (1)J'use de ce dernier terme à dessein tant le déni scientifique de cette classification n'empêche pas qu'on voie en resurgir les miasmes déguisés sous le vocabulaire de l'ethnicité.