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loi

  • Comment on nous a disputé... (notre vie sexuelle)

    La semaine dernière, la mare au canard médiatique est entrée en agitation parce que 343 salauds (ainsi se désignent-ils) avaient signé un texte attaquant le projet de loi du gouvernement sur la pénalisation des clients ayant recours à la prostitution. L'affaire était à la fois gonflée à l'hélium journalistique et symptomatique d'une évolution plutôt gênante de la société et de son contrôle...

    Commençons par l'acte lui-même. 343 salauds, donc, qui manifestaient par l'écriture pour crier "Touche pas à ma pute !". Il y avait donc double ration de démarcation-citation, de clin d'œil, de pastiche et d'ironie. Au cas où nous n'aurions pas compris. Il y a là un petit côté postmoderne qui étonne. C'est d'autant plus curieux de la part de certains des signataires qui se voudraient redonner du sens devant la dérive amorcée dans l'ordre du langage. Le double écho sonne malgré tout comme une facilité un peu beauf, exaspérante, comme le revers, le pendant du féminisme creux, moralisant de l'époque contemporaine.

    C'est croire qu'en usant des mêmes recettes (concept médiatique essentiel pour structurer désormais le message), on dit la même chose ; c'est imaginer que le monde n'a pas changé alors même que l'évolution/dégradation est au cœur de ce qui alerte les signataires. Les contestataires du nouvel ordre moral auraient voulu passer pour des crétins qu'ils ne s'y seraient pas mieux pris. Le "touche pas à ma pute !" serait une amusante gauloiserie si elle avait servi un humour de comptoir. En jouer comme d'une pied de nez à la logorrhée de l'idéologie anti-raciste qui fait passer Jean-Philippe Désir et consorts pour des philosophes, c'est carrément débile. Je l'ai déjà écrit au sujet de Ni putes ni soumises, on ne construit pas une argumentation avec la langue de l'ennemi. La tentation du jeu de mots doit rester aux humoristes, sans quoi on tourne la politique en galerie d'histrions, ce qui ne manque pas d'arriver avec le règne consternant de la petite phrase, cette rhétorique de poche pour temps incultes. "Touche pas à ma pute !" moque moins Désir et ses amis qu'il ne salit la prostituée. Si pour les signataires, celle-ci est une pute, une pute pure et simple, ils ont vraiment beaucoup, beaucoup d'élégance.

    Néanmoins, ce manifeste, dans toute sa maladresse de boutonneux revendicatifs, soulève sur le fond et dans les réactions engendrées des interrogations. 

    Sanctionner le client... Pourquoi pas... Faire que le sexe tarifé devienne un délit pour celui qui veut en jouir, c'est une idée comme une autre. Un peu grotesque sans doute... Encore aimerions-nous alors que cesse la double hypocrisie de l'État. État qui impose le revenu des prostituées, par exemple. État curieusement défaillant quand il s'agit de régler leur compte aux réseaux mafieux qui alimentent une prostitution d'abattage sordide. Cet aveuglement laisse pantois. Mais sans doute est-ce pour participer à la mythologie littéraro-policière de la pute comme indic ou figure obligée des mondes interlopes qu'on trouve dans les grandes villes (tout le monde à la relecture des romans des XIXe et XXe siècles. Pour le XVIIIe, c'est autre chose : un érotisme plus drôle, un jeu plus joyeux...).

    Les féministes, à commencer par l'amusante Vallaud-Belkacem, ont laissé cette double problématique à la porte. Elles révèlent ainsi ce qu'est leur fonds de commerce. Il n'est pas social ou politique : il est symbolique. Jacassantes bourgeoises, nourries au lait des gender studies et autres absurdités minoritaires comme neutralisation du social, elles n'ont qu'un ennemi, un seul, facile à identifier et à vilipender : le mâle hétéro européen. La condition des femmes, dont elles se prévalent, prend pour elle sens dans le désir ardent d'une revanche ancestrale incarnée par le grand Inquisiteur colonial, machiste et (accessoirement ?) caucasien. On aimerait penser que madame Vallaud-Belkacem, qui fut jusqu'en 2011 membre d'un comité conseillant le roi du Maroc, a œuvré avec succès pour l'émancipation de la femme marocaine. Il semblerait, aux dernières nouvelles, que le chemin est encore long dans le royaume de Mohammed VI, et qu'elle ait échoué, là comme ailleurs (1).

    Son argumentaire pour contrer cette fronde masculine, fut d'ailleurs assez légère. Revenant sur le parallèle avec l'appel des 343 salopes de 1971, elle rétorqua qu'alors des femmes se battaient pour disposer de leur corps, quand ces hommes-là revendiquaient le droit de disposer du corps d'autrui. Petit retournement auquel certains répondraient que :

    a-l'avortement peut aussi être vu comme le droit de disposer du corps d'un autre (l'embryon) (2)

    b-les signataires ne parlaient pas d'autre chose que de relations tarifés avec des adultes consentantes.

    Cette façon de vouloir régenter les droits et les devoirs de la personne, selon une géométrie idéologique qui n'a fait l'objet d'aucune discussion publique sérieuse, est insupportable. Il n'est pas de l'autorité de l'État d'ainsi organiser ma sexualité d'adulte à adulte, sinon dans les limites qui porteraient atteinte à l'intégrité d'autrui. Faire du client des prostituées (3) un délinquant quand la bourgeoisie gay va se voir offrir bientôt les moyens de louer des ventres et d'alimenter à un trafic (légal ?) de conception d'enfants est proprement abject.

    j'imagine bien que ces mêmes intransigeants doivent regarder avec sévérité la pornographie. Il n'y a pas de raison qu'ils ne désirent pas pendre haut et court les vilains messieurs fantasmant (ou ayant fantasmé) sur Claudine Beccari, Tori Welles, Tabatha Cash ou Sasha Grey (4). Hélas pour eux/elles, le temps béni des cinés pornos est fini depuis longtemps : ils ne pourront nous guetter à la sortie des séances... Nous avons tout désormais à porter de télécommandes. Il leur faudrait  donc investir nos salons ou nos chambres, à moins qu'ils ne tentent, et ce serait là un vrai courage politique et économique, d'interdire les sites et les chaînes du X (5).

    En fait, tout cela, c'est de la poudre aux yeux politiques et un vrai combat symbolique et civilisationnel. Le mâle hétéro est une figure qui plaît aux féministes nouvelle mouture. Il leur donne l'impression d'exister et de penser. Ce qui s'identifie simplement et cristallise les affects est idéal pour la non-pensée. Elles y mettent un tel acharnement que cela en devient risible. Un rêveur aurait souhaité qu'elles en usassent avec d'autres comme avec celui-ci. Par exemple : que les déclarations ignominieuses de Pierre Bergé sur les mères porteuses fissent se lever comme un seul homme (je plaisante) ces consciences alarmées, guettant la discrimination et le mépris envers les femmes. Il n'en fut rien. On se demandera naïvement pourquoi elles ne trouvèrent rien à y redire.

    (1)Là comme ailleurs, en effet, si l'on veut bien prendre pour un échec sa couardise électorale qui la fit renoncer à briguer un siège de députée en juin 2012... Trop d'incertitudes et le risque de perdre sa prébende ministérielle.

    (2)En écrivant cela, nous considérons un point de vue tenable sur le plan de la morale (puisque désormais la morale....). Je n'ai personnellement pas la moindre envie que soit remis en cause le droit à l'avortement.

    (3)On notera au passage que la prostitution masculine semble ne pas exister, qu'elle soit homo ou hétéro...

    (4)Sasha Grey, par exemple, qui plaît si bien à la littérature journalistique décalée de gauche, du type Libération.

    (5)Mais il est vrai que le porno, comme objet de consommation, s'est féminisé. En témoignent les dernières déclarations sur le sujet de Scarlett Johansson.

  • Hors de sens

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    Le droit comme un principe d'égalité coûte que coûte, jusqu'à la limite de l'impensable et de l'insensé...

    L'Iowa vient d'accorder aux aveugles le droit de port d'armes, parce qu'il n'y a pas de raison que ceux-ci souffrent d'une discrimination en raison de leur handicap (mais devrais-je dire : leur différence).

    Pourrait-on ainsi envisager que pour des élections (présidentielles ou autres), un homme mourant dans la semaine précédant le scrutin, et ayant clairement/publiquement exprimé son choix, ait le droit de voter post-mortem ? Pourrait-on sérieusement agir pour que la mort inopinée ne soit pas un obstacle à l'expression politique, puisqu'on autorise bien des mariages post-mortem ?

    Il y a sans doute de multiples, pour ne pas écrire : d'innombrables, situations absurdes sur lesquelles l'esprit tordu de l'époque aurait loisir de légiférer. À chacun de se creuser les méninges.

    En attendant, et pour redevenir vers un peu sérieux, soulignons que l'extension du droit en dehors de toute réalité tangible, comme une abstraction propre à satisfaire les désirs individuels, a quelque chose de sinistre, qui va bien au-delà de ces délires américains (on les trouve ailleurs, aussi, qu'on ne s'y trompe pas...). Le bon plaisir du roi n'existe plus, et il n'y a pas lieu de s'en plaindre, mais est-il judicieux de le remplacer par le bon plaisir de chacun ? Fallait-il, pour nous faire croire que tout irait mieux, multiplier les royautés factices et faire que, pour citer ce cher Montaigne, chacun se prélate jusque dans sa garde-robe ? Doit-on accepter tout et n'importe quoi sous prétexte qu'il ne faille léser ou blesser personne ? Devrais-je intenter un procès à la ligue professionnelle de basket-ball parce qu'il n'est quasiment pas possible d'y réussir si on ne mesure pas 1 m 80 et qu'il faudrait instaurer des quotas pour que tout le monde puisse avoir sa part du gâteau, jouir de ses droits, les géants, les grands, les moyens et les nains ?

    Je ne sais si un aveugle de l'Iowa sortira dans la rue et tirera (faut-il écrire : à vue). Cette loi n'aura peut-être jamais d'effets pratiques. Et d'aucuns diront que les voyants font suffisamment de carnages pour qu'on ne s'offusque pas de cette adaptation légale. Certes. Mais c'est l'esprit qui la motive qui pose problème. Cette revendication nous aurait fait rire si Raymond Devos en avait tiré le fil (et rien que le fil...) pour l'un de ses sketchs doucement kafkaïens. Pour une histoire sans queue ni tête, soit ; pas pour une réalité sens dessus dessous...


    Photo : Thomas Barbey

  • La gauche libérale (III) : la langue

     

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    Bossuet, fontaine saint-Sulpice, Paris VIe


    Ainsi en a décidé le gouvernement socialo-libéral : le français n'est plus la langue nationale (et donc unique) de l'enseignement en France. Il y a désormais l'anglais. C'est, paraît-il, une manière de s'ouvrir. S'ouvrir encore. C'est leur formule, à ces fossoyeurs nauséabonds.

    Une telle démarche n'est pas sans conséquences sur les moyen et long termes, nul ne peut en douter, et l'on pourrait s'arrêter sur la question du déclin de notre culture. Je me contenterai d'évoquer un effet immédiat, une forme insidieuse de terrorisme intellectuel dont ces gens-là savent user. À protester devant une décision aussi funeste, on passe illico pour un nationaliste (et le nationaliste n'est plus, désormais, dans la doxa contemporaine que le stade ultime du facho de base...). L'affaire est bien jouée, qui réduit la pensée critique au retranchement muet et/ou à la promiscuité lepéniste, parce qu'alors il ne reste guère de choix : ou se taire, ou feindre de ne pas comprendre l'amalgame. De toutes les manières, dans cette configuration, vous êtes un salaud qui n'aime pas le monde puisque vous ne voulez pas de la langue d'autrui, et que vous vous insurgez.

    Il en va de la gauche libérale comme de l'engeance trotskyste dont elle a nourri sa jeunesse : une haine de l'Histoire nationale et un goût effroyable pour la manipulation.

    Mais brisons-là et plutôt que déverser de notre fiel plus avant, citons Richard Millet, dans Le Sentiment de la langue, qui écrit si justement que «nous ne sommes menacés que de l'intérieur». L'écrivain évoque par fragments le classicisme dont l'enseignement internationalisé de l'OCDE voudrait qu'on s'en débarrassât parce que trop français.

    *

    « Affaire purement française, le classicisme ne fait question qu'en temps de détresse. Qui l'interroge s'inquiète bien plus que d'esthétique ou d'écoles : il y va de la langue -donc de l'identité française »

     

    « La haine du « classicisme » : l'éternel procès fait à la langue par ceux qui, ayant perdu la leur, n'ont de cesse qu'ils ne soient avec elle perdus dans des vertiges et des flamboiements douteux »

    *

    « Un jardin d'acclimatation : telle je comprends la langue. J'entre dans ce jardin, je regarde le ciel, je marche : en moi la langue remuée comme des frondaisons automnales : je deviens, en parlant, homme-jardin, druide et guerrier. En moi la sève de France par la langue sourdant, telle une sueur millénaire. »

  • Le courage catholique

     

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    Monseigneur André Vingt-Trois, évêque de Paris, dans son discours d'ouverture à l'assemblée des évêques, a rappelé son opposition au mariage homosexuel, que l'actuel gouvernement veut instituer. Il reprend la ligne que Monseigneur Barbarin, primat des Gaules, avait déjà définie.

    Il faut être d'une inculture sidérante pour s'étonner que la hiérarchie catholique soit réticente devant un tel projet. Celle-ci peut-elle, en toute bonne foi, et selon un principe pluriséculaire, en héritage d'ailleurs d'une tradition antérieure à l'établissement du christianisme et de la chrétienté, rappeler autre chose que cette évidence : le mariage consacre une union hétérosexuelle ? Évidemment non. Faire le procès de cette position en établissant directement, comme le font les progressistes patentés de la gauche (mais on sait ici ce que je pense de l'invocation du progrès en matière politique), qu'il s'agit là d'une attitude homophobe relève du procès en sorcellerie, d'une pratique stalinienne courante. L'acharnement de ces trente dernières années contre le catholicisme est à ce point constant qu'il en est caricatural. Mais il fallait bien que les promoteurs des gender studies, des cultural studies et autres supercheries où tout se mesure à l'aune d'un discours minoritaire creux (1) établissent la hiérarchie des peines, des manquements et des responsabilités. En braves soldats de la doctrine foucaldienne, ils ont désigné le principal acteur de leur misère : l'église catholique et son cortège inquisiteur. En ce cas-là, spécifiquement, l'histoire est utile. Elle sert les intérêts du requérant. L'homosexuel, qu'on n'appelait pas encore gay, mais sodomite, inverti, pédéraste, a payé au tribunal de Dieu ses pratiques. Contester ce point serait complètement idiot. Mais se focaliser sur ce seul élément historique, je veux dire : sur ce seul axe de l'Histoire, est un peu court. Les délires médicaux sur l'anormalité des homosexuels n'avaient pas besoin de l'Église. Les aspirations positivistes et le goût des classifications suffisaient.

    Qu'il y ait, dans l'épiscopat, une certaine hypocrisie vis-à-vis de l'homosexualité, comme de la sexualité en général, n'est pas douteux. Mais, en l'espèce, il ne s'agit pas tant de cela que de définir l'ordre de la relation au mariage, jusques et y compris, dans sa définition administrative. L'invocation du mariage pour tous (2) fait sourire, quand l'institution qu'il représente se détermine d'abord dans une perspecive familiale et de protection de la progéniture (et les homosexuels ne peuvent pas avoir d'enfant, c'est un fait). Sur ce point, il aurait déjà fallu que les progressistes analysent de quoi étaient faits les textes du Code Civil. Les évêques ne vont même pas aussi loin dans la critique, et c'est un grand tort. Ils s'en tiennent à la seule contestation (très rétrograde, non?) de la famille, avec un père et une mère...

    C'est pour cela qu'on leur tombe dessus à bras raccourcis. Encore ont-ils, eux, le courage d'afficher leur position ! Car, l'une des plus remarquables abérations du moment, c'est le silence des autres confessions monothéismes, lesquelles ne peuvent, sur ce point, qu'être en accord avec les catholiques. Faut-il, en effet, penser que le silence du Consistoire juif, du CFCM et des autorités protestantes a valeur de consentement ? Il est bien curieux que ces institutions, si chatouilleuses sur leurs prérogatives, si regardantes sur les pratiques que l'on encadre quand elles entachent l'espace public d'une expression ostentatoire de l'appartenance religieuse, il est bien curieux que, sur ce point, elles se taisent toutes. Bizarre, vraiment, que les intégristes de ce coin-là, qui ne manquent jamais de rappeler ce que Dieu, ses prophètes et ses commenteurs ont dit, écrit, prescrit, ne viennent sur le devant de la scène nous avertir qu'il y a là une loi scélérate, indigne et tout à fait contraire aux préceptes religieux. On devrait leur savoir gré d'avoir ainsi modéré, voire changé, leur position. Il est évident qu'il n'en est rien. C'est d'ailleurs, par exemple, parce que le rejet massif de l'homosexualité par les jeunes maghrébins est un fait que certains s'inquiètent du glissement nationaliste, voire d'extrême-droite, d'une frange de la communauté gay.

    De fait, il est bien agréable, et facile, de voir la hiérarchie catholique monter en première ligne et de faire que les éternels geignards du minoritaire (en particulier ceux qui voient de l'islamophobie partout : CFCM en tête) puissent se taire sans montrer qu'à leur tour ils pourraient désigner d'autres minoritaires. Le choix catholique a au moins le mérite de la clarté et de l'honnêteté. Il se définit dans la plénitude d'une position affichée qui n'exclut en rien le dialogue avec les homosexuels. La question du mariage est épineuse mais, au moins, devant une loi qui lui semble contestable et dangereuse, monseigneur André Vingt-Trois ne fait pas semblant. Il ne cherche pas à s'attirer les bonnes grâces de la doxa ambiante ; il ne cherche pas à feindre et à tromper ; il ne se cache pas. Il choisit le choc frontal. Sans doute parce que la position qu'il défend est plus importante que l'estime temporaire d'une médiatisation qui voudrait à tout prix la modernité. Il est seul à prendre cette voie, au risque d'enfoncer un peu plus l'Église catholique dans la crise, au risque de donner du grain à moudre à ceux qui voient en lui l'incarnation du mal.

    Ces derniers font un calcul petit, minable et dangereux. Trop contents d'avoir l'adversaire qu'ils s'étaient choisis depuis longtemps, et lui seul, car les autres sont tapis dans l'ombre, ils pavanent. Ils seront heureux de brandir la loi, une fois qu'elle sera votée, heureux et heureuses de pouvoir être comme tout le monde, marié(e)s, et d'avoir, dans les grandes largeurs, niqué les cathos... Ils se trompent, et lourdement...

     

     

    (1)Creux, quoique assez efficace, si l'on en juge par certaines évolutions visibles dans les institutions. Il est dès endroit, aujourd'hui, où le minoritaire est un universitaire hétérosexuel. La cooptation existe aussi chez ceux qui hurlent à la ségrégation. La revendication homosexuelle est aussi une réalité et il est des milieux où elle forme un rempart entre les admis et les refusés. C'est un fait. Le dire n'induit en aucune façon que l'on soit homophobe. Encore faut-il alors souligner que, dans le monde homosexuel aussi, il existe des différences de classes : l'homosexuel du Marais peut vivre, assumer, revendiquer, voire exclure, quand celui de la banlieue de Seine-Saint-Denis est obligé de se cacher, de prendre ses choix comme une tare, et de se taire. On aimerait qu'il eût un peu plus de solidarité sur ce plan. Or, ce n'est pas avec un Gay Pride à l'esprit petit bourgeois qu'on a des chances d'y arriver.

    En vertu de ce principe, d'ailleurs, Anne Lafetter dans Les Inrocks écrit, le 17/01/2012, au sujet du livre publié par l'ancien président d'Act-Up, Didier Lestrade :

    «Un hétéro n’aurait pas pu écrire Pourquoi les gays sont passés à droite. Discriminatoire aurait-on dit, voire homophobe.» Un tel aveu est consternant, et doublement : a)il fait le constat d'un état de terreur dans le droit de penser b)il marque l'approbation par celui qui fait ce constat de cet état de terreur du bien fondé de cet état. La boucle est bouclée. Comme quoi il est toujours intéressant de fouiller les poubelles de ceux que l'on combat... 

    (2)La formule a des airs de slogan publicitaire. Le mariage pour tous, c'est plus facile, quand on sombre, comme les socialistes, dans le libéralisme intégral, que la dignité pour chacun, un toit pour chacun, un travail pour chacun. Privilégier le pluriel devant le singulier est un moyen rhétorique classique pour cacher la misère de sa pensée et pour placer celui qui conteste en position de méchant réactionnaire bridant les aspirations et l'épanouissement des citoyens...

     

    Photo : Reuters

     

  • Point, à la ligne...


    Si le symptôme regarde le futur, annonciateur d'une transformation, d'un désordre ou d'une entropie, il touche aussi au présent, et même au passé (proche). En lui est aussi la trace (l'indice) d'un phénomène déjà en cours. Ainsi la séméiologie médicale n'est-elle pas simplement l'histoire d'un diagnostic (en vue d'un pronostic), elle est aussi retour en arrière... C'est dans cette perspective que la sémiologie des faits sociaux peut aussi s'appréhender. Et sur ce plan, il n'y a pas d'événement qui vaille plus que d'autre, d'advenu plus noble ou plus sérieux
    , parce que tout est trace, lisible ou non, inscrite dans le champ plus général des affaires du monde.

    Prenons ainsi ce qui s'est passé la semaine dernière, pour inaugurer (à prendre dans son sens quasi religieux d'annonce) la finale de rugby entre la Nouvelle-Zélande et la France : le fameux haka, lequel est, pour les non avertis, un chant hérité des Maoris, accompagné d'une danse assez simple, et qui, sous ses apparences un peu rudes, n'a rien à voir avec une quelconque volonté de tuer.



    Nous sommes dans le rituel, intégré comme tel dans l'espace d'un terrain de jeu. Pour reprendre une distinction de Michel  Foucault,  une sorte d'hétérotopie dans l'hétérotopie, croirait-on : la suspension à double niveau de l'ordre du monde pour lui substituer un ordre plus restreint, plus intime en quelque sorte, où sont concernés au premier chef les joueurs des deux équipes. Avec du recul, on en vient à se dire que ce à quoi nous  sommes réduits ramène à un pur moment de voyeurisme. Devant l'écran ou au stade, nous sommes témoins d'une histoire qui peut certes nous émouvoir (le frisson du cri, des hommes en ordre de bataille, le noir contre le blanc, la suspension du temps, la connaissance du déjà-vu -et donc le plaisir de la retrouvaille) mais qui ne nous concerne pas. Plus que jamais (et comme il me semble, dans aucun autre sport, même au moment des hymnes nationaux (et pour être clair : surtout à ce moment-là)), nous sommes hors-jeu.

    Il faut dès lors considérer le moment du haka comme un temps soustrait à l'ordre, pour un rite quasi privé, auquel nous ne pouvons pas participer (1), parce que la communion n'est pas là où nous croyons qu'elle est : le haka n'est pas la réunion d'un camp (joueurs et supporters) mais l'union des deux équipes, des adversaires.

    C'est d'ailleurs en ce sens que les joueurs français l'ont très bien compris. Et cela en deux temps. En commençant d'abord par se disposer en V. Puis en avançant jusqu'à la ligne médiane. On pourra toujours mettre cette stratégie sur le compte de l'intimidation d'avant match, à la manière des déclarations intempestives qu'on trouve dans les journaux ou dans les conférences de presse. Il s'agit de ne pas se laisser impressionner, de se montrer, d'être présent. L'enjeu est à ce niveau, soit. Mais ce principe est repérable depuis longtemps, lorsque les équipes s'alignaient devant les All Blacks et les regardaient accomplir leur rituel, impassibles. Dans ce que font les Français, il y a comme un supplément d'âme, et plus encore. Il y a une réponse. La disposition classique consistant à écouter, raide comme un piquet, le chant maori laisse sa place à une action, c'est-à-dire à une parole, non pas au sens linguistique certes, à une adresse. À ceux qui leur parlent, ils répondent. Partir de son camp et s'avancer vers l'autre est une manière de lui signifier son existence et, très important, lui signifier la sienne. C'est établir l'échange dans ce qu'il a d'interpersonnel (quand bien même ils sont nombreux de chaque côté), dans ce qu'il abstrait le monde qui entoure les participants. Les Français prennent le haka pour ce qu'il est vraiment : un partage, un murmure au creux de l'oreille, une reconnaissance, un don (qui induit le guerredon).

    Mais l'histoire ne s'arrête pas là et prend une autre dimension lorsqu'on apprend le lendemain que l'International Rugby Board condamne, pour "contre-haka", l'équipe française à une amende de 2875 dollars. Pour l'essentiel, on leur reproche de ne pas être restés à leur place et d'avoir franchi la ligne médiane, d'être allés dans le camp adverse. Ils ont enfreint la loi. À ce niveau, ce ne sont évidemment pas des délinquants, moins encore des criminels, mais des contrevenants. Voilà qui ne manque pas de sel, puisqu'en allant à la rencontre de ceux qu'ils reconnaissaient comme tels, ramenant le jeu à son humanité, ils allaient à l'encontre de la loi. Peu importe que le président de la fédération néo-zélandaise ait jugé inutile la sanction, qu'aucun joueur all blacks n'ait trouvé à redire sur l'attitude tricolore, que les Français, ayant gagné le toss, eussent pu jouer en bleu et qu'ils préférèrent jouer en blanc pour laisser les néo-zélandais à leur mythique couleur ; peu importe les élégances, quand l'ordre, celui qui n'a pas à se justifier, est en danger.

    Franchir la ligne : tout est là. Afficher le désir collectif d'une communion qui met à mal l'autorité, telle est la visibilité de ces presque deux minutes où le cours des choses est entre parenthèses. Le faire ainsi au vu et au su du monde était insupportable à qui de droit. La sanction pourrait être considérée sur le seul plan sportif mais ce serait aller trop vite en besogne. C'est en ce sens qu'elle est un symptôme. Elle en dit long sur l'état du monde qui, sous couvert d'une plus grande liberté, s'ingénie à écraser toute velléité existentielle. Jouez, courez, trichez, soyez sanctionnés par l'arbitre, battez-vous... mais n'essayez pas d'être, d'exister, et surtout ne donnez pas au combat, à la lutte, à l'affrontement les limites de votre humanité. Un simple détail, sans doute... par lequel on reconnaît la coercition sournoise d'un ordre festif. Les figures mises en avant dans le moment de l'événement (une finale tout de même, et en chef de rébellion, celui qui sera désigné dans la foulée meilleur joueur du monde) ne sont rien, ne doivent rien avoir à penser, et surtout, elles ne doivent pas croire en l'existence de l'autre.

    Sous cet angle, et parce que cette histoire n'engage pas grand chose sinon une victoire sur un terrain (80 minutes et puis on passe au divertissement suivant), il y a de quoi désespérer profondément du monde qui nous entoure. Arrivé à ce point de terreur disciplinaire, il tombe dans l'absurde, et l'absurde, dans le réel, est mortifère.



    (1)À l'inverse des hymnes, que la foule peut reprendre en chœur, le haka se fait dans le silence. Il n'est pas question pour quiconque n'est revêtu du maillot (titulaires et remplaçants) de se l'approprier.