Fallait-il se contraindre à écouter pérorer télévisuellement le si normal président de la République, hier soir ? Certes non. Il suffisait d'attendre les comptes rendus du lendemain pour vérifier une fois de plus que rien n'en était sorti. Il en eût été autrement que je m'en fusse étonné.
François Hollande est comme un livre grand public. Le nom de l'auteur et le titre sont une invitation au pays des songe-creux. La quatrième de couverture et on en a fait le tour. Encore serait-il hâbleur, orateur vaguement sophiste que l'on pourrait passer un agréable moment de spectacle. Mais, sur ce plan-là aussi, il est terriblement mauvais, avec une articulation et un phrasé désastreux. Sa victoire de juin 2012 est le fruit d'un malentendu, c'est-à-dire une situation qui renvoyait à deux paramètres distincts mais complémentaires :
1-du point de vue de Hollande lui-même, la vacuité en trompe l'œil de son programme (vacuité au sens où il ne différait en rien, sur les principes économiques notamment, de celui de Sarkozy, et il faut être bête comme un journaliste de Libération pour poser ce matin la question « Hollande est-il encore de gauche ? ». Il ne l'a jamais été !)
2-du point de vue de Sarkozy, la cristallisation du rejet de sa personne.
Tout cela est une affaire de bruit, de parasitage, comme dirait Shannon. L'égocentrisme sarkozyen, la suffisance de l'hyper-président (1), l'auto-glorification et la vulgarité du bling-bling ont été les vrais indices de l'orientation démocratique, ce qui en dit long sur la santé de la démocratie hexagonale. Sarkozy était le point nodal de l'équilibre politique et de ses variations. Grenouille hypertrophiée, il apparaissait à toute heure, en toutes circonstances, pour n'importe quel sujet. Il fallait donc que tout se fît face à/contre lui. Il était un signe plein. Ce constat ne suppose nullement que ce signe qu'il était avait un sens précis, cohérent, valable, tant il est vrai que désormais le « faire-signe » suffit à créer de la valeur politique (comme il y a une valeur marchande).
Sarkozy était un signe plein, voire débordant. Il occupait le terrain ; il nous occupait, à défaut de s'occuper de nous (2) ; il nous préoccupait. Ce tir de barrage qu'il entretenait, en vue de sa victimisation, et qu'entretenaient ses ennemis socialistes, en vue de leur réussite électorale, a masqué l'abandon du politique qui nous guettait. L'histrionisme sarkozyen a été un spectacle ; il a été le spectacle auquel ont participé les parties prenantes politiques et sociales du pays, parce qu'elles y trouvaient leur compte, présent ou à venir.
Ce signe plein a concentré tous les maux/mots du moment. Il était la tension même de l'espace politique français et sans lui, jamais Hollande n'aurait été élu. Jamais il n'aurait pu jouer sur le registre de l'homme normal. Jamais monsieur Hollande n'aurait fait son entrée à l'Élysée. Cette normalité n'avait rien à voir avec la common decency d'Orwell. Elle n'était qu'un artifice communicationnnel, une posture, un positionnement marketing. L'affaire a réussi. De peu ! Oui, de peu, car il faut avoir un esprit sévèrement encarté pour ne pas voir que les 48,5% de Sarkozy sont un exploit qui en dit long sur l'illusion Hollande, dès le départ. La normalité avait déjà des limites. Sa vocation (?) à être monsieur tout le monde pouvait tenir comme slogan électoral, tant que le signe plein entrait dans le processus combinatoire. Mais après...
De la normalité du corrézien, il a vite fallu déchanter. Il ne va pas au Fouquet's ; il n'est pas l'ami de Bolloré, mais on trouve chez lui un souci de l'État socialiste, du copinage et des équilibres partisans qu'on en revient vite. Sa normalité de preneur de train et d'aviateur en lignes régulières, elle ferait rire s'il n'y avait pas du tragique à l'horizon.
La normalité, c'était, face au signe plein, l'exaltation de l'axe moral. Hollande imposait un semblant d'éthique face à l'arrogance. Une fois le signe plein sarkozyen parti se refaire la cerise on ne sait où, restait le roi nu.
L'illisibilité de la ligne politique, la composition d'un gouvernement d'ectoplasmes (3), l'absence d'idées force, la permanente cacophonie inter-ministérielle,... Voilà ce qu'est Hollande. Ce qui nous avait été vendu pour un retour à un État humble, responsable, travailleur et moral tourne à la farce autour d'un personnage sans prise sur le monde.
Et pourquoi cela ? Certains qui ont, comme moi, moqué la candidature Hollande le faisaient souvent au regard de l'historique de sa carrière politique. L'homme fut sans doute une brillante bête à concours (Sciences-po, HEC, et l'ENA) mais c'est à peu près tout. Il ne fut jamais ministre. Il fut le premier secrétaire de deux défaites électorales (dont un désastre, celui de 2002), sans que jamais ne l'effleurât l'idée de sa démission. Insubmersible apparatchick d'un parti sans âme, sans valeur, sans projet, sans ambition, tel apparaissait Hollande. Il était non seulement un personnage sans relief, mais aussi un homme sans idées et sans vision. Il était insignifiant.
Insignifiant : passe-partout, capable de se fondre dans le décor, d'épouser les formes que prendront les opportunités. Ce qui lui réussît fort bien tant qu'il fallait manier la barque socialiste et jouer des différents courants qui formaient l'équipage. Mais lorsqu'il fut question du pays, de la France, qu'il n'y avait plus que lui face à lui-même, qu'avons-nous vu ? Rien.
Insignifiant : le vide. Qui ne signifie rien, en somme. Après le bruit sarkozyen, l'aphasie hollandienne. Le signe vide. Du bavardage inaudible et de l'ankylose. La normalité s'est très vite transformée en un terrible silence. Hollande est là où, peut-être, comme Sarkozy, il avait rêvé d'être. Comme Sarkozy, à ceci près que chez ce dernier demeurait cette intime conviction de l'exception qu'il représentait. Et cette exaspérante nécessité de remplir le vide, d'aller au devant des choses, même pour ne pas faire grand chose, avait une vertu, oui, une vertu. Elle attirait vers elle la crispation sociale et politique qui traverse depuis de nombreuses années le pays.
Il n'est pas très agréable de le dire ainsi mais tel est, me semble-t-il, la dimension salvatrice de l'hypertrophie sarkozyenne : en signe plein qu'il était, le président bling-bling phagocytait une partie du délitement social et politique. Contrairement à ce qu'on aura entendu pendant un quinquennat, ce n'est pas ses accointances supposées avec le FN, la promotion de la ligne Buisson, qui expliquaient le maintien des aspirations lepénistes et des replis identitaires dans certaines limites. C'était le rapport que Sarkozy avait imposé aux autres politiques qui amoindrissaient les extrêmes (et par effet de transfert donnaient de l'air aux socialistes qui auront, comme toujours depuis trente ans, été les vrais bénéficiaires du lepénisme, ce qui explique pourquoi ils ne veulent nullement l'éradiquer).
Avec l'insignifiance hollandienne, il en va tout autrement, et la mise en examen de Sarkozy est peut-être la pire des nouvelles qui soient pour les élections à venir. L'UMP s'étant ridiculisé, le PS ne pouvant se désolidariser d'un pouvoir dirigé par l'insignifiance, un boulevard s'ouvre pour Marion et ses copains, parce qu'il n'est pas possible, c'est un principe fondateur de la politique lorsqu'en régime démocratique son expression est structurée par la concurrence, qu'un espace vide ne soit pas comblé.
La présidence d'Hollande, dans son déroulement, dans le délitement progressif qu'il consacre de la politique active mise au rebut au profit d'un mensonge permanent (ne jamais prononcer le mot rigueur, ne jamais avouer que trois mois auront suffi pour mettre au placard les quelques promesses de campagne, ne pas avouer que le mariage pour tous devait être un cache-misère et que même la réaction du pays n'avait été prévu), dans l'abandon de toute volonté ambitieuse au profit d'une gestion au jour le jour, dans la promotion, même bidon, d'une gouvernance normale alors que la Ve République est conçue pour l'affirmation d'une personnalité, cette présidence Hollande est une catastrophe. Non pas en considération de ce qui n'a pas été fait, mais de ce qui est à venir.
La preuve la plus belle de cette insignifiance est sans doute à prendre dans ce duo gouvernemental que l'homme normal a adoubé. Taubira à la Justice, Valls à l'Intérieur. Peut-on faire plus insignifiant ? C'est-à-dire, ici, significatif. Significatif de celui qui cherche à ce que tout s'annule, à ce que deux son discordants finissent par se neutraliser et que ce soit le silence.
Il faudrait lui dire que, paradoxalement, si l'on peut être maître de ses paroles et responsables de ses actes, on n'est jamais maître du silence et de l'immobilité. Et surtout pas en politique. Parce que le silence et l'immobilité vous effacent, de toute manière. Quand le pays aura fait le tour de la normalité réduite au radotage incantatoire du président, il est à craindre qu'il veuille chercher raison du côté de la force et de l'affrontement. La montée de l'argumentaire identitaire dans toute l'Europe est un signe. vrai, celui-là. Une réalité sensible. Une perspective. Une aspiration. Il est urgent d'y réfléchir.
(1)Une fumisterie de plus. Hyper ? Où ? Quand ? Comment ? On a confondu le pouvoir et la mise en scène de soi. On a identifié la capacité de faire à la turbulence médiatique.
(2)Sauf si l'on veut bien comprendre l'expression ainsi : « je vais m'occuper de vous », soit : « je vais vous faire votre fête ». Et sur ce point, Sarkozy n'a pas menti. Il faut un efficace liquidateur.
(3)Ayrault n'existe pas. Émergent, qu'on les apprécie ou non, Taubira, Valls et Montebourg. Pour le reste, un théâtre d'ombres. Le gouvernement le plus grotesquement nul de toute la Ve République. Malgré la parité...
Photo : Olivier X.