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Si la photo est bonne...

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La spectacularisation du monde dont Guy Debord avait annoncé l'avènement continue son déploiement. Elle induit que nous remisions dans les armoires de la vieille morale des attitudes qui correspondaient à la common decency chère à Orwell. Que la politique soit une mise en scène n'est pas nouveau. Le XXe siècle et son cortège technologique ont  cependant donné une autre mesure au phénomène et le pouvoir a joué d'ingéniosité pour se mettre en valeur. Il y eut les causeries au coin du feu de Roosevelt mais tout cela est loin. Désormais la scénographie est permanente.

On aura beaucoup glosé sur la neutralisation du tueur, Mohamed Merah  ; certains se seront fendus de quelques considérations sur le respect du droit, les principes nécessaires de la procédure judiciaire, le rôle ambigu de Claude Guéant. Il est certes fort étonnant d'avoir attendu si longtemps pour une opération dont il était prévisible qu'elle se terminât dans le sang. La complainte de ceux qui voient en chaque action politique le signe d'un fascisme rampant n'est pas nouvelle. Pourquoi pas ? Déplorer que le jihadiste n'en soit pas sorti vivant a des motivations douteuses. En ce cas-là, on invoque les nécessités de la justice, le refus de la vengeance qui bafoue l'humanité et les droits. Soit...

Mais revenons un peu sur le spectaculaire de toute cette séquence meurtrière qui englobe l'assassinat de trois militaires français et celui d'enfants et d'adultes juifs. Les treillis et les cagoules du RAID, les bavardages journalistiques et politiques ne sont pas les seuls éléments qui interpellent. Prenez la cérémonie rendant hommage aux parachutistes abattus. Hommage de la nation, où déboulent, outre le candidat Sarkozy qui a revêtu pour l'heure ses habits d'exercice, quatre des têtes de série qualifiées par le conseil constitutionnel. Ces quatre-là viennent imposer leur componction et leur gravité en tribune officielle, pour signifier cette tarte à la crème de la nation réunie. Ils sont droits, sérieux, conformes à la circonstance. Mais au nom de quoi, au nom de qui sont-ils en tribune officielle ? Qui sont-ils pour pouvoir ainsi s'afficher ? On connaît la chanson : "je suis venu(e) parce que ma place était ici". J'exagère à peine.

Je regarde cette photo. Que diraient-ils les uns et les autres si on déclarait que, pris dans la logorrhée de la nation recomposée, cela donne un côté photo de famille ? Ils répondraient que non. Sur la même estrade, certes, mais en définissant chacun sa différence, sa trop fameuse différence. Le problème est qu'ils sont venus sans autre légitimité qu'eux-mêmes, et eux-mêmes en candidat, en campagne. Ils sont venus planés sur des sépultures, discrètement, avec l'art des voix alourdies par la compréhension du chagrin profond vécu (vécu, lui, vécu, profondément) par les familles des victimes.

Il n'est pas besoin de faire sonner cors et trompettes. Le spectaculaire est là, sous nos yeux, avec ces quatre silhouettes en noir, la main sur le cœur, jurant que c'est la compassion et le sens des responsabilités qui les ont fait oublier la bataille électorale. C'est vrai, j'oubliais : la campagne est suspendue. Pure ironie, évidemment : elle est la matière même de ce jeu compassionnel dont il ne faudrait pas être dupe. Ceux qui sont dans les cercueils n'avaient pas besoin de ces quatre-là. Ils ne sont, de droite comme de gauche, en cet instant rien d'autre que des quidams que le jeu médiatique a projetés au devant de la scène et qui essaient de rentabiliser leur position. De droite comme de gauche, je leur dénie tout droit de me représenter, d'être mon pays, d'être ma voix.

Dans cette histoire, le pire de tous n'est d'ailleurs pas celui qu'on croit. Le pire, c'est le common man, qui, avec la même ignominie, la veille de cette cérémonie, aura imposé sa présence dans une école, pour la minute de silence décidé par Nicolas Sarkozy. Au-delà du ridicule de la copie (ce qu'en football, on appelle un marquage à la culotte),  on retrouve la même impudeur devant la mort. Une telle bassesse spectaculaire ne laisse rien présager de bon, et il faudrait une dose d'anti-sarkozysme primaire pour trouver à ce geste une grandeur politique. Oui, il faudrait être d'une cécité coupable et d'une mauvaise foi morbide pour me répondre qu'à sa place d'autres (entendons : le concurrent) aurait fait de même. Nul ne peut se prévaloir des turpitudes d'autrui pour cacher les siennes.

                                                                         afp.com/Pascal Pavani

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