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états-unis

  • Lee Friedlander, fractures drolatiques

      

     La vitre, le miroir, le rétroviseur, la flaque, le verre. Le reflet. La réfraction et la diffraction. Ce sont des lieux communs de la photographie. Et l'immense Lee Friedlander en a usé avec une belle maestria. On pourrait faire une exposition conséquente de ses clichés qui jouent ainsi de l'éclatement du réel, de sa démultiplication, quand, parfois, tout se confond, et quand, d'autres fois, il s'agit de tout éparpiller. On saisit le balancement du procédé : condenser, comme dans un rêve, décomposer, comme dans une analyse. Ainsi envisagée, dans une rhétorique qui doit à l'univers freudien, la photographie s'oriente vers l'espace de la fracture, laquelle fracture vaut autant pour ce qu'elle montre d'inédit (1), que par ce qu'elle rappelle d'évidence. Elle vient en quelque sorte sur le terrain de notre commun, le tord pour nous le rendre incertain. Je vois bien que tout est là, à sa place et pourtant dans le désordre.

    Lieux communs qui ne le sont plus vraiment. Topiques du passage et du transitoire. Tout ce pourquoi la photographie est toujours en deçà et au-delà. En fait, c'est bien , parfois, ce qui nous indispose, quand elle met tout sur la table et qu'il faut nous débrouiller.

     

     

     

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     Cette photo de Lee Friedlander est sublime. Il n'est pas question d'en discuter la grandeur technique (netteté, équilibre des noirs, gris et blancs, grain, bruit...) : de tout cela, on se moque (2). L'important réside dans la structuration, dans cette manière tranchée et tranchante de découper le réel dans un sens qui redouble et détourne le fondement même de la photographie. Celle-ci procède en effet d'un cadre (produit d'un cadrage) par quoi le pris se définit en fonction d'un hors-champ. un cliché est bien une fenêtre et ses bords marquent l'entaille faite. Et même si nous ne semblons pas y faire attention, cette réalité des bords oriente, parmi d'autres paramètres, l'appréhension de ce qui nous est donné à voir. C'est aussi par ce qui est coupé, amputé, exclu que l'œil formalise, compose une lecture de la photo.

    Or, en jouant, de manière aussi centrale (même s'il n'est pas centré), avec le rétroviseur, Lee Friedlander rompt cet équilibre du dedans et du hors-de. L'exact découpage sur toute la hauteur de la photo induit que cet autre élément de vision prend une place très particulière dans cette histoire-là. On trouve, y compris chez cet artiste, nombre de clichés où le rétroviseur ouvre un petit espace dans l'ensemble, pour dévier le regard, comme s'il avait une fonction de clin d'œil. C'est d'ailleurs pour cette raison que son utilisation récurrente perd de son efficacité et tourne au gimmick, à la manière technique. Il arrive qu'on s'étonne ou qu'on s'amuse, mais le soufflé retombe vite. Lee Friedlander dépasse largement cette problématique puisqu'il ne fait pas de la vue rétrovisée une anecdote. Cela signifie qu'il met une équivalence entre les deux réalités saisies ; non qu'elle soient semblables (équivalentes) mais parce qu'aucun des deux ne prime sur l'autre. Tel est le premier enseignement à en tirer. Il n'est pas possible de hiérarchiser ce que le photographe nous montre. Il n'y a pas de premier plan, ni de second plan, même métaphoriques, mais deux réalités consubstantielles qui se tiennent bord à bord, dans des espaces différents. En conséquence, le défilé n'encadre pas l'arbre, et l'arbre n'est un dérivatif du défilé puisqu'il n'en rompt pas la continuité : il ne fait qu'en suspendre la linéarité graphique.

    Si l'on s'intéresse à la composition, de facto les deux univers mis en relation (3), se chevauchant, sont pour le moins antithétiques, et ce à plusieurs niveaux. Sans essayer de tourner l'affaire à une accumulation d'éléments binaires, qu'on pourrait rendre sous la forme d'un tableau, repérons le principal. La scène du rétroviseur est centrée sur la nature. L'arbre en est l'élément structurant : il s'étale, par son feuillage, et la pelouse qui le précède ne sert qu'à donner l'idée d'un espace inoccupé, très vaguement sauvage, quoiqu'on l'associe sans mal à une maison dont il serait l'avant-scène. Cette irruption naturelle tranche avec ce qui l'environne, puisque, de chaque côté, nous repérons les détails d'un défilé militaire. Suivant une diagonale ascendante allant de droite à gauche (pour le spectateur), des hommes en uniforme traverse l'objectif. Ils marchent, dans une rue bordée de maisons et de voitures garées. Le drapeau national donne à cet événement un caractère solennel, sérieux. Hommage ? Commémoration ? Fête nationale ? Il n'y a pourtant pas foule pour applaudir le spectacle. Cette absence surprend : la photographie américaine est habituée à capturer la liesse populaire. Pas ici. Pour ajouter à l'étrangeté, les hommes sont pris de dos. Ils s'éloignent. Les plus proches sont-ils les derniers de la file ? Peut-être. Il leur manque, en tout cas, une rigueur dans l'allure qu'exploite l'angle de vue. Tout cela manque d'unité.

    Les hommes d'un côté (ou plutôt des deux côtés), la nature de l'autre. Pour les premiers, la mobilité socialement organisée ; pour la seconde, l'implantation, la fixité éternelle. Telle est la deuxième opposition. L'apparente dialectique du passage et de la permanence, du mouvement et de la fixité. Pourquoi ? Sinon parce que, dans cette situation particulière, les seconds termes résultent des premiers. La marche militaire assure symboliquement la tranquillité, la quiétude de la petite ville ou de la banlieue que traversent les uniformes. L'arbre, la pelouse, le chien, la niche du chien ont un prix et si Dieu bénit l'Amérique, cela ne suffit pas. Il faut bien que certains s'engagent à ce qu'il en soit ainsi. Des hommes. Pendant que les civils regardent : c'est le rôle des deux personnages assis, sur la gauche de l'image, et de l'autre, unique, à sur la droite. La construction de la photo n'est donc pas seulement fracturée dans l'espace ; elle l'est aussi dans le temps symbolique qu'elle suggère, quand elle unit la violence potentielle (et légitime, pour reprendre l'expression de Max Weber), celle de l'Etat, et le gain qu'en retire la population : un certain confort nimbé de reconnaissance. Il faut un public, pour que cette histoire ait un sens. Le sens que donne à la marche l'histoire elle-même.

    Et c'est à ce niveau qu'on sent poindre une ironie cruelle. Trois témoins de la grandeur nationale, voilà qui fait peu, surtout quand on les examine d'un peu plus près. Sur la droite, les bras un peu ballants, dans une posture qui permet d'envisager le mouvement, comme s'il allait monter dans sa voiture, le personnage semble peu concerné. Sur la gauche, l'enfant regarde vers l'arrière. Sans doute vers ce qui vient, mais qui n'apparaît dans le cliché que comme une ombre. Il rompt, par son orientation, l'unité du spectacle, à la différence de la jeune femme (sa mère ?), qui suit le mouvement, mais avec un relâchement du haut du corps qu'on assimile à une mollesse ou à une lassitude. On voudrait dire : ne parlons pas du chien, mais justement si. Près de sa niche, il semble lui sur le qui-vive. Il est, aussi ridicule soit-il, en proportionnalité, il est le seul dont la posture soit à la hauteur de l'événement. Il n'est pas l'acteur principal de la scène, mais il a la position centrale. On ne le remarque au début mais, ensuite, comme ces détails qui nous agacent dans la vie courante, on ne voit plus que lui. Il n'est pas certain qu'il faille lui donner plus d'importance mais, de facto, il en prend une dont on ne peut se défaire.

    Dans cette perspective, et si l'on veut bien considérer la manière même dont cette photographie de Friedlander nous apparaît, c'est-à-dire comment les différents éléments qui la composent s'inscrivent dans le regard du spectateur, il se trouve que le glissement du plus visible : un défilé militaire, une parade, dans une petite ville américaine, vers le moins visible : dans le rétroviseur, un arbre, certes, mais aussi une niche et un chien, lequel cabot cristallise toute l'attention, tourne la prétention historique de l'homme à la déconfiture. La niche, c'est, à bien y regarder, une maison en plus petit. En arrêt près de sa demeure l'animal voit le défilé sans qu'on ait, a priori, l'impression qu'il le voie. Illusion d'optique, retournement des positions propres à l'enjeu photographique puisque les sens s'y inversent. Mais ici, paradoxalement, ils se rétablissement et ce qu'il voit le met en arrêt. Bien loin de le rassurer, cette parade l'inquiète. Dans un monde où rien ne peut plus, ne doit plus étonner, où tout passe, le chien de cette photo est le seul qui n'acquiesce pas à la naturalité de cette violence montée en spectacle...

     

     

     

     

    (1)Mais le mot est malheureux. L'inédit est étymologiquement le monde de la parole, comme l'inouï celui de l'écoute. Pour la photographie, où est la justesse ? L'"invisible" ne convient pas puisqu'il n'est pas forcément question de faire apparaître ce qu'on ne pouvait pas voir. Il ne s'agit pas toujours de révéler ; il est aussi question de mettre sous les yeux le déjà-là, le visible devant quoi notre esprit ne réagit pas. Cette insuffisance rhétorique a sans doute des raisons historiques, parce que la photographie n'a pas deux siècles. Mais pas seulement : elle induit aussi l'étrangeté qui nous habite face à ce qui n'est pas si éloigné de nous, sans être réductible à ce que nous en sav(i)ons. C'est l'unheimlich de la prise photographique.

    (2)Une fois pour toutes : la belle photo, techniquement bluffante, mathématiquement parfaite, esthétiquement travaillée, n'a aucun intérêt. Elle ne passe pas l'épreuve du sens, le plus souvent. Elle n'a pas d'âme.

    (3)La relation n'est pas qu'une affaire de liens ; c'est aussi un récit possible, puisqu'on relate une histoire.

  • La confusion des plans, Lewis Baltz

    Au jeu idiot des œuvres que l'on voudrait emporter sur une île déserte, outre le nu magnifique de Boubat, il y aurait aussi celle qui suit, de l'immense Lewis Baltz, disparu en novembre dernier.

     

    LEWIS BALTZ IRVINE.jpeg

    Construction Detail, East Wall, Xerox, 1821 Dyer Road, Santa Ana (1974), from “The new Industrial Parks near Irvine, California." 

    En 1974, le photographe américain, figure majeure du mouvement New Topographics, vient explorer avec son objectif une zone industrielle californienne et, plutôt que de sonder, à la manière des Becher, dont il est proche, l'architecture complexe des espaces, il s'attache justement à ce qui, à première vue (1), n'accroche pas : les surfaces, les panneaux, la raideur métallique, l'étendue uniforme. C'est un peu comme s'il voulait abandonner le pittoresque en ce qu'il suppose une aspérité, un défaut, une variation pour l'intransigeante inquiétude de ce qu'on ne regarde jamais vraiment, puisque c'est toujours la même chose, sans relief.

    Le livre publié par Baltz est une des plus grandes merveilles qu'il soit donné de voir (2). Il y dévoile une intransigeance formelle fascinante. Alors que tant de clichés cherchent à faire entrer le bruit et l'agitation comme signe de la modernité ambiante, le photographe américain en creuse la singularité à travers le silence induit par la froideur des matières et des textures, comme le montrent assez clairement, je pense, les deux exemples suivants.

     

    lewis-baltz_theredlist.jpg

    lewis baltz irvine.jpg

     

    Mais, paradoxalement, l'œuvre la plus singulière de ce projet touche à la construction du mur est de Xerox. Les murs sont encore entre l'enduit et la peinture, une peinture qui semble avoir été étalée de manière anarchique. Les teintes ne sont pas unies. Outre ce désordre des surfaces et des chromatismes, on trouve un certain nombre d'éléments disparates : une porte, une échelle métallique, des bouts de bois, des parpaings. S'ajoute une avancée architecturale dont on détermine mal encore l'utilité. Il n'y a donc rien de bien extraordinaire. Ce n'est pas le sujet qui en impose mais son traitement. Le choix d'une posture frontale, avec une certaine distance qui aplatit la profondeur et use de la bordure noire inférieure pour, en quelque sorte, encadrer l'ensemble, tout cela donne à cette photo une allure de tableau, comme si ce qui avait pris par la lumière n'était en fait qu'une construction picturale. C'est en cela que je trouve ce cliché admirable. Il explore d'une manière tout à fait insolite la fameuse opposition entre la photo et la peinture. Non pas selon le mode ancien des pictorialistes de la fin du XIXe siècle, en essayant de "rattraper" le trop de vérité de la photo par un trucage tirant l'œuvre vers le tableau, mais en réussissant à composer un espace réel, avec son inévitable profondeur en une surface à deux plans, ce qui définit, selon Clement Greenberg, le modernisme en peinture...

    Dans cette photo convergent, d'une part, l'écrasement des volumes et la quasi neutralisation des objets en formes filant vers l'abstraction idéale (comme s'ils étaient "décharnés"), dans le sens où ils ne sont plus des fonctionnalités mais des expériences plastiques, et, d'autre part, la métamorphose du fond, du mur, en une toile imaginaire. Le travail inachevé, dans la réalité, devient une expérience abstraite. Laquelle expérience rappelle étrangement les peintures de l'expressionnisme abstrait américain, de Rauschenberg à Johns, en passant par de Kooning. Cet écho n'a rien de surprenant quand on sait que la première exposition de Baltz en 1971 est assurée par Leo Castelli, le même Castelli qui lança par la grâce d'un hasard à peine croyable, Jasper Johns en 1958.

    Ainsi, dans cette œuvre, le photographe ne singe pas, ne rattrape pas l'art pictural. Il ne trafique pas. Il prend le réel, dans toute sa brutalité et son inachèvement, le monde en chantier, pour le sublimer par la seule réflexion (au double sens du terme) de la distance à prendre face à lui. Plus que la technique, et Baltz n'en manque pas, c'est l'œil de l'artiste qui sidère. la grandeur d'un art tient certes à l'inattendu qui le sous-tend, mais plus encore à un inattendu ne procédant pas (ou le moins possible) d'une posture esthétique flagrante. La frontalité de la prise n'est pas pour rien dans la magie de ce cliché. Le point de vue cherche tellement l'impression de la neutralité qu'on est dérouté devant ce dépouillement, comme si l'objet photographique (l'instrument, l'appareil) s'absentait et qu'à la place notre regard se trouvait contrait de regarder ce qu'il ne peut pas voir. Non pas un art en soi, donné ou voulu comme tel (3), mais une construction qui détourne la banalité en tableau, l'inertie en drame (au sens grec de drama, une action). Cette confusion multiple (de la réalité à l'artistique, de l'inachevé en achevé -puisque l'œuvre est achevée, du désordre à l'ordonnancement, du tridimensionnel au bi-dimensionnel), tout photographe, je crois, aimerait un jour la rencontrer. Il ne s'agirait de copier Baltz. Plutôt d'être soi-même pris au piège de son illusion...  

     

    (1)Mais la photographie n'est pas la vue. Elle est une vue, une certaine vue. Une vue de la vue. Il y a toujours une distance supplémentaire puisque, contrairement à notre œil mobile, le cadre est fixe. C'est un cadrage...

    (2)Comme le sont, en faisant fi des questions de style, Paris la nuit de Brassaï, Americain Photographs de Walker Evans, Twentysix Gasoline Stations de Ed Ruscha ou Places d'Aaron Siskind...

    (3)Pour faire simple : ce mur barbouillé n'est pas du street art. Voilà pourquoi il prend un sens bien supérieur.

  • Le Joujou du Pauvre

    Le pouvoir en place réaliste, lucide, responsable, enfin tous ces adjectifs périphrastiques pour ne pas dire qu'il n'est qu'un pantin soumis à l'idéal ultra-libéral, a sorti il y a peu un rejeton paraît-il brillant énarque, rothschildien et de gauche. Un homme moderne. 

    Ce petit vaniteux a d'abord traité quelques ouvrières d'illettrées mais ce n'était, nous a-t-on dit, que maladresse liée à son manque d'expérience politique. Façon singulière et sans doute pas volontaire d'avouer d'abord que le politique en tant que langue est d'abord un écran de fumée et de révéler ensuite qu'en privé, ce mépris qu'on ne peut afficher ouvertement, est le terreau de notre penseur.

    Notre homme a récidivé cette semaine. il a voulu nous expliquer les pesanteurs de la France, les verrous qui l'empêchent d'avancer corps et âme, et avec profit, dans ce début de siècle. Pour que nous ayons notre part du gâteau, il faut réformer. Verbe magique qui ne veut rien dire quand on l'emploie ainsi dans sa forme absolue. Réformer, certes, mais quoi ? Le bellâtre lettré (il aime les citations pour en imposer) n'a pas tardé à nous donner la quintessence de sa réflexion, et c'est ainsi que nous avons appris que le bonheur était dans la libéralisation des transports en autocar. Rien de moins ! Devant une telle évidence, on s'étonne que nul politique n'y ait pensé plus tôt. L'oxygène économique hexagonal est dans le bus. C'est réconfortant de trouver un esprit capable de telles envolées et une belle preuve que le déclinisme ambiant n'est pas de mise.

    Et notre héraut/héros de la modernité libérale d'ajouter que grâce à cette mesure,  "les pauvres pourront voyager". Ils étaient jusqu'alors des encroûtés, réduits au petit périmètre de leur zone. Ils vont pouvoir sortir et s'aérer. Pour eux l'autocar ! et Lille-Lyon en 10 heures, ou Paris-Bordeaux en 9 heures, à moins que ce ne soit Marseille-Saint-Malo en 16 heures. Autant d'altruisme fait chaud au cœur. Du moins, si l'on veut avoir l'esprit aussi condescendant que l'auteur de cette annonce...

    Parce que cette association des pauvres et de l'autocar ne fait pas sourire celui ou celle qui a vécu aux États-Unis et qui sait qu'elle est un des signes les plus visibles de la ségrégation économique. Aux argentés, l'avion et la voiture, et éventuellement le train. Aux pauvres, le bus, pour aller de ville en ville. Était-ce à ce modèle économique et social que pensait ce prétentieux cacique de la gauche libérale ? Avait-il en tête l'approfondissement des logiques de ghettoïsation qui font que les transports, aux États-Unis, sont un trait majeur de civilisation par quoi on constate que les gens vivent effectivement sans jamais se croiser (n'imaginons même pas qu'ils puissent se parler...) ? Derrière cette mesure qui a fait sourire par son ridicule (si l'on veut bien considérer la gravité de la situation), il y a peut-être le pire de ce que peuvent faire désormais ces socio-libéraux (2) qui œuvrent à marche forcée avec le zèle des convertis. L'américanisation de la pensée se cache aussi dans cette manière sournoise de vouloir creuser les inégalités et de dessiner, dans la géographie, la topographie et les logiques de circulation, une compartimentation du monde. 

    Il eût été plus de gauche de s'inquiéter de la tarification obscure de la SNCF et des profits écœurants des sociétés d'autoroutes (1). Laissons le délire autour du TGV puisqu'il sert à des hommes d'affaires qui font régler la facture par leur entreprise, quand le voyageur lambda paie plein pot. Mais ce brillant saboteur n'a pas vocation à s'occuper de ceux pour qui son président a dit qu'il était élu. Il aime la finance, lui ; il a travaillé pour elle. Il n'aime ni les modestes réduits à n'être que des "illettrés", ni les "pauvres" à qui il réserve le confort d'un cinquante places avec clim (et la clim, dirait-il, c'est le vrai confort...).

    (1)Sur ce point, la Royal a comme ruiné tout débat sur le sujet en jouant la démagogie et le déni du droit contractuel en avançant l'idée impossible de la gratuité samedi et dimanche. Bel exemple du volontarisme médiatique (bel oxymore) en lieu et place de la décision politique...

    (2)Et le terme "socio" est déjà de trop...

  • Dindes et dindons (de la farce)

    Elle est un exemple parmi d'autres. On aurait pu prendre Pierre Servent, Jacques Attali, Gilles Kepel, Christophe Barbier,... Elle s'appelle Nicole Bacharan, enseigne à Science-Po et à Stanford. Elle fait partie de ces spécialistes, experts, penseurs, qui gangrènent le monde médiatique, venant se répandre sur ce qu'ils sont censés connaître quand l'accumulation de leurs déclarations creuses montre surtout qu'ils parlent dans le vide.

    Nicole Bacharan, qui avait déclaré le jour du 11 septembre que ce jour, "nous (étions) tous américains" (1), qui avait célébré la victoire d'Obama comme un signe de la vitalité américaine et une quasi révolution, est venue l'autre soir expliquer aux idiots que nous sommes le sens des affrontements de Ferguson. Et la pauvresse d'observer que dans cette histoire Obama était confronté aux difficultés d'une ère "post raciale". L'Amérique était dans le post racial et nous ne le savions pas. Au delà du fait que notre experte usait de la ficelle des pré- et des post- dont on peut discuter la pertinence, qu'elle analysait moins une situation qu'elle ne posait un concept pour définir l'autorité de son discours (c'est très efficace : de la rhétorique pure, du sophisme de bas étage...), elle laissait entendre que les États-Unis avaient donc subsumé ou, pour le moins, recomposé les rapports des conflits ethniques et raciaux qui la traversent. Le post signifiait-il le pire ou le meilleur ? Le temps médiatique ne permettait pas de le savoir. Seule la formule compte.

    Devant une telle absurdité, une mienne connaissance n'en croyait pas ses oreilles, qui a vécu dans ce pays (et pas dans les années 80, non, mais sous la présidence Obama) et eu l'occasion de voir combien le modèle américain était une catastrophe tant il sécrétait de ségrégations, de partitions, de communautarisme et d'exclusion. La vacuité du propos lui a fait lever les yeux au ciel. Et l'on aurait aimé que le journaliste qui l'interviewait demande des précisions, ait l'audace intellectuelle d'apporter la contradiction. Mais rien ne vint. L'Amérique est post raciale ! Cela ne veut rien dire, comme ne voulait rien dire, sauf à émouvoir les idiots, l'élection d'Obama, quant aux règles fondamentales du modèle américain, au regard que ce pays porte sur le monde, aux principes qui organisent sa politique extérieure. 

    Je me souviens que dans les années 90 Yves Keppel venait sur les plateaux expliquer que l'islam allait se tourner vers la démocratie, qu'il y a deux ans Jacques Attali prophétisait la mort de l'euro dans les trois mois, qu'à la même époque Patrick Artus annonçait pour 2014 un taux de la BCE entre 2 et 2,5 % (quand il est à 0,15 %). De la bêtise à revendre, mais un droit quasi aristocratique à revenir baver médiatiquement. 

    Il existe donc en ce pays une caste pour qui la rigueur et l'honnêteté intellectuelles n'existent pas. Ils sont au-dessus de ces principes qui ne sont bons que pour le petit peuple. À moins qu'ils s'en sentent exemptés puisque le même petit peuple n'est composé que de crétins.

    C'est sur ce même principe qu'Alain Juppé peut prétendre sans avoir peur du ridicule à la présidence française. Et d'entendre ces jours-ci les louanges diverses sur cet homme d'État. Un quasi visionnaire. Le même qui fut fracassé en 1997 par des législatives anticipées, qui fut condamné par la justice de ce pays pour les magouilles du RPR, qui dut démissionner de son pose de ministre d'État après avoir été battu sur son territoire par un inconnu aux législatives, qui s'est contenté des municipales bordelaises, mort de trouille qu'il est de se reprendre une veste. C'est ce qu'on appelle un homme de classe et d'envergure ! Il avait un jour dit qu'il était habité par la tentation de Venise : lâcher la politique et changer de vie. Qu'il n'hésite pas ! Qu'il aille noyer sa suffisance dans les venelles du Dorsoduro. Je suis pour ma part prêt à verser une obole pour un billet aller simple...

    Bacharan ou Juppé, c'est au fond la même boutique. Dindes et dindons d'un orgueil et d'une prétention sans bornes, installés dans un système médiatique d'une servilité pitoyable. La décadence de la France est aussi décelable par le biais de cette sclérose institutionnelle et intellectuelle. Plus la société se veut transparente, plus la République se veut exemplaire, plus ces deux pôles sécrètent le venin qui nous tue. Le pire n'est pas tant la médiocrité de ces gens que le fait que cette médiocrité dure et par un phénomène d'une grande perversité soit sanctifiée...

     

     

    (1)J'ai beaucoup de mal avec ces élans d'appartenance. Je n'aurais jamais été berlinois, ni juif allemand. De même que je ne suis ni Américain ni enfant de Gaza (c'est-à-dire enfant du Hamas...). Je n'essaie pas d'être ce que je ne serai jamais. Je n'emprunte pas des habits qui ne sont pas à ma taille et je ne parade pas pour faire genre...

  • Appel à la résistance

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    On en parle le moins possible. Valls n'en aura pas dit un mot. C'est la collaboration libérale dans toute sa splendeur. Le guignolesque Montebourg n'aura pas le commerce extérieur (1) : Fabius s'en charge, et l'on comprend pourquoi. Fabius, le retors et le servile, lequel sera la carpette qui ne négociera pas le traité transatlantique dont la conclusion sera le désastre absolu pour la France mais dira amen à tout. Les socialistes vendus courent à Canossa et les prétendus esprits de gauche qui ont voté la confiance au nouvel exécutif sont des traîtres ; l'UMP se tait, puisqu'elle consent. Et nous, que nous reste-t-il ? Faire le travail de la fourmi informative, modestement, pour que cela se sache et que le mot passe :

    c'est donc ici : 

    http://www.monde-diplomatique.fr/2013/11/WALLACH/49803

    ici

    http://l-arene-nue.blogspot.fr/2013/06/jean-michel-quatrepoint-laccord.html

    ou là

    http://www.pauljorion.com/blog/?p=62386

     

     

     

    (1)En fait, il n'a rien, Montebourg. Il est payé à ne rien faire. Ministre de l'économie, quand on n'a pas les finances, le budget et le Trésor, c'est comme pisser dans un violon. La métaphore de la pourriture n'est jamais mieux illustrée que par ceux qui font mine d'être au-dessus et de se battre seul. Présomptueux et vulgaire...

     

    Photo : Elliot Erwitt

  • Hors de sens

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    Le droit comme un principe d'égalité coûte que coûte, jusqu'à la limite de l'impensable et de l'insensé...

    L'Iowa vient d'accorder aux aveugles le droit de port d'armes, parce qu'il n'y a pas de raison que ceux-ci souffrent d'une discrimination en raison de leur handicap (mais devrais-je dire : leur différence).

    Pourrait-on ainsi envisager que pour des élections (présidentielles ou autres), un homme mourant dans la semaine précédant le scrutin, et ayant clairement/publiquement exprimé son choix, ait le droit de voter post-mortem ? Pourrait-on sérieusement agir pour que la mort inopinée ne soit pas un obstacle à l'expression politique, puisqu'on autorise bien des mariages post-mortem ?

    Il y a sans doute de multiples, pour ne pas écrire : d'innombrables, situations absurdes sur lesquelles l'esprit tordu de l'époque aurait loisir de légiférer. À chacun de se creuser les méninges.

    En attendant, et pour redevenir vers un peu sérieux, soulignons que l'extension du droit en dehors de toute réalité tangible, comme une abstraction propre à satisfaire les désirs individuels, a quelque chose de sinistre, qui va bien au-delà de ces délires américains (on les trouve ailleurs, aussi, qu'on ne s'y trompe pas...). Le bon plaisir du roi n'existe plus, et il n'y a pas lieu de s'en plaindre, mais est-il judicieux de le remplacer par le bon plaisir de chacun ? Fallait-il, pour nous faire croire que tout irait mieux, multiplier les royautés factices et faire que, pour citer ce cher Montaigne, chacun se prélate jusque dans sa garde-robe ? Doit-on accepter tout et n'importe quoi sous prétexte qu'il ne faille léser ou blesser personne ? Devrais-je intenter un procès à la ligue professionnelle de basket-ball parce qu'il n'est quasiment pas possible d'y réussir si on ne mesure pas 1 m 80 et qu'il faudrait instaurer des quotas pour que tout le monde puisse avoir sa part du gâteau, jouir de ses droits, les géants, les grands, les moyens et les nains ?

    Je ne sais si un aveugle de l'Iowa sortira dans la rue et tirera (faut-il écrire : à vue). Cette loi n'aura peut-être jamais d'effets pratiques. Et d'aucuns diront que les voyants font suffisamment de carnages pour qu'on ne s'offusque pas de cette adaptation légale. Certes. Mais c'est l'esprit qui la motive qui pose problème. Cette revendication nous aurait fait rire si Raymond Devos en avait tiré le fil (et rien que le fil...) pour l'un de ses sketchs doucement kafkaïens. Pour une histoire sans queue ni tête, soit ; pas pour une réalité sens dessus dessous...


    Photo : Thomas Barbey

  • scénique et cynique

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    Obama est fâché avec Poutine. Il boude. Ils devaient se voir mais tout compte fait ce sera niet. L'Américain visitera la belle démocratie suédoise à la place. Bien sûr, les contacts ne sont pas rompus. Les affaires continuent. Tout cela n'affecte pas en profondeur les impératifs politiques et les intérêts économiques. Juste une affaire de posture, un exercice théâtral. Encore une fois, les idiots magnifiques qui nous vendaient Obama comme une manière de faire de la politique devront déchanter (mais ils trouveront bien une dernière argutie pour nous expliquer que non, quelque chose a changé...).

    Barack a donc les nerfs contre Vladimir. Sand doute les dérives autocratiques du tsar qui ne dit pas son nom, ou celles, mafieuses, des oligarques qui s'en mettent plein les poches, ou les atteintes aux droits de l'homme, ou la presse muselées, ou la Tchétchénie, ou les lois homophobes. L'avantage avec la Russie est qu'il y a matière à s'indigner (ce qui ne peut que plaire aux adeptes de l'hesselisme bêlant...). Il faut à tout prix que Poutine reste en place : c'est une aubaine pour les bonnes âmes.

    La liste ci-dessus, pourtant, ne convient pas. L'ire obamesque est plus pointue, plus interne, plus américaine. Elle tient en un nom : Snowden, l'homme qui a révélé le scandale de la NSA, des écoutes yankees mondialisées, , lequel Snowden a réussi à fuir, a cherché des terres d'asile, mais en vain : l'Europe de l'Ouest (pour reprendre une terminologie caduque) ne voulait pas de lui, pour ne pas froisser le grand Frère US. C'est évidemment comique, mais pas surprenant, de voir la couardise européenne sur cette affaire, quand naguère on s'indignait (décidément...) des audaces d'un attaché culturel russe, chinois ou iranien... Les temps changent.

    Mais pas Obama, qui n'est qu'une version plus élégante, moins texane, de Georges W. Bush. Il a justifié les acte de la NSA, et avec son administration, au pire moment médiatique pour l'intégrité américaine, il nous a monté une alerte terroriste mondialisée et bidon, qui a fait frémir tous les lobotomisés de la terre. On attend encore, sinon les bombes, du moins les opérations de déminage. 

    Tout cela pour Snowden, dont la célébrité médiatique lui permettra de survivre à quelque accieent vasculaire, ou à une intoxication alimentaire, ou à une rupture des freins sur un véhicule ayant 3251 km.

    Qu'est-ce que Snowden ? Je ne dis pas : qui est Snowden ? Sa personne en tant que telle n'a pas d'importance. En revanche, il est intéressant de définir son statut. Pour les gens de ma génération, nourris aux écrits de Soljnitsyne, des combats de Sakharov ou Plioutch, se souvenant de toute la rhétorique occidentale qui soutenait ces hommes en lutte contre le délire soviétique, la transposition est aisée et imparable. Snowden est un exilé, mieux : un réfugié politique. Ce qu'il dévoile des opérations de surveillance américaines équivaut à ce que les dissidents de l'Est racontaient des régimes policiers et des méthodes de contrôle de la population. Encore ces pratiques se limitaient-elles à l'espace national quand les agissements de la NSA sont mondiaux et ne distinguent pas alliés et ennemis.

    Il n'y a ici aucun jugement moral sur ces pratiques. La politique est sale, par essence. Elle est faite, en grande partie, d'arcanes, de manipulations, de dissimulations, de faux-semblants. Obama en joue comme les autres, sinon il ne serait pas à la place qui est la sienne. Le reste est littérature. il sera néanmoins curieux pour certains de devoir admettre que les États-Unis ont, eux aussi, leur dissident, et comme aux meilleurs temps de l'URSS, ils n'ont pas la moindre indulgence pour ceux qui parlent. Manning vient de prendre 35 ans pour avoir alimenté Wikileaks. Snowden est dans l'expectative.

    On regrettera sans doute qu'il trouve chez Poutine un soutien. Cette collusion servira à le discréditer, à ne faire de lui qu'un traître, un opportuniste, un quidam en quête de notoriété. Quand on finit Vladimir, c'est qu'il y a anguille sous roche. Rien de politique dans tout cela. De toute manière, rien de ce que font les États-Unis n'est politique. Ce sont simplement des actes préventifs, une inflexion naturelle vers le Bien, un souci de paix perpétuelle (l'Américain est kantien, c'est bien connu...).

    Jusqu'alors, ce pays avait contenu son opposition ; la critique (à la Chomsky) était marginalisée parce qu'elle s'en tenait au plan analytique. Du bavardage, en somme. Snowden se place sur un autre plan :  il ne commente pas, il ne théorise pas, il donne des faits. Voilà bien pourquoi il est dangereux, et qu'il est, plus que quiconque, un homme politique.

     

     

     

    Photo : Reuters/Kacper Pempel

  • Philip Glass, soliste ou orchestral

    Opening : tu ouvres la boîte...









    Closing : tu fermes les yeux



    Compositions intiale et finale de Glassworks (1981)

  • Randy Newman, ironique

    Randy Newman est un compositeur peu prolixe. Cinq albums depuis 1979. Seul Donald Fagen (c'est pour un prochain billet) a fait mieux en la matière. Il appartient, ce cher Newman, a une époque qui sent encore la musique faussement easy listening, quand les arrangements et le choix des musiciens signifient encore quelque chose de proprement américain (1). Newman, en fait, ce n'est pas de la pop (concept très anglais) mais une construction qui va de pair avec les espaces urbains informels, les motels, les grosses voitures roulant lentement, des films où on parlerait peu (mais évidemment pas dans le genre intello de Tarkovsky ou Sokourov...) parce que le décor, les constructions sont en soi le mobile du déroulement de la pellicule.

    Ironique, dis-je, le petit père Newman, et pas rien qu'un peu. Prenez ce que vous allez écouter. Le titre est  déjà tout un programme : Short people. S'agit-il des nains ? Admettons. Et d'enchaîner avec délectation. Short people have no reason to live. Bordel ! Que fait la ligue de combat des différences et même qu'il faut plus déconner et se moquer parce que sinon on va vous envoyer les juges et les flics (que par ailleurs on déteste, parce qu'on n'aime pas la répression, c'est bien connu). Il se moque des nains ! Salaud ! Par les armes et vite. 

    Le problème de l'ironie, c'est qu'il faut un minimum d'intelligence et que l'intelligence, depuis que les bonnes sœurs gauchistes (masculin et féminin, pour le coup) ont décrété qu'elle (ils) étaient l'incarnation de la bonne parole, cette intelligence a singulièrement régressé (2). Revenons à Randy Newman qui se moque apparemment des nains. Il est méprisable : il mesure 1m83 ! Voilà qui classe son homme ! Que sa chanson puisse être entendue au second degré, cela échappa à certains. Encore étions-nous en 1977, à un époque où le bucher du politiquement correct n'avait pas été érigé. Que ces short people fussent des gens à courte vue, des  crétins à la vision étriquée, ne frappa pas certains esprits. Soyons raisonnables en diable et cartésiens de surcroît pour se rappeler que "le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ; car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. En quoi il n’est pas vraisemblable que tous se trompent : mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien." (Discours de la méthode, 1637).

    Il y a évidemment un certain snobisme à vouloir glisser dans le même billet Randy Newman et René Descartes, une sorte d'exercice, facile, dans le mariage de la carpe et du lapin. Aucun doute là dessus et donc, inutile de s'agacer (je connais certains lecteurs...), c'est fait pour...

    En attendant, bonne écoute.

     


     


    (1)Sur l'album où paraît Short people, Little Criminals, on trouve les noms de Ry Cooder, Don  Henley ou Jim Keltner. Les amateurs apprécieront.

    (1)Car il n'échappera à personne que le moralisme gauchiste prend des allures de catéchèse, la rhétorique et l'allégorie en moins. De toute manière, les niaiseries ne peuvent guère prétendre aux quatre niveaux de lecture dégagés par Aristote : le littéral,  l'allégorique, le tropologique et l'anagogique. Il y a tromperie sur la marchandise mais il ne faut rien en dire. Ils s'en tiennent au littéral, le seul qu'ils veulent exploiter tant ils méprisent les gens qu'ils disent représenter. Ils appellent populisme ce qui n'est pas eux.

  • Facile, trop facile...

     

    Nous en étions restés à cette idée peut-être simpliste que les responsabilités vous endurcissent, ou, pour le moins, qu'elles vous obligent parfois, la mort dans l'âme (mais ce n'est qu'une métaphore...), à faire ce que vous n'auriez pas voulu faire.

    Et de se dire qu'inéluctablement, assumer une fonction revient à se retirer en partie de soi-même, à se conformer à cette affiche un peu statufiée qu'on définit comme la représentation. D'une certaine manière, cela s'appelle la dignité. Cette dignité doit avoir, parfois, les allures du masque. C'est ainsi que le théâtre, le vrai, tragique et terriblement humain, prend son sens, dans ce qui est caché, retenu, aboli de l'être qui parle et qui agit..

    Mais, dans ce qu'il faut bien appeler une mise à disposition publique de tous les signes de l'humanité, les larmes ont pris une place de choix et l'homme dont on dit qu'il est le plus puissant du monde (si l'on veut admettre que la politique nucléaire état-unisien n'est pas, par exemple, un pouvoir sans conséquences...) n'aura pas ménagé ses effets durant ces deux derniers mois.

    1)

     

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    Nous sommes dans le Wisconsin, début novembre. C'est son dernier meeting. Il est crevé, épuisé d'aller à coups de millions de dollars aux quatre coins du pays pour mettre une rouste au mormon. Il a les nerfs à vif sans doute, le corps qui rend l'âme et l'impression que l'affaire est bien partie. Mais c'est ainsi : une sorte de post coitum animal triste. Il va remettre le couvert et la bonne surprise de 2008 devient une confirmation. Il pleure. Sur ses efforts ? Sur l'improbable ? Sur ceux qu'il a déçus et qui rendront sa victoire moins large ? Sur sa gloire qui va prendre du galon ?

    2)

     

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    Nous sommes à son QG, début novembre. Il est avec son équipe. Il est le capitaine triomphant qui vient rendre hommage au cercle restreint de ceux qui n'ont pas dormi, qui ont donné corps et âme. Il leur doit une fière chandelle. Il a l'air d'un lycéen, nouvellement bachelier, dont le destin l'emmène loin de sa famille, des amis, de ses potes, de son quartier. Il boucle une aventure : le côté boy-scout, c'est fini. Lundi, c'est retour au  bureau. Moins excitant, moins d'adréaline. À en avoir des frissons dans le dos.


    3)

     

    le-president-obama-tres-emu-pendant-son-allocutaion-apres-le-drame-photo-afp.jpg

    Il est à la Maison Blanche. Nous sommes à la mi-décembre. 26 morts à Newtown, soit, en une fois, la moyenne journalière américaine des morts par arme à feu. Une sorte de packaging instantané, en somme. Il évoque des mômes abattus sèchement qui auraient fait de bons petit(e)s américain(e)s. Pour eux, c'est fini : ni corps, ni âme. Il pleure. Il est père. Il imagine. Il est humain. Il est président et comme il l'a dit pendant la campagne, en réponse à une question qui lui était posée, qu'il croyait au deuxième amendement autorisant chacun à être armé. Mais ce n'est rien. Il est ému. Ça se voit, ça doit se voir.

    Ces émotions répétées, dans des contextes et pour des raisons fort divers, ont quelque chose de grotesque. Elles mélangent la fébrilité d'une réussite conditionnée par l'argent (la campagne d'Obama, c'est un milliard de dollars), l'émotivité du sportif qui décroche la timbale, le pathos facile de l'impuissance politique, la compassion qui vous dédouane de tout. On aimerait qu'il ait les larmes aussi abondantes sur la misère que répand la politique américaine à travers le monde, sur les horreurs économiques dont usent les grands groupes de son pays pour satisfaire des actionnaires encore plus voraces, qu'il sorte son Kleenex à chaque bombe explosant à Bagdad ou ailleurs. Mais à ce train-là, je crains qu'il ne puisse pas beaucoup travailler et que la déshydratation le guette.

    Certains diront qu'il est humain, que ce n'est pas Bush, lui. Bien sûr... Ce n'est que "l'obscénité démocratique" que dénonce Régis Debray dans un court essai (1) ainsi intitulé et qui parut en 2007 et dont j'extrais les phrases suivantes :

    "Obscène, en termes techniques, est le forum dont la dramaturgie se met à obéir à la télécratie. Ou qui passe, plus précisément, du plan large au gros plan qui vient fouiller le visage, la larme au coin de l'œil, le baiser sur la bouche et le petit dernier -au cours d'un cérémonial officiel". 



    Régis Debray, L'obscénité démocratique, Flammarion, "Café Voltaire", 2007.