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spectacle

  • Féerie, lobotomie

     

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    Il y a quelques jours, le cirque lyonnais des lumières battait la chamade pour un tunnel, un nouveau tunnel que les autorités avaient illuminé, illuminé, illuminé. Un tunnel écolo, pour vélos, piétons et bus propres... Autant dire : une prouesse technique et une idée transcendante. Et la foule de s'engouffrer, pédestrement, pour 1,8 km de bonheur souterrain, à oublier la vie, le monde, le ciel, le vent, les dernières feuilles. Le boyau est courbe, pour que le promeneur puisse supporter le trajet. La ligne droite, quelle horreur ! Les esprits récréatifs pouvaient ainsi penser (bien grand mot) que la vraie grandeur du monde était de s'enterrer, de s'enfoncer dans le béton et ne pas voir le bout du tunnel (comme une métaphore assez facile d'une déliquescence de chaque jour). C'était surprenant que tant de monde s'extasie pour un tunnel... Le spectacle devait être sidérant : un visiteur en est mort ! Le cœur a lâché ! Et tout à coup, la Grande Œuvre tombait dans le fait divers...

    Il est sensible que l'institution municipale a bien compris les enjeux du divertissement contemporain, des abysses de bêtise qu'il offre comme possibilités. La matière du happening, de la performance est secondaire. L'annonce crée la chose. C'est la pensée magique de l'abrutissement collectif.

    Qu'attendre, alors, pour l'an prochain ? La visite en file indienne des nouvelles pissotières illuminées à partir du système d'évacuation ? Une garden party dans le nouveau parking souterrain (5 niveaux) du centre ville ? "Labyrinthe et lumières" dans la prochaine barre HLM désaffectée, avant implosion, le dernier jour des festivités, au soleil couchant ?...

    Photo : Nicolas Tikhomirov




  • Maudit adverbe...

    Bruce Davidson cirque.jpg

     

    Décidément, le socialisme présidentiel est prostatique. Mitterrand, jadis, le normal président aujourd'hui. Souhaitons que la bénignité affichée (après coup) de l'intervention ne soit pas un énième mensonge (1). Il vaudrait mieux pour la santé du premier intéressé.

    Mais la question qui nous occupe est d'un autre ordre. Elle concerne plutôt le service après-vente de la divulgation, et comme de grands duettistes, c'est le premier ministre qui est monté au créneau pour défendre son chef. Et le transparent nantais n'y est pas allé par quatre chemins. Il a minoré l'affaire. Soit. Cela ne suffisait pas. Il voulait montrer son indignation. Très important, cette chose : montrer son indignation. Le modèle, c'est Hessel. Et, après lui, tout peut être passé à la moulinette de la considération morale. Jean-Marc Ayrault est alors catégorique. Cette information révélée longtemps après les faits est le signe d'une "dérive" de la transparence. L'amoureux de la langue appréciera. La transparence, érigée en vertu démocratique, en signe majeur de la maturité politique (la politique autrement, vous savez, cette énorme escroquerie...), a aussi ses travers. On s'en doutait. Beaucoup dénoncent depuis longtemps cette spectacularisation de la vie, cette mise en scène permanente de soi. L'analyse de Guy Debord, malgré ses limites et sa datation, a servi de boussole pour s'orienter dans un monde où domine l'écran total et totalitaire (2). Sur ce point, la saillie du premier ministre est une sorte de répétition de l'arroseur arrosé. 

    Mais il y a mieux. Dans le même mouvement, le matignonesque ajoute à propos de l'opération présidentielle : "C'est banal. On peut respecter ça. On n'est pas toujours obligé d'étaler sa vie privée." Sublime moment où celui qui ne sait pas parler (soyons clair : qui ne sait pas contrôler sa communication quand elle se fait à chaud) dévoile un mensonge plus gênant, une rouerie de basse politique et une tactique très moderne. Rappelons encore une fois ce propos d'Umberto Eco : "Où est l'auteur ? Dans l'adverbe bien sûr." L'adverbe est souvent, en effet, le signe par quoi la vérité du discours affleure, le canal grâce auquel une autre voix se fait entendre, ce qui serait l'inter-dit du discours, sa fracture (ici, une vraie fracture politique). Ainsi fleurit le toujours. Il y a donc quelque chose qu'on ne peut pas toujours faire, qu'on n'est pas toujours obligé de faire ! Qu'est-ce à dire ? Que l'histoire dont il est question est une exception à la règle, que cette discrétion enfreint les principes sacrés dirigeant l'hyper-modernité de la présence politique ? À quelle obligation le politique se soumet-il qu'il en fasse une quasi essentielle ? "Étal(er) sa vie". 

    Dès lors, puisque la soustraction de l'information chirurgicale au public n'est pas que du silence, mais aussi un manquement à un principe qui régit désormais le/la politique, il faut convenir que le normal président a par ailleurs comme habitude d'étaler sa vie privée. CQFD.

    Disons qu'il en aura usé comme les autres, et pour le dire plus durement, comme le grand Autre dont il moqua le côté bling-bling. Sa maîtresse (à défaut de pouvoir l'appeler autrement) au Palais, sa modernité de couple, ce n'était donc rien d'autre : étaler sa vie privée. Ceux qui s'en moquaient (et j'en suis) avaient donc raison. Le plus amusant (enfin, relativisons) est peut-être que cet adverbe, comme un scrupule, trahit le point de vue de celui qui est censé défendre son supérieur. Une sorte d'aveu inconscient de la désastreuse entourloupe que constitue la normale présidence. À voir...

    Pour prolonger sur l'agaçant parfum de l'adverbe, de ce toujours qui fait tâche, avec la forme négative adjointe, on pourra aussi rappeler que les politiques en usent abondamment. On ne peut pas toujours ceci, on ne peut pas toujours cela... Et le plus souvent, cette formulation a un double objectif : se laver les mains de son incompétence ou de son impuissance ; s'arranger des principes démocratiques pour faire des coups d'État. Souvenez-vous, après le référendum de 2005. On ne peut pas toujours faire confiance au vote populaire. Heureusement, en 2007, le Congrès, Versailles, la Sainte Alliance européenne... Un truc énorme, énorme, bien plus énorme qu'une prostate...


    (1)Précisons néanmoins qu'il n'est nullement question de fustiger le mensonge en soi. Mentir n'est mal. Il n'est qu'une des potentialités de l'échange. Il a son utilité et ses noblesses. Même Rousseau en convenait, c'est dire...

    (2)Et l'on sait que l'écran, c'est aussi ce qui fait écran...

     

    Photo : Bruce Davidson

  • Au delà du siècle

     

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    L'élection de Jorge Mario Bergoglio comme pape a surpris. Il y avait des favoris, des outsiders. Tout cela a été balayé. Et devant ce choix, certains, non pas parmi les croyants seulement, mais aussi parmi ceux qui, paradoxalement, disent n'attendre rien d'un édifice moyen âgeux, obsolète et rétrograde, ont trouvé que l'Église catholique ne comprenait rien à son temps.

    Mais de quel temps s'agit-il ? Quelle image attendait-on d'un pape, s'il faut justement en attendre une image ? Jorge Mario Bergoglio est âgé, sévère, austère, le visage un peu sec. Il a en lui un souvenir du Paul VI que je connus (façon de parler, bien sûr) dans mon enfance. Un jésuite, rigoureux, pour ne pas dire rigoriste, qu'on nous annonce ami des pauvres. Il n'a pas la parole facile. Son phrasé ne révèle pas un grand orateur. Il n'a pas de quoi enthousiasmer. Cela paraît évident. Il ne fait pas moderne.

    Mais qu'est-ce que la modernité en la matière ? Sans doute ceux qui voulaient un nouveau souffle, une dynamique plus engageante, envisageant que l'apparence faisait le fond de l'affaire, rêvaient-ils d'un souverain pontife énergique, emportant la foule, accessible et détendu, un brin drôle. Une figure, quoi ! Un cardinal comme Timothy Dolan, par exemple. Il est l'ecclésiastique qui répond sur CNN que pape, lui ? Sans doute sur la short-list de sa mère, mais pas plus. Que pour le voir sur le trône de Saint Pierre il faut avoir pris de la marijuana ! Dolan, c'est le bon gros, le débonnaire près à la déconne, une gouaille de yankee qui pense que rien ne lui résiste. Dolan, c'est le genre qu'on imagine à un repas finissant par un whisky 30 ans d'âge. Les modernes, les ultra-modernes même, oublieraient qu'il est évêque de New York, qu'en matière de religion, de liturgie, de culture, malgré les apparences, il ne peut pas être un grand déconneur. Certainement pas.

    Ceux qui regardent avec circonspection l'arrivée du nouveau pape sont des gens bien singuliers, et en partie ignorants. S'ils croient, ils ne peuvent que se réjouir puisque Bergoglio s'inscrit dans un courant, au delà de la grandeur intellectuelle, où la foi est mainte fois réaffirmée, où la dimension christique est revendiquée ; s'ils ne croient pas, leur déception (et c'est bien étrange), leurs regrets, voire leurs reproches (car le commentaire va parfois jusque là) sont absurdes et ne procèdent que d'une projection, un quasi fantasme, qui néglige et l'esprit du catholicisme dans ses fondements, et la logique religieuse qui en découle.

    Dieu, le Christ, ne sont pas modernes. Ils ne peuvent pas l'être, puisqu'ils signifient un certain degré d'intemporalité. Pas modernes, non. Et surtout pas lorsque cette modernité consiste pour l'essentiel en un effet de communication. Attendre un pape jeune, ou rock'n'roll, ou noir, est le signe d'une bêtise sidérante. C'est oublier le réel et transférer dans l'ordre spirituel les éléments d'un discours politique de communication. Certains pariaient sur un pape noir, par exemple. C'eût été un signe de changement, d'évolution, un tournant. Ils sont semblables à ceux qui nous avaient longuement expliqué que l'élection d'Obama bouleverserait l'Amérique. Les pauves, à commencer par les noirs des ghettos, attendent encore.

    En choisissant Bergoglio, les 114 cardinaux du conclave ont refusé, pour des motifs que je ne connais pas, de céder à cet air du temps, à cette atroce décadence du politique aujourd'hui légiféré par le culte de l'apparence, de l'éloquence normée, du faire-semblant. À une mienne connaissance, qui a abandonné le catholicisme sans pour autant se désintéresser du religieux, à elle, donc, qui me disait que l'évêque de Buenos-Aires semblait manquer d'élan, j'ai demandé si elle eût préféré le new yorkais. Certes non. La familiarité, le relâchement, arrivé à un certain degré de responsabilité, sont des cache-misère, des signes de faiblesse, d'impuissance, d'illusion et de tromperie. Ce phénomène a été suffisamment dénoncé en politique pour qu'on n'attende pas d'un collège de cardinaux qu'ils s'y complaisent.

    Sur ce point, ils sont à rebours. Les mauvaises langues diront : dépassés, rétrogrades. Tant mieux.


    À lire : le billet de Solko, Un Christ sans croix.


    Photo : Gabriel Bouys

  • Facile, trop facile...

     

    Nous en étions restés à cette idée peut-être simpliste que les responsabilités vous endurcissent, ou, pour le moins, qu'elles vous obligent parfois, la mort dans l'âme (mais ce n'est qu'une métaphore...), à faire ce que vous n'auriez pas voulu faire.

    Et de se dire qu'inéluctablement, assumer une fonction revient à se retirer en partie de soi-même, à se conformer à cette affiche un peu statufiée qu'on définit comme la représentation. D'une certaine manière, cela s'appelle la dignité. Cette dignité doit avoir, parfois, les allures du masque. C'est ainsi que le théâtre, le vrai, tragique et terriblement humain, prend son sens, dans ce qui est caché, retenu, aboli de l'être qui parle et qui agit..

    Mais, dans ce qu'il faut bien appeler une mise à disposition publique de tous les signes de l'humanité, les larmes ont pris une place de choix et l'homme dont on dit qu'il est le plus puissant du monde (si l'on veut admettre que la politique nucléaire état-unisien n'est pas, par exemple, un pouvoir sans conséquences...) n'aura pas ménagé ses effets durant ces deux derniers mois.

    1)

     

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    Nous sommes dans le Wisconsin, début novembre. C'est son dernier meeting. Il est crevé, épuisé d'aller à coups de millions de dollars aux quatre coins du pays pour mettre une rouste au mormon. Il a les nerfs à vif sans doute, le corps qui rend l'âme et l'impression que l'affaire est bien partie. Mais c'est ainsi : une sorte de post coitum animal triste. Il va remettre le couvert et la bonne surprise de 2008 devient une confirmation. Il pleure. Sur ses efforts ? Sur l'improbable ? Sur ceux qu'il a déçus et qui rendront sa victoire moins large ? Sur sa gloire qui va prendre du galon ?

    2)

     

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    Nous sommes à son QG, début novembre. Il est avec son équipe. Il est le capitaine triomphant qui vient rendre hommage au cercle restreint de ceux qui n'ont pas dormi, qui ont donné corps et âme. Il leur doit une fière chandelle. Il a l'air d'un lycéen, nouvellement bachelier, dont le destin l'emmène loin de sa famille, des amis, de ses potes, de son quartier. Il boucle une aventure : le côté boy-scout, c'est fini. Lundi, c'est retour au  bureau. Moins excitant, moins d'adréaline. À en avoir des frissons dans le dos.


    3)

     

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    Il est à la Maison Blanche. Nous sommes à la mi-décembre. 26 morts à Newtown, soit, en une fois, la moyenne journalière américaine des morts par arme à feu. Une sorte de packaging instantané, en somme. Il évoque des mômes abattus sèchement qui auraient fait de bons petit(e)s américain(e)s. Pour eux, c'est fini : ni corps, ni âme. Il pleure. Il est père. Il imagine. Il est humain. Il est président et comme il l'a dit pendant la campagne, en réponse à une question qui lui était posée, qu'il croyait au deuxième amendement autorisant chacun à être armé. Mais ce n'est rien. Il est ému. Ça se voit, ça doit se voir.

    Ces émotions répétées, dans des contextes et pour des raisons fort divers, ont quelque chose de grotesque. Elles mélangent la fébrilité d'une réussite conditionnée par l'argent (la campagne d'Obama, c'est un milliard de dollars), l'émotivité du sportif qui décroche la timbale, le pathos facile de l'impuissance politique, la compassion qui vous dédouane de tout. On aimerait qu'il ait les larmes aussi abondantes sur la misère que répand la politique américaine à travers le monde, sur les horreurs économiques dont usent les grands groupes de son pays pour satisfaire des actionnaires encore plus voraces, qu'il sorte son Kleenex à chaque bombe explosant à Bagdad ou ailleurs. Mais à ce train-là, je crains qu'il ne puisse pas beaucoup travailler et que la déshydratation le guette.

    Certains diront qu'il est humain, que ce n'est pas Bush, lui. Bien sûr... Ce n'est que "l'obscénité démocratique" que dénonce Régis Debray dans un court essai (1) ainsi intitulé et qui parut en 2007 et dont j'extrais les phrases suivantes :

    "Obscène, en termes techniques, est le forum dont la dramaturgie se met à obéir à la télécratie. Ou qui passe, plus précisément, du plan large au gros plan qui vient fouiller le visage, la larme au coin de l'œil, le baiser sur la bouche et le petit dernier -au cours d'un cérémonial officiel". 



    Régis Debray, L'obscénité démocratique, Flammarion, "Café Voltaire", 2007.

  • En vedettes américaines...

    Maintenant que le grand cirque a rangé ses pistes, ses parades et son orchestre tonitruant, on se retourne et l'on se demande vraiment ce qui nous vaut de bénéficier ainsi d'une couverture aussi complète de l'élection américaine. Il faut dire que l'engouement ne date pas de l'année. Il y a eu le tournant Bush (une raison de plus pour vouloir lui faire un procès à ce crétin des Alpes...). Il avait concentré une telle montée d'affect, essentiellement contre lui, qu'il a donc fallu que les médias hexagonaux fassent des mandats présidentiels outre-Atlantique une histoire que nous aurions à vivre par procuration. Les États-Unis, c'est un peu nous, avec La Fayette et toute la troupe (1)... C'est sans doute au nom de cette vibrante filiation que nous vîmes en 2004 des journalistes français en pleurs quand il fut entendu que Bush le fils remettait le couvert pour quatre ans, et que nous les vîmes (les mêmes ? de toute manière ils sont interchangeables) pleurer (décidément...) à l'annonce du triomphe d'Obama. Je les écoutais, abasourdi devant autant de bêtise, nous expliquer qu'une nouvelle ère commençait, que l'Amérique, territoire de l'espoir, de la réussite et du mélange, était de retour, que la même Amérique qu'ils avaient décrite comme peuplée de fachos bellicistes avait changé : de l'amour, du respect, de la solidarité, désormais. 

    Il ne semble pas que les quatre ans d'Obama aient bouleversé l'ordre des choses. Qu'il soit noir (ou métis, pour les puristes des deux bords, parce qu'en la matière, il y en a un paquet pour qui Barack Obama n'est pas assez blanc, ou pas assez noir...) est un paramètre secondaire. On nous l'a pourtant vendu comme un élément essentiel. Barack Obama est d'abord un homme établi dans la classe supérieure de la société américaine et je doute que son mandat ait pu le rapprocher de cette misère et de ce désœuvrement qui marquent tant le peuple américain, à commencer par les noirs, ceux des ghettos s'entend...

    Il y a, en tout cas, un point sur lequel les années écoulées ont laissé les choses en l'état : la mise en scène vulgaire et spectaculaire de la représentation politique. Il est fort étonnant que ceux qui, pendant des années, ont moqué et voué aux gémonies le bling-bling président, ne se répandent pas sur les modèles communicationnels dont usent tous les candidats à l'élection américaine. Parce que si comparaison ne vaut pas raison, certes, il n'en demeure pas moins que les États-Unis sont le lieu de tous les possibles, à condition d'avoir de l'argent, et dans des proportions qui font passer les campagnes de Hollande et Sarkozy pour du patronnage agricole, et de s'autoriser toutes les bassesses.

    Cette démocratie exemplaire dont on nous rebat les oreilles, c'est d'abord celle du fric et des discours faciles, celle de la morale érigée en principe cardinal et de l'hypocrisie dans les moyens choisis pour discréditer l'autre. Car il s'agit bien de cela : la démocratie américaine fonctionne d'abord comme une entreprise de destruction ad hominem. Les idées ne sont rien (mais on le comprend, car sur le fond, ils sont tous d'accord). Ne reste que la fibre intime qui fera passer l'autre pour un être incertain. Tout président ou challenger qu'il soit, le candidat est l'homme à abattre. Et pour ce faire, il n'y a pas de limite. Deux exemples édifiants...

    Le premier est un clip de campagne du candidat républicain Rick Perry (battu pour la primaire par Romney). Il vise le président Obama. Il est construit comme une bande-annonce de blockbuster catastrophe. Tout y est : la musique, la dramatisation par le rythme (plans courts, accumulation d'images symboliques), voix off profonde, activation de tous les réflexes primaires des temps de guerre, invocation d'une mythologie belliciste. Si l'on s'en tient à ce seul contenu, il est vraisemblable que Perry élu, il n'aurait plus eu qu'à incarcérer Obama pour haute trahison et le passer par les armes.

    La confusion formelle entre la fiction (dont on rappellera quel rôle elle joue dans la construction de l'imaginaire politique des Américains : il suffit de voir le contenu de leurs séries, et notamment de celles produites par la Fox et ses proches : de 24 Heures chrono à NCIS) et la réalité n'est pas innocente. Les États-Unis ont un goût particulier pour le story-telling politique. Ronald Reagan en avait fait le fonds de son idéologie sécuritaire et paranoïaque. Le clip de Perry ne fait que reprendre les thématiques classiques du conquérant de l'Ouest. Il est gouverneur du Texas : l'Amérique profonde et authentique, loin des tendances européennes bon chic bon genre de la côte Est. Ce recours au story-telling rappelle combien ce pays fonctionne en se leurrant sur sa puissance. Le mélange réalité-fiction révèle d'abord une impossibilité à penser le réel et à penser une altérité du monde. L'illusion est la règle, le bluff la méthode, le passéisme glorieux la boussole. Dès lors, tout est possible puisqu'on en rêve. La composition binaire du message de Perry s'explique par cette croyance en un au delà de la réalité, celle qui s'impose aux États-Unis comme au reste du monde. On peut toujours fermer les yeux et se faire des films. Hollywood n'arrête depuis trente ans de nous resservir la même soupe de la grandeur américaine pour cacher la misère du quotidien. Il est pathétique de voir Perry user de telles ficelles scénaristiques mais cette situation est symptomatique d'une expression politique marquée par la vacuité de son action et la pauvreté de son idéologie. Dès lors, le politique américain ne peut survivre à son néant qu'en se métamorphosant en un personnage cinématographique et en truquant le monde pour en faire un espace de studio.

     


     

    Le deuxième clip est un chef d'œuvre de vulgarité. Ce n'est plus, comme précédemment, l'idée que la politique se ressource dans les valeurs du combat, mais celle, plus simpliste encore, qui assimile le vote à la sexualité. Lena Dunham, qui joue dans Girls, explique combien il est important de trouver l'homme juste la première fois. Et la première fois qu'elle a... voté, c'était pour Obama.

    Le premier élément consternant tient au fait que le candidat, ou son équipe, n'a pas désapprouvé l'initiative de l'actrice. Le mauvais goût passe après l'effet choc du clip (et les Républicains ont crié au loup, si j'ose dire). Il mobilise, il fait le buzz et c'est d'abord ce qu'on lui demande. On ironisera bien sûr quant au contenu proposé, dans un pays qui pratique la pudibonderie avec une maestria prodigieuse. Ne jamais parler de cul, mais y penser toujours : cela pourrait être leur devise. La prestation de Lena Dunham illustre parfaitement ce dévoiement de l'action politique qui se réduit peu à peu à n'être qu'un objet de consommation et ne peut survivre comme réalité qu'à condition qu'elle s'efface paradoxalement comme réalité. Transformer Barack Obama en partenaire sexuel peut outrer, certes, mais un tel raccourci n'est jamais que la concrétisation impensable (mais pas si impensé que cela) d'une évolution qui fait de l'homme (ou de la femme) politique, dans les sociétés contemporaines occidentales, une incarnation fantasmée de toutes les réussites : celui qui a le pouvoir, celui qui connaît les grands de ce monde, celui qui connaît les acteurs, les chanteurs, les réalisateurs, celui qui connaît les people, bref, celui qui a tout (et dont le pouvoir politique devient secondaire, presque anecdotique...). La déclaration de Dunham incorpore le politique dans une histoire fétichisée où celui que l'on veut est purement et simplement (mais cela veut dire qu'il n'en est rien) l'objet de son désir. Transférer le sens de la responsabilité et la sagesse politiques sur le terrain du savoir sexuel est pour le moins régressif. La raison collective est mise au placard pour laisser place à l'affect individuel et, le temps d'un clip, d'un déclaration, d'un coming out, on ramène le politique à un investissement privé. Il est très drôle de voir une femme, dans ce pays si sourcilleux sur le plan du féminisme et des gender studies, se comporter de la sorte, parce que si on voulait inverser les termes, on pourrait supposer que dans quatre ans, si Hillary Clinton se présente, on aura un beau gosse venant au devant de la scène pour expliquer qu'une femme mature (pourquoi pas une cougar ?) c'est le top de l'initiation. Quand on en arrive là, il n'y a plus grand chose à espérer de la parole politique.

     


     

    Ces deux exemples, aussi dissemblables puissent-ils paraître, ne sont que les deux faces d'un même objet, d'une même représentation. Ils définissent le politique à la lumière d'un profond creux idéologique. Il ne s'agit plus de faire son choix à l'aune d'une architecture conceptuelle déterminée mais de ramener celui-ci à une immédiate satisfaction de son seul fantasme. On se rappelle la formule, d'ailleurs faussement attribué à André Bazin, qui inaugure Le Mépris de Godard : "le cinéma substitue à nos regards un monde qui s'accorde à nos désirs". Pas de doute : nous sommes au cinéma. C'est une actrice qui le dit, c'est un cinéaste qui le filme...


    Il est toujours possible de se consoler en se disant que tout cela se passe à 7000 kilomètres, que les Amerloques sont les Amerloques. Ce n'est qu'une question de temps, et rien de plus. Les socialistes ont déjà adopté le principe des primaires (2) et le clip ultime de François Hollande est fort instructif (notamment en comparaison de ceux des autres candidats) sur le changement qui s'opère. Il a raison, l'homme normal, le changement, c'est maintenant, et pour ce qui suit, c'est cadeau, comme on dit...


     

    (1)Pour d'autres, bien sûr, leur viennent à l'esprit les pages magnifiques de Chateaubriand s'extasiant de la nature dans toute sa luxuriance romantique. Mais il s'agit d'une référence qui n'a plus cours. Que ferait un passionné royaliste, perdu entre les XVIIIe et XIXe siècles, dans ce paysage moderne qui veut de l'actuel, du contemporain et fait une fixation sur un futur perçu comme en apesanteur. La Fayette, au moins, sent la poudre. C'est du western avant l'heure...

    (2)L'UMP va suivre, et c'est hilarant de voir (mais j'y reviendrai bientôt) que ce sont les gens de gauche qui singent les pratiques d'un pays où le plus à gauche des politiques est chez nous un ultra libéral...

  • De taille et d'estoc

    Les porte-breloque olympiques sont revenus chargés de gloire et de primes, hérauts temporaires d'une réussite nationale qui cherche à faire oublier le désastre. Il n'y a rien de pire que ce dévouement sportif à "vouloir donner du bonheur aux gens", ni de plus consternant que cette récupération politique s'extasiant "devant la vigueur de la jeunesse".

    Cette année pourtant, c'est un peu la soupe à la grimace. 34 médailles londoniennes : voilà  qui est nettement moins bien que l'épisode pékinois. Certains stratèges UMP y verront les premiers signes de l'après-sarkozysme. Flanby est plan-plan, quand Bling-Bling courait et pédalait dans tous les sens. Il savait donner l'impulsion, l'exemple. Le sportif est par principe d'exception et peu compatible avec l'homme normal. D'autre diront plus sérieusement que la multiplication des pays triomphants, parfois si petits ou si peu peuplés, nous prive de ce qui nous revient de droit. Tout cela, c'est la faute du Kazakhstan ou de Trinidad-et-Tobago. Un peu facile. D'autres encore invoqueront la réussite anglaise (troisième derrière les Américains et les Chinois), signe d'un manque évident de fair-play et de courtoisie. Gagner chez soi (parce que chez soi) est d'une prétention détestable. Quand on invite, on ne commence pas par se servir.

    Mais tout cela ne touche pas vraiment la raison profonde de la faillite hexagonale, là où elle concerne l'essence de notre histoire. Ainsi la France rentre-t-elle bredouille en escrime et en équitation, domaine dans lesquels elle donnait le meilleur de la représentation nationale. Temps qui n'est plus, hélas, à jamais révolu, ajoute l'esprit nostalgique. Le triomphe du cavalier et de l'épée est image de sépia. L'esprit chevaleresque et aristocratique a vécu. La grandeur de l'Ancien Régime a définitivement cédé devant le démocratique VTT et l'estivale natation. Londres 2012, c'est peu ou prou le dernier acte du basculement de 1789, ce qui ne manque pas de sel (amer), quand on sait l'attachement british à la monarchie. Prenons-en acte, ou sinon redorons le blason de l'esprit à particule à travers ses attributs les plus visibles. Choisissons la deuxième solution.

    Certes, nous savons après la lecture de La Route des Flandres de Claude Simon que la cavalerie ne peut guère rivaliser devant le canon de 40. Mais la technologisation admirable de la violence n'a pas prouvé que notre efficacité guerrière ait progressé, si l'on en croit nos déboires en Afghanistan. Réhabilitons donc l'armée à cheval, multiplions par dix les effectifs de la Garde Républicaine pour avoir des cavaliers olympiques dignes de notre tradition (ce qui exclut les femmes, sans doute, mais on ne peut pas satisfaire tout le monde...). Développons une brigage montée à la française (très important, cela : à la française, puisque nous faisons génétiquement mieux que les autres) pour les carrefours embouteillés ou pour les manifestations de pauvres. Il est certain qu'ainsi sortiront quelques pépites pour le concours complet ou l saut d'obstacles. De même, rendons obligatoire l'inscription au manège des 8-10 ans ; que la pratique chevaline devienne le fer de lance d'une nouvelle éducation (tant celle-ci, d'éducation, n'en est pas à une niaiserie près) par laquelle les meilleurs iront à cheval, et les médiocres à pied. L'équitation ou l'équité, il faut choisir. Je choisis, pour ma part. Et la France retrouvera alors son rang, le premier, dans le concert des nations.

    Moins coûteuse, et plus intéressante, voire utile, me paraît le regain possible de l'escrime française. Il n'est pas question de rétablir le port de l'épée. Cela ne sied guère au vêtement contemporain. Plus essentiel me semble le rétablissement du droit, voire du devoir, au duel, ce droit combattu dès le XVIIe siècle, comme une plaie morale, par un Etat centralisateur. Imaginons un instant l'imbecillité française régler ses fâcheries d'égo et de territoires, le matin, à la fraîche, sur le gazon d'un jardin public, au tranchant de la lame, à la vigueur de la pointe, plutôt que d'user bassement du couteau, de la 22 long rifle ou de la kalashnikov (à Marseille en particulier). La noblesse du combat, le port altier, le sens de la loyauté devant la mort, et le silence qui s'impose (plutôt que la vulgarité ambiante), tout cela aurait un effet bénéfique pour la société tout entière. Certes, le Champ de Mars, le Luxembourg, la Tête d'Or ou le Thabor rougiraient un peu du sang des vaincus, mais c'est fort peu en vérité. Les belliqueux contemporains pourraient se faire connaître, du caïd de banlieue à l'irrascible en auto, de l'aristocrate en chambre au mélancolique sans dessein. De fil en aiguille se ferait une sélection naturelle mettant en valeur celui qui, combat après combat, a survécu. La jeunesse, notamment, de tous les milieux, aurait là le moyen d'exprimer son envie de respect dont elle nous rebat les oreilles. Il suffirait de repérer ceux qui persistent, victorieusement, dans leur envie de tuer (ou de mourir, qui sait), sans jamais connaître le goût saumâtre de la défaite. Peut-on estimer qu'au dixième duel, le survivant est un sujet plein d'avenir ? Je le crois (de toute manière, il y aura bien des socio-psychologues pour se pencher sur la question).

    Ainsi déterminée, par une sorte de loi de sélection naturelle où les plus vaillants sortiraient du lot, l'escrime française, sans effort et sans investissement supplémentaire (nous sommes en période de crise), aurait, par voie de sourcecrowding, d'une certaine manière, un vivier dont elle n'aurait plus qu'à faire fructifier le trésor. Nul doute qu'en établissant la violence comme une forme de rite unificateur et respectable, l'épée, le sabre ou le fleuret regagneraient les médailles qu'un développement trop confidentiel et bourgeois a fini par perdre.

    Les cavaliers et les escrimeurs sont décidément des fins de race. Il est urgent d'insufler un élan nouveau. Cela passe, c'est clair, par une démocratisation à tout va, une institutionnalisation de la violence organisée, un droit à se faire justice dans les règles : rien qui puisse, au fond, choquer l'ordre libéral...


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  • L'habillage d'une escroquerie

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    Depuis le 27 juillet, c'est la fête du slip (de bain), du short, du plastron, de la culotte (de cheval), du kimono, à Londres, mais aussi all over the world. Nous sommes partis pour une quinzaine d'émotion, de moments historiques, de tension, d'incertitudes, de larmes, de sueur. Il ne manque que le sang, et on comprend dès lors que le sport est la guerre sous une autre forme. Non pas qu'il en soit seulement, selon un parallèle assez connu, la transfiguration pacifique, le détournement jouissif ; il est aussi associé, dans le vocabulaire, dans les prises de position politiques et journalistiques, à une radicalité où l'esprit sensé trouvera difficilement et la pureté et la beauté de l'objet qu'on nous vend comme une harmonie vers laquelle le monde entier devrait tendre.

    Sans doute voudrait-on considérer combien l'idée même de village olympique, avec ce brassage magnifique des nationalités, est une mise en abyme d'une mondialisation festive et heureuse, oubliant que ce village, ce n'est pas une œuvre en dur mais un montage aléatoire et transitoire de tentes pour quelques privilégiés. La douce entente des sportifs, leur estime réciproque, cette communauté des âmes musculeuses, tout cela ressemble étrangement à l'accord qu'on peut trouver entre les puissants de ce monde qui ne sont nullement regardant sur la couleur de leur peau et leur origine. Il faudrait que l'on cesse (mais peu de chances qu'il en soit ainsi) de nous vendre la fraternité sportive comme un modèle simple et accessible puisqu'elle fonctionne d'abord sur une sélection drastiques et une rivalité que l'on expose entre soi. Selon un parallèle qui pourra sembler déplacé, disons qu'il en va de cette caste comme des Thélémites : ils sont peuples choisis, et c'est ainsi qu'on nous les expose, que les nations les exploitent, que les politiques se glorifient de leurs victoires.

    La fête olympique est une escroquerie de plus dans un univers médiatisé. C'est une trêve dans la folie du monde : là encore, le message est simple et la volonté d'amnésie imparable. Et dans ce domaine, l'hypocrisie n'a pas de limites. Jacques Rogge, le président du C.I.O., réaffirme le soutien du mouvement sportif aux athlètes syriens. Pourquoi ? Pour leur dissidence, ou pour la capacité à courir dans un stade pendant que son pays est lancé dans une guerre civile spectaculaire (1) ? Et pourquoi seulement les Syriens, quand tant de pays dans le monde voient leurs populations brimées, exploités, asservies... Mais on comprend bien que Damas est pour l'heure le point noir qui empêche que la fête soit complète. Les faits y sont tellement graves que l'olympisme les voit comme des ombres gênantes. Alors une déclaration ne fait jamais de mal, et après on peut aller manger tranquille, distribuer des médailles et s'extasier des histoires qu'on vient de faire partager au public, la larme à l'œil et le cœur battant.

    Mais, nous répète-t-on, le sport est le moyen fort pour rapprocher les hommes, pour rompre les barrières et faire que les choses changent petit à petit. Discours convenu que des journalistes relaient à qui mieux mieux (et il est fort à parier qu'ils s'y croient, ce qui est, de loin, le pire...) : à la beauté et au mérite du sportif, s'ajoute sa puissance politique. Les intérêts multiples, les magouilles infinies, les expériences sur les athlètes, les arbitrages dirigés, démontrent évidemment le contraire. Peu importe : l'avenir du monde est dans l'olympisme (2). C'est par là, et non par le politique, le travail d'éducation, le développement raisonné, la mesure dans l'exploitation des richesses, le respect de l'être humain, que passe le sauvetage de l'humanité et l'évolution des mentalités.

    Et l'amoureux aveugle de l'épopée sportive saisit la balle au bond et nous donne un nouvel exemple. La judoka saoudienne Wodjan Ali Seraj Abdoulrahim Chaherkani devra se présenter sur les tatamis des Jeux olympiques de Londres « sans son hidjab » (foulard islamique), a annoncé jeudi 26 juillet le président de la Fédération internationale de judo. Pour la première fois, l'Arabie Saoudite présentait une athlète (3) et voilà qu'on entre d'emblée dans le vif du sujet. Les rois du tatami balancent toutes les convenances par dessus bord et contraignent les Saoudiens à plier. À première vue, le féministe devrait se réjouir. Tout cela de gagné. Mais est-ce si simple ? Faut-il y voir un bras de fer avec le wahabisme ou une simple nécessité sportive, quand dans le même temps la FIFA autorise ce même hidjab pour le football ? Faut-il croire qu'il en serait de même pour un sport dont les enjeux financiers sont autrement plus conséquents (et l'on pense aux investissements des pays du Golfe dans le football, justement) ? Et même : admettons que le choix de la Fédération internationale de judo soit motivé par une volonté idéologique en faveur des femmes. Il est alors fort consternant de voir une telle instance pouvoir imposer cette juste vue, quand des états entiers plient devant une morale aussi rétrograde. Et que nul ne vienne faire un procès à cette fédération, au nom d'un différentialisme bien compris, est, je crois, la meilleure preuve de l'illusion sportive. Si cette décision est une satisfaction pour ceux qui l'ont prise (et qui sont fort respectables), et si l'état saoudien n'a semble-t-il pas crié au scandale, c'est justement parce que sur le fond, dans le Golfe persique, rien ne change vraiment pour les femmes, les femmes du commun, pas celles que l'on fait sortir pour une Olympiade, que l'on exhibe comme le signe d'une belle santé politique. Sur ce point, seuls les soucieux de l'audimat, les vendeurs de pub, les décerveleurs audio-visuels et les politiques espérant qu'une médaille calmera les populations donnent le change, pour récupérer la mise, qui, elle, vaut bien plus qu'une breloque.



    (1)Il y aurait beaucoup à dire sur l'épisode syrien, sur les dérives médiatiques et la litanie des morts journalières, comme si une guerre se faisait avec des pistolets à eau...

    (2)Olympisme conçu par Coubertin dans des temps de bellicisme larvé, au demeurant...

    (3)En fait, il y a en deux.


    Photo : stade de Molène, Jacques Bon.




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  • La politique blockbuster

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    Fin de campagne. Dernier billet sur le sujet. Il sera bien temps après de penser à l'intérêt que cela avait et aux accrochages que cela a suscités. Pour l'heure, on se dit : dernier billet, conclusion dans le calme alors même que cela pue abondamment, que Sarkozy s'extrémise non par idéologie mais pour pratiquer la politique de la terre brûlée et faire que son camp ne s'en relève pas (et Marion Le Pen se délecte...).

    Finir en douceur une campagne âpre et ennuyeuse signifie imparablement célébrer les femmes pour trouver un peu d'espoir. Les femmes en politique sont la quintessence de la délicatesse, un autre regard, une démocratie apaisée. Du moins c'est ainsi qu'on me l'a vendu, cette équation femme politique, depuis que je suis jeune. Naïf (ou sensible) comme je suis, j'ai voulu y croire. De même, l'idée qu'avec le crépuscule sarkozyste s'achevait l'époque du clinquant et du m'as-tu-vu. Retour aux affaires (1) de la gauche. Du sérieux, de l'austère, du common man, de la madame tout-le-monde, de la modestie... La gauche, la vraie, dans toute la sincérité d'une tradition qui remonte à Jaurès et compagnie.

    C'est dans cet esprit, sans doute, que les Inrocks ont choisi de faire leur couverture sur la nouvelle garde socialiste. J'imagine que le Huron voltairien ou l'Indien de Montaigne voyant une telle photographie, à l'aveugle, déclarerait qu'il s'agit de quatre actrices réunies, à coup de fric, pour un blockbuster où l'on trouvera de l'action, du suspens, du sexe et de l'amour. On y trouve tout : le mélange cultural studies, la beauté un peu mystérieuse, la rudesse des regards, le chic retenu et le décontracté de marques. Le lecteur suppose qu'elles sont quatre sur la photo mais que le scénario a prévu que certaines s'affronteront. C'est un casting où chacune a un rôle, incarne une certaine ligne hollywoodienne, entre femme fatale et femme de tête, entre sévérité et sensualité, entre traîtrise et fidélité. L'Europe, l'Asie, le monde arabe : tout y est. Très mainstream. Les visages fermés, le sourire carnassier, le style un peu masculin et le rouge à lèvres qui claque. Toutes ensemble et déjà prêtes à s'entretuer. D'ailleurs le titre du film dit tout : Girl Power On a hâte d'y être. Pas de panique : elles arrivent, les Drôles de Dames de la rue Solférino. Et de se demander laquelle in fine terrassera les autres et trouvera l'amour dans les bras du magnifique héros dont l'affiche fait l'économie...

    Que les Inrocks tentent le coup d'une politique rock and roll n'étonne pas. C'est de leur niveau : bobos de gauche décalés et vaguement révolutionnaires du MP 3. Leur ligne d'horizon, fort basse, comme leur intelligence, ne peut guère viser autre chose. En revanche, que les égéries du PS se prêtent au jeu, qu'elles n'y voient qu'une stratégie de com supplémentaire, sans en saisir ni la puérilité (eh oui, les filles, vous ne serez jamais Uma Thurman ou Scarlett Johanson (2)) ni l'indécence, ni le déni que représente une telle posture, voilà qui consterne. Il ne s'agit pas d'être dupe : s'engager à ce niveau en politique n'est pas le fait d'enfants de chœur, de bons samaritains. Soit. Mais jouer avec les codes d'une pensée jeune (!) et illusoirement rebelle est pitoyable. Que la gauche aux aspirations moralisantes cède à la tentation n'est pas à sa gloire. Mais il y aura toujours des bonnes âmes pour m'expliquer que cela n'a absolument rien à voir avec Sarkozy et Carla, le Fouquet's, Nicolas et ses amis du show-bizz... Je ne vois pas la différence et je trouve que finir symboliquement ainsi qu'avait commencé l'histrion hystérique, c'est risible (sauf que je n'ai pas envie de rire, au fond...).

     

     

    (1)J'aime bien cette expression. Elle est savoureuse, car, dans la majorité ou dans l'opposition, quel parti politique a-t-il jamais quitté les affaires ? Ou pour l'écrire autrement : les affaires ont-elles jamais quitté les politiques ?

    (2)Je prends à dessein des exemples contemporains pour renforcer le ridicule. Il eût été infamant d'aller invoquer les mânes d'actrices authentiques...

     

  • Le Prince consort

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    D'abord il y eut le Père, son apparition iconique au centre de l'écran, au bout du tapis rouge. Le Père venait à nous dans son épiphanie de common man transformé en gardien élyséen de la République. Il n'était encore qu'une image, muette. Il ne s'exprima que plus tard, lorsque rancœurs, passions et exaltations se furent assagis. Il fut longtemps invisible, dans sa modestie corrézienne.

    Sur le plateau de France 2, il y avait la Mère, dans sa raideur froide de vainqueur (a)battu. Elle devait reconnaître le triomphe du Père sur celui qui l'avait, cinq ans auparavant, défaite sèchement. Journalistes, et (télé)spectateurs sans doute, guettaient la faille, à travers laquelle apparaîtrait (décidément que d'apparition...) le sentiment profond d'une injustice personnelle. On en sentit poindre l'expression quand elle rappela que la victoire du Père procédait de ce qu'elle avait entrepris avant, que son Désir d'Avenir avait préparé l'avènement du common man. C'était drôle : on sentait que le journaliste avait envie de lui demander ce qu'il avait lui, le Père, qu'elle n'avait pas, ou pas eu, elle, la Mère. Il s'abstint, politesse et décence mêlées, parce qu'il n'était pas question de s'engager dans ce genre de débat, trop délicat, trop guerre des sexes, à l'heure de la parité et du politiquement correct. C'était en filigrane...

    Mais tout cela avait déjà une moindre importance, car avant qu'on lui demandât son avis, à elle, était apparu (oui, vraiment, soirée de tous les sortilèges) le Fils, dans la pleine folie d'une soirée électorale qui ressemblait étrangement à une fête de fin d'examens pour étudiants perpétuels. Le Fils, Thomas Hollande, eut droit au prime time, 20 heures à peine passé, comme s'il revenait au prince héritier d'être le premier commentateur de l'accès au trône de son Père. Il était ému, l'œil un peu humide et la voix tremblante. Il avait cinq ans auparavant échoué avec la Mère ; il gagnait ce soir-là avec le Père. Il était super content, animé d'un frisson jeune et modeste. Il était le Fils digne du Père, tout en n'ayant pas trahi la Mère. Cela ne pouvait qu'attendrir le quidam vainqueur par procuration à qui on avait répété que l'élection était historique, que c'était un choix de société, un tournant, etc, etc, etc et à qui on offrait avant toute autre considération sérieuse une réaction juvénile rappelant les banalités d'un entraîneur de football dans la minute qui suit la victoire : on a tout fait pour, beau challenge, très touché, un grand moment d'émotion, etc, etc, etc.

    Ainsi France 2, toute honte bue de son allégeance sarkozyste cinq ans durant, passait à la minute dans le camp opposé et imposait, en bonne chaîne publique aussi pourrie que ses consœurs commerciales, l'étrange image d'Épinal d'une famille recomposée, dont chaque membre était à un endroit différent mais que la magie médiatique réunissait pour l'occasion. Pendant les deux ou trois premières minutes de cette bascule démocratique, nous n'étions plus que les témoins sidérés d'un moment de télé-réalité auquel se prêtaient (volontairement ? malgré eux?) les trois membres éminents d'une famille politique (entendons ici politicienne). On privatisait pour quelques instants un fait collectif. On en faisait une histoire personnelle, un storytelling digne d'une scène de cinéma. C'était, me semble-t-il, la première fois que l'on voyait ainsi la filiation prendre le pouvoir symbolique, faisant attendre le bon peuple (j'entends : ceux qui sont censés le représenter, soit : les hommes politiques) dans l'antichambre. Non seulement l'opposition était réduite à quia mais les caciques socialistes, les éléphants, étaient relégués au second plan. Le drame familial (lequel est le fondement de tout, c'est vrai, ainsi que l'écrivait déjà Aristote...) prenait toute la place. Et le quidam de se demander si l'on n'était pas en train de nous vendre le président 2022 ou 2027, selon le principe d'un héritage particulier dont Bourdieu a fort bien montré la perversité sociale. Car c'était bien au bénéfice du titre Fils de... que ce bon Thomas s'exprimait ...

    Ce fut le moment glamour de la soirée, la seule nouveauté, comme la petite pointe d'originalité que l'on trouve dans un film qui aligne tous les clichés d'un genre très codifié. Après ce grand moment de télévision, le reste fut fade, ennuyeux, prévisible. Et, en creux, se confirmait que désormais rien, absolument rien, ne pourrait être traité, en information, qui ne se réduise pas à du pathos scénarisé, que la réalité n'était qu'un élément, une ressource, parmi d'autres, de la fiction généralisée dans laquelle le pouvoir et les médias veulent que nous évoluions...

  • Si la photo est bonne...

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    La spectacularisation du monde dont Guy Debord avait annoncé l'avènement continue son déploiement. Elle induit que nous remisions dans les armoires de la vieille morale des attitudes qui correspondaient à la common decency chère à Orwell. Que la politique soit une mise en scène n'est pas nouveau. Le XXe siècle et son cortège technologique ont  cependant donné une autre mesure au phénomène et le pouvoir a joué d'ingéniosité pour se mettre en valeur. Il y eut les causeries au coin du feu de Roosevelt mais tout cela est loin. Désormais la scénographie est permanente.

    On aura beaucoup glosé sur la neutralisation du tueur, Mohamed Merah  ; certains se seront fendus de quelques considérations sur le respect du droit, les principes nécessaires de la procédure judiciaire, le rôle ambigu de Claude Guéant. Il est certes fort étonnant d'avoir attendu si longtemps pour une opération dont il était prévisible qu'elle se terminât dans le sang. La complainte de ceux qui voient en chaque action politique le signe d'un fascisme rampant n'est pas nouvelle. Pourquoi pas ? Déplorer que le jihadiste n'en soit pas sorti vivant a des motivations douteuses. En ce cas-là, on invoque les nécessités de la justice, le refus de la vengeance qui bafoue l'humanité et les droits. Soit...

    Mais revenons un peu sur le spectaculaire de toute cette séquence meurtrière qui englobe l'assassinat de trois militaires français et celui d'enfants et d'adultes juifs. Les treillis et les cagoules du RAID, les bavardages journalistiques et politiques ne sont pas les seuls éléments qui interpellent. Prenez la cérémonie rendant hommage aux parachutistes abattus. Hommage de la nation, où déboulent, outre le candidat Sarkozy qui a revêtu pour l'heure ses habits d'exercice, quatre des têtes de série qualifiées par le conseil constitutionnel. Ces quatre-là viennent imposer leur componction et leur gravité en tribune officielle, pour signifier cette tarte à la crème de la nation réunie. Ils sont droits, sérieux, conformes à la circonstance. Mais au nom de quoi, au nom de qui sont-ils en tribune officielle ? Qui sont-ils pour pouvoir ainsi s'afficher ? On connaît la chanson : "je suis venu(e) parce que ma place était ici". J'exagère à peine.

    Je regarde cette photo. Que diraient-ils les uns et les autres si on déclarait que, pris dans la logorrhée de la nation recomposée, cela donne un côté photo de famille ? Ils répondraient que non. Sur la même estrade, certes, mais en définissant chacun sa différence, sa trop fameuse différence. Le problème est qu'ils sont venus sans autre légitimité qu'eux-mêmes, et eux-mêmes en candidat, en campagne. Ils sont venus planés sur des sépultures, discrètement, avec l'art des voix alourdies par la compréhension du chagrin profond vécu (vécu, lui, vécu, profondément) par les familles des victimes.

    Il n'est pas besoin de faire sonner cors et trompettes. Le spectaculaire est là, sous nos yeux, avec ces quatre silhouettes en noir, la main sur le cœur, jurant que c'est la compassion et le sens des responsabilités qui les ont fait oublier la bataille électorale. C'est vrai, j'oubliais : la campagne est suspendue. Pure ironie, évidemment : elle est la matière même de ce jeu compassionnel dont il ne faudrait pas être dupe. Ceux qui sont dans les cercueils n'avaient pas besoin de ces quatre-là. Ils ne sont, de droite comme de gauche, en cet instant rien d'autre que des quidams que le jeu médiatique a projetés au devant de la scène et qui essaient de rentabiliser leur position. De droite comme de gauche, je leur dénie tout droit de me représenter, d'être mon pays, d'être ma voix.

    Dans cette histoire, le pire de tous n'est d'ailleurs pas celui qu'on croit. Le pire, c'est le common man, qui, avec la même ignominie, la veille de cette cérémonie, aura imposé sa présence dans une école, pour la minute de silence décidé par Nicolas Sarkozy. Au-delà du ridicule de la copie (ce qu'en football, on appelle un marquage à la culotte),  on retrouve la même impudeur devant la mort. Une telle bassesse spectaculaire ne laisse rien présager de bon, et il faudrait une dose d'anti-sarkozysme primaire pour trouver à ce geste une grandeur politique. Oui, il faudrait être d'une cécité coupable et d'une mauvaise foi morbide pour me répondre qu'à sa place d'autres (entendons : le concurrent) aurait fait de même. Nul ne peut se prévaloir des turpitudes d'autrui pour cacher les siennes.

                                                                             afp.com/Pascal Pavani