Décidément, le socialisme présidentiel est prostatique. Mitterrand, jadis, le normal président aujourd'hui. Souhaitons que la bénignité affichée (après coup) de l'intervention ne soit pas un énième mensonge (1). Il vaudrait mieux pour la santé du premier intéressé.
Mais la question qui nous occupe est d'un autre ordre. Elle concerne plutôt le service après-vente de la divulgation, et comme de grands duettistes, c'est le premier ministre qui est monté au créneau pour défendre son chef. Et le transparent nantais n'y est pas allé par quatre chemins. Il a minoré l'affaire. Soit. Cela ne suffisait pas. Il voulait montrer son indignation. Très important, cette chose : montrer son indignation. Le modèle, c'est Hessel. Et, après lui, tout peut être passé à la moulinette de la considération morale. Jean-Marc Ayrault est alors catégorique. Cette information révélée longtemps après les faits est le signe d'une "dérive" de la transparence. L'amoureux de la langue appréciera. La transparence, érigée en vertu démocratique, en signe majeur de la maturité politique (la politique autrement, vous savez, cette énorme escroquerie...), a aussi ses travers. On s'en doutait. Beaucoup dénoncent depuis longtemps cette spectacularisation de la vie, cette mise en scène permanente de soi. L'analyse de Guy Debord, malgré ses limites et sa datation, a servi de boussole pour s'orienter dans un monde où domine l'écran total et totalitaire (2). Sur ce point, la saillie du premier ministre est une sorte de répétition de l'arroseur arrosé.
Mais il y a mieux. Dans le même mouvement, le matignonesque ajoute à propos de l'opération présidentielle : "C'est banal. On peut respecter ça. On n'est pas toujours obligé d'étaler sa vie privée." Sublime moment où celui qui ne sait pas parler (soyons clair : qui ne sait pas contrôler sa communication quand elle se fait à chaud) dévoile un mensonge plus gênant, une rouerie de basse politique et une tactique très moderne. Rappelons encore une fois ce propos d'Umberto Eco : "Où est l'auteur ? Dans l'adverbe bien sûr." L'adverbe est souvent, en effet, le signe par quoi la vérité du discours affleure, le canal grâce auquel une autre voix se fait entendre, ce qui serait l'inter-dit du discours, sa fracture (ici, une vraie fracture politique). Ainsi fleurit le toujours. Il y a donc quelque chose qu'on ne peut pas toujours faire, qu'on n'est pas toujours obligé de faire ! Qu'est-ce à dire ? Que l'histoire dont il est question est une exception à la règle, que cette discrétion enfreint les principes sacrés dirigeant l'hyper-modernité de la présence politique ? À quelle obligation le politique se soumet-il qu'il en fasse une quasi essentielle ? "Étal(er) sa vie".
Dès lors, puisque la soustraction de l'information chirurgicale au public n'est pas que du silence, mais aussi un manquement à un principe qui régit désormais le/la politique, il faut convenir que le normal président a par ailleurs comme habitude d'étaler sa vie privée. CQFD.
Disons qu'il en aura usé comme les autres, et pour le dire plus durement, comme le grand Autre dont il moqua le côté bling-bling. Sa maîtresse (à défaut de pouvoir l'appeler autrement) au Palais, sa modernité de couple, ce n'était donc rien d'autre : étaler sa vie privée. Ceux qui s'en moquaient (et j'en suis) avaient donc raison. Le plus amusant (enfin, relativisons) est peut-être que cet adverbe, comme un scrupule, trahit le point de vue de celui qui est censé défendre son supérieur. Une sorte d'aveu inconscient de la désastreuse entourloupe que constitue la normale présidence. À voir...
Pour prolonger sur l'agaçant parfum de l'adverbe, de ce toujours qui fait tâche, avec la forme négative adjointe, on pourra aussi rappeler que les politiques en usent abondamment. On ne peut pas toujours ceci, on ne peut pas toujours cela... Et le plus souvent, cette formulation a un double objectif : se laver les mains de son incompétence ou de son impuissance ; s'arranger des principes démocratiques pour faire des coups d'État. Souvenez-vous, après le référendum de 2005. On ne peut pas toujours faire confiance au vote populaire. Heureusement, en 2007, le Congrès, Versailles, la Sainte Alliance européenne... Un truc énorme, énorme, bien plus énorme qu'une prostate...
(1)Précisons néanmoins qu'il n'est nullement question de fustiger le mensonge en soi. Mentir n'est mal. Il n'est qu'une des potentialités de l'échange. Il a son utilité et ses noblesses. Même Rousseau en convenait, c'est dire...
(2)Et l'on sait que l'écran, c'est aussi ce qui fait écran...
Photo : Bruce Davidson