Monseigneur André Vingt-Trois, évêque de Paris, dans son discours d'ouverture à l'assemblée des évêques, a rappelé son opposition au mariage homosexuel, que l'actuel gouvernement veut instituer. Il reprend la ligne que Monseigneur Barbarin, primat des Gaules, avait déjà définie.
Il faut être d'une inculture sidérante pour s'étonner que la hiérarchie catholique soit réticente devant un tel projet. Celle-ci peut-elle, en toute bonne foi, et selon un principe pluriséculaire, en héritage d'ailleurs d'une tradition antérieure à l'établissement du christianisme et de la chrétienté, rappeler autre chose que cette évidence : le mariage consacre une union hétérosexuelle ? Évidemment non. Faire le procès de cette position en établissant directement, comme le font les progressistes patentés de la gauche (mais on sait ici ce que je pense de l'invocation du progrès en matière politique), qu'il s'agit là d'une attitude homophobe relève du procès en sorcellerie, d'une pratique stalinienne courante. L'acharnement de ces trente dernières années contre le catholicisme est à ce point constant qu'il en est caricatural. Mais il fallait bien que les promoteurs des gender studies, des cultural studies et autres supercheries où tout se mesure à l'aune d'un discours minoritaire creux (1) établissent la hiérarchie des peines, des manquements et des responsabilités. En braves soldats de la doctrine foucaldienne, ils ont désigné le principal acteur de leur misère : l'église catholique et son cortège inquisiteur. En ce cas-là, spécifiquement, l'histoire est utile. Elle sert les intérêts du requérant. L'homosexuel, qu'on n'appelait pas encore gay, mais sodomite, inverti, pédéraste, a payé au tribunal de Dieu ses pratiques. Contester ce point serait complètement idiot. Mais se focaliser sur ce seul élément historique, je veux dire : sur ce seul axe de l'Histoire, est un peu court. Les délires médicaux sur l'anormalité des homosexuels n'avaient pas besoin de l'Église. Les aspirations positivistes et le goût des classifications suffisaient.
Qu'il y ait, dans l'épiscopat, une certaine hypocrisie vis-à-vis de l'homosexualité, comme de la sexualité en général, n'est pas douteux. Mais, en l'espèce, il ne s'agit pas tant de cela que de définir l'ordre de la relation au mariage, jusques et y compris, dans sa définition administrative. L'invocation du mariage pour tous (2) fait sourire, quand l'institution qu'il représente se détermine d'abord dans une perspecive familiale et de protection de la progéniture (et les homosexuels ne peuvent pas avoir d'enfant, c'est un fait). Sur ce point, il aurait déjà fallu que les progressistes analysent de quoi étaient faits les textes du Code Civil. Les évêques ne vont même pas aussi loin dans la critique, et c'est un grand tort. Ils s'en tiennent à la seule contestation (très rétrograde, non?) de la famille, avec un père et une mère...
C'est pour cela qu'on leur tombe dessus à bras raccourcis. Encore ont-ils, eux, le courage d'afficher leur position ! Car, l'une des plus remarquables abérations du moment, c'est le silence des autres confessions monothéismes, lesquelles ne peuvent, sur ce point, qu'être en accord avec les catholiques. Faut-il, en effet, penser que le silence du Consistoire juif, du CFCM et des autorités protestantes a valeur de consentement ? Il est bien curieux que ces institutions, si chatouilleuses sur leurs prérogatives, si regardantes sur les pratiques que l'on encadre quand elles entachent l'espace public d'une expression ostentatoire de l'appartenance religieuse, il est bien curieux que, sur ce point, elles se taisent toutes. Bizarre, vraiment, que les intégristes de ce coin-là, qui ne manquent jamais de rappeler ce que Dieu, ses prophètes et ses commenteurs ont dit, écrit, prescrit, ne viennent sur le devant de la scène nous avertir qu'il y a là une loi scélérate, indigne et tout à fait contraire aux préceptes religieux. On devrait leur savoir gré d'avoir ainsi modéré, voire changé, leur position. Il est évident qu'il n'en est rien. C'est d'ailleurs, par exemple, parce que le rejet massif de l'homosexualité par les jeunes maghrébins est un fait que certains s'inquiètent du glissement nationaliste, voire d'extrême-droite, d'une frange de la communauté gay.
De fait, il est bien agréable, et facile, de voir la hiérarchie catholique monter en première ligne et de faire que les éternels geignards du minoritaire (en particulier ceux qui voient de l'islamophobie partout : CFCM en tête) puissent se taire sans montrer qu'à leur tour ils pourraient désigner d'autres minoritaires. Le choix catholique a au moins le mérite de la clarté et de l'honnêteté. Il se définit dans la plénitude d'une position affichée qui n'exclut en rien le dialogue avec les homosexuels. La question du mariage est épineuse mais, au moins, devant une loi qui lui semble contestable et dangereuse, monseigneur André Vingt-Trois ne fait pas semblant. Il ne cherche pas à s'attirer les bonnes grâces de la doxa ambiante ; il ne cherche pas à feindre et à tromper ; il ne se cache pas. Il choisit le choc frontal. Sans doute parce que la position qu'il défend est plus importante que l'estime temporaire d'une médiatisation qui voudrait à tout prix la modernité. Il est seul à prendre cette voie, au risque d'enfoncer un peu plus l'Église catholique dans la crise, au risque de donner du grain à moudre à ceux qui voient en lui l'incarnation du mal.
Ces derniers font un calcul petit, minable et dangereux. Trop contents d'avoir l'adversaire qu'ils s'étaient choisis depuis longtemps, et lui seul, car les autres sont tapis dans l'ombre, ils pavanent. Ils seront heureux de brandir la loi, une fois qu'elle sera votée, heureux et heureuses de pouvoir être comme tout le monde, marié(e)s, et d'avoir, dans les grandes largeurs, niqué les cathos... Ils se trompent, et lourdement...
(1)Creux, quoique assez efficace, si l'on en juge par certaines évolutions visibles dans les institutions. Il est dès endroit, aujourd'hui, où le minoritaire est un universitaire hétérosexuel. La cooptation existe aussi chez ceux qui hurlent à la ségrégation. La revendication homosexuelle est aussi une réalité et il est des milieux où elle forme un rempart entre les admis et les refusés. C'est un fait. Le dire n'induit en aucune façon que l'on soit homophobe. Encore faut-il alors souligner que, dans le monde homosexuel aussi, il existe des différences de classes : l'homosexuel du Marais peut vivre, assumer, revendiquer, voire exclure, quand celui de la banlieue de Seine-Saint-Denis est obligé de se cacher, de prendre ses choix comme une tare, et de se taire. On aimerait qu'il eût un peu plus de solidarité sur ce plan. Or, ce n'est pas avec un Gay Pride à l'esprit petit bourgeois qu'on a des chances d'y arriver.
En vertu de ce principe, d'ailleurs, Anne Lafetter dans Les Inrocks écrit, le 17/01/2012, au sujet du livre publié par l'ancien président d'Act-Up, Didier Lestrade :
«Un hétéro n’aurait pas pu écrire Pourquoi les gays sont passés à droite. Discriminatoire aurait-on dit, voire homophobe.» Un tel aveu est consternant, et doublement : a)il fait le constat d'un état de terreur dans le droit de penser b)il marque l'approbation par celui qui fait ce constat de cet état de terreur du bien fondé de cet état. La boucle est bouclée. Comme quoi il est toujours intéressant de fouiller les poubelles de ceux que l'on combat...
(2)La formule a des airs de slogan publicitaire. Le mariage pour tous, c'est plus facile, quand on sombre, comme les socialistes, dans le libéralisme intégral, que la dignité pour chacun, un toit pour chacun, un travail pour chacun. Privilégier le pluriel devant le singulier est un moyen rhétorique classique pour cacher la misère de sa pensée et pour placer celui qui conteste en position de méchant réactionnaire bridant les aspirations et l'épanouissement des citoyens...
Photo : Reuters