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debord

  • ...Fors l'esprit (pour clore 2013)

     

    politique,écriture,france,culture,multiculturalisme.

    "Sil faut choisir, je me dirai barrésien"

    Louis Aragon, Les Lettres françaises, 16 décembre 1948

     

     

    Sous la plume de Francesco Guicciardini, écrivain et diplomate florentin, dans le courant du XVIe siècle (1)

    "Toutes les cités, tous les Etats, tous les royaumes sont mortels (2)toute chose soit par nature soit par accident un jour ou l'autre arrive à son terme et doit finir ; de sorte qu'un citoyen qui voit l'écroulement de sa patrie, n'a pas tant à se désoler du malheur de cette patrie et de le malchance qu'elle a rencontrée cette fois ; mais doit plutôt pleurer sur son propre malheur ; parce qu'à la cité il est advenu ce qui de toute façon devait advenir, mais le vrai malheur a été de naître à ce moment où devait se produire un tel désastre."

    Cette réflexion est fort belle parce qu'elle rappelle la complexité du rapport qu'une personne donnée peut avoir avec l'entité politique et culturelle dans laquelle elle s'est forgée. Il y a bien plus qu'un lien, une véritable relation. Et il faut entendre la relation dans la double acception du terme : ce qui relie et ce qui relate. Faire sien le lieu où nous vivons, et cela, non sur le mode personnel, comme une convenance ou un accommodement, mais comme héritier, ou commensal à une table qui fut mise bien avant que nous fussions nés ou arrivés en ce lieu.

    Le mot patrie est devenu aujourd'hui, comme le mot nation, une ignominie. Les mondialistes et autre différentialistes français l'exècrent, sauf en deux occasions, lorsqu'il s'agit des autres (à qui on reconnaît le droit de pleurer et de revendiquer leur attachement à la terre) et de foot (un maillot les fait mouiller, semble-t-il). Ils sont internationaux à Paris et patriotes à l'étranger (ce qui n'est qu'une nouvelle formulation de ce que dénonçait Gabriel Matzneff en 1982, quand il fustigeait ceux qui voulaient "être de gauche à Paris et barrésiens à Tel-Aviv [...] railler sur les bords de la Seine le goût des racines, de la tradition, de la terre et des morts, et l'exalter sur les rives du Jourdain". La seule évolution (mais elle est sensible) porte sur le lieu de comparaison. La gauche a abandonné les rives du Jourdain pour d'autres destinations exotiques. Le message reste pourtant le même. C'est celui d'un cosmopolitisme mondain (pour les plus riches) et aspirant à la mondanité (pour les autres qui s'illusionnent, quand ils ont encore un peu de culture, sur le modèle gidien comme idéal pour lutter contre le modèle barrésien. Nous en reparlerons dans l'année. Promis.) qui noie le pois(s)on dans un vernis multiculturaliste dont la dernière formalisation est les élucubrations sordides du rapport sur l'intégration auquel Pierre Mari, chez Stalker, règle son compte sur un plan lexical et donc idéologique d'une façon remarquable. Ils ne peuvent se sentir toucher par les mots de Guicciardini, ceux qui se prétendent du monde, et pour une très bonne raison : nous ne sommes jamais du monde, sinon dans l'ordre des idées et des affinités électives qui demandent que l'on creuse son sillon d'abord pour pouvoir comprendre le sillon d'autrui. Ils ne peuvent comprendre Guicciardini parce que ces citoyens du monde sont avant tout les thuriféraires volontaires (pour les conscients) ou idiots (pour les autres) d'un ordre qui se veut justement mondial. Ils ne comprennent pas (ou alors trop bien) qu'une telle revendication porte moins une humanité que l'on voudrait solidaire qu'un marché que l'on voudrait sans entraves.

    Les individus qui voient en des personnes comme moi, alarmées qu'elles sont du délitement de la culture, de l'abandon de l'Histoire, du reniement d'un héritage antique et judéo-chrétien, des crypto-fascistes, des réacs délirants, voire des xénophobes à enfermer (toutes ces insultes font sourire. Elles servent trop, et pour trop de monde.), ces individus-là devraient se demander pourquoi cette alarme prend le plus souvent les traits de la mélancolie et non ceux de la colère, pourquoi elle s'exprime en dépit du bonheur qu'il y aurait à vivre retranché du monde, dans le seul territoire, déjà si vaste, des livres, des tableaux et des sonates, pourquoi elle agite un esprit ayant atteint le demi-siècle, un âge tel que du désastre il n'en verra rien, que cet esprit pourrait s'en laver les mains, se dire que de l'enfant qu'il regarde jouer ou de l'adolescente qui lui sourit dans le bus, il n'en a cure. Après moi, le déluge. La douce pente de l'indifférence est tentante mais elle ne peut se prendre que si je renie ce dont je suis le fruit, que si je pratique assidûment la selbsthass -haine de soi- réclamée par les terroristes intellectuels au pouvoir, que si je ne rends pas à mon père et à ma mère, et au-delà d'eux, à l'Histoire de ceux qui m'ont précédé, quelle que soit leur origine, ce qu'ils m'ont donné de français, que si je ne crois plus à la grandeur des édifices pluri-séculaires, à la beauté des tableaux, aux charmes des paysages nourris de l'esprit européen, que si j'oublie la grandeur de Rome, le mystère de Venise, la rigueur de Paris, l'éclat de Séville, que si je ne crois plus, à ma modeste place, à mon rôle de passeur.

    Face à cela, la médiocrité assassine (j'écris en conscience : assassine) de nos gouvernants (3) donne envie de polémiquer, d'user de la langue venimeuse qui fit le sel des XIXe et XXe siècles. Mais ils sont tellement méprisables que ce serait affaiblir son honneur. Il faut donc alléger son cœur autrement, ouvrir de petites fenêtres sur le sensible et le relégué pour espérer toucher celui qui lit. Non pas pour plaire mais parce que les chemins de traverses, les routes dérobées sont aussi le moyen de s'émerveiller du détail et d'ironiser sur la glaise du temps présent et de combattre ses statues boueuses. 

     

    (1)Cet extrait se trouve dans Guy Debord, Panégyrique, tome 1, Gallimard, 1993

    (2)On connaît la formule choisie par Paul Valéry, dans La Crise de l'esprit, en 1919 : "Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles."

    (3)Médiocrité assassine englobant ainsi : le reniement à la laïcité et l'oreille attentive au communautarisme, la haine délirante du catholicisme et la complaisance envers l'islamisme, le mariage pour tous et le démantèlement de la politique familiale, l'instrumentalisation des -phobies diverses et la faiblesse à appliquer la loi, l'abandon de la souveraineté nationale et la soumission aux diktats de l'ultra-libéralisme, la fascination sportive et médiatique et le mépris des petites gens...


    Photo : Simon Marsden.

  • Maudit adverbe...

    Bruce Davidson cirque.jpg

     

    Décidément, le socialisme présidentiel est prostatique. Mitterrand, jadis, le normal président aujourd'hui. Souhaitons que la bénignité affichée (après coup) de l'intervention ne soit pas un énième mensonge (1). Il vaudrait mieux pour la santé du premier intéressé.

    Mais la question qui nous occupe est d'un autre ordre. Elle concerne plutôt le service après-vente de la divulgation, et comme de grands duettistes, c'est le premier ministre qui est monté au créneau pour défendre son chef. Et le transparent nantais n'y est pas allé par quatre chemins. Il a minoré l'affaire. Soit. Cela ne suffisait pas. Il voulait montrer son indignation. Très important, cette chose : montrer son indignation. Le modèle, c'est Hessel. Et, après lui, tout peut être passé à la moulinette de la considération morale. Jean-Marc Ayrault est alors catégorique. Cette information révélée longtemps après les faits est le signe d'une "dérive" de la transparence. L'amoureux de la langue appréciera. La transparence, érigée en vertu démocratique, en signe majeur de la maturité politique (la politique autrement, vous savez, cette énorme escroquerie...), a aussi ses travers. On s'en doutait. Beaucoup dénoncent depuis longtemps cette spectacularisation de la vie, cette mise en scène permanente de soi. L'analyse de Guy Debord, malgré ses limites et sa datation, a servi de boussole pour s'orienter dans un monde où domine l'écran total et totalitaire (2). Sur ce point, la saillie du premier ministre est une sorte de répétition de l'arroseur arrosé. 

    Mais il y a mieux. Dans le même mouvement, le matignonesque ajoute à propos de l'opération présidentielle : "C'est banal. On peut respecter ça. On n'est pas toujours obligé d'étaler sa vie privée." Sublime moment où celui qui ne sait pas parler (soyons clair : qui ne sait pas contrôler sa communication quand elle se fait à chaud) dévoile un mensonge plus gênant, une rouerie de basse politique et une tactique très moderne. Rappelons encore une fois ce propos d'Umberto Eco : "Où est l'auteur ? Dans l'adverbe bien sûr." L'adverbe est souvent, en effet, le signe par quoi la vérité du discours affleure, le canal grâce auquel une autre voix se fait entendre, ce qui serait l'inter-dit du discours, sa fracture (ici, une vraie fracture politique). Ainsi fleurit le toujours. Il y a donc quelque chose qu'on ne peut pas toujours faire, qu'on n'est pas toujours obligé de faire ! Qu'est-ce à dire ? Que l'histoire dont il est question est une exception à la règle, que cette discrétion enfreint les principes sacrés dirigeant l'hyper-modernité de la présence politique ? À quelle obligation le politique se soumet-il qu'il en fasse une quasi essentielle ? "Étal(er) sa vie". 

    Dès lors, puisque la soustraction de l'information chirurgicale au public n'est pas que du silence, mais aussi un manquement à un principe qui régit désormais le/la politique, il faut convenir que le normal président a par ailleurs comme habitude d'étaler sa vie privée. CQFD.

    Disons qu'il en aura usé comme les autres, et pour le dire plus durement, comme le grand Autre dont il moqua le côté bling-bling. Sa maîtresse (à défaut de pouvoir l'appeler autrement) au Palais, sa modernité de couple, ce n'était donc rien d'autre : étaler sa vie privée. Ceux qui s'en moquaient (et j'en suis) avaient donc raison. Le plus amusant (enfin, relativisons) est peut-être que cet adverbe, comme un scrupule, trahit le point de vue de celui qui est censé défendre son supérieur. Une sorte d'aveu inconscient de la désastreuse entourloupe que constitue la normale présidence. À voir...

    Pour prolonger sur l'agaçant parfum de l'adverbe, de ce toujours qui fait tâche, avec la forme négative adjointe, on pourra aussi rappeler que les politiques en usent abondamment. On ne peut pas toujours ceci, on ne peut pas toujours cela... Et le plus souvent, cette formulation a un double objectif : se laver les mains de son incompétence ou de son impuissance ; s'arranger des principes démocratiques pour faire des coups d'État. Souvenez-vous, après le référendum de 2005. On ne peut pas toujours faire confiance au vote populaire. Heureusement, en 2007, le Congrès, Versailles, la Sainte Alliance européenne... Un truc énorme, énorme, bien plus énorme qu'une prostate...


    (1)Précisons néanmoins qu'il n'est nullement question de fustiger le mensonge en soi. Mentir n'est mal. Il n'est qu'une des potentialités de l'échange. Il a son utilité et ses noblesses. Même Rousseau en convenait, c'est dire...

    (2)Et l'on sait que l'écran, c'est aussi ce qui fait écran...

     

    Photo : Bruce Davidson