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féminisme

  • Pyrrhus

     

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    La dernière campagne du site adopteunmec.com ferme la boucle, en quelque sorte. Dans une stylisation de signalétiques pour analphabètes, le message se réduit à trois éléments graphiques. Le slogan est inutile. Mais, dans le fond, le message est déjà dans l'entité commerciale.

    Le dessin. Une femme, un homme, un caddie. La simplicité étriquée et redoutable du consumérisme est là, imparable. La relation (à la fois lien et récit) est concentrée dans la transformation de l'être en marchandise. Le sentiment dans sa potentialité vivante est indexée sur la pratique quotidienne de l'achat. L'autre n'a plus d'âme : il est le corps dépouillé et anonyme. Quatre traits, un cercle et tout le monde sait de quoi il s'agit. Mais s'y retrouve-t-on pour autant ? "de quoi il s'agit", dis-je, et non "de qui", parce que le "qui" supposerait une identité même partielle de l'être.Or l'identification ne vaut pas identité. La stylisation choisie n'est pas la simple réutilisation d'un code commun et pratique. La lisibilité n'est que la surface du sens. La symbolique est dans l'être décharné, défait jusqu'à l'os. Il est là sans y être.

    Dès lors, sa place est effectivement dans le caddie, comme un paquet de lessive. Il n'est que le signe opératoire de l'action. Il est l'acheté, et incidemment, par le biais d'un jeu de mots facile, "l'à jeter" immédiat, ou selon les règles de l'obsolescence qui organise la vie des choses.

    Le "mec" tombe à la renverse, dans l'escarcelle de la belle qui a jeté (encore...) son dévolu sur lui. Or, il est un peu abusif de la présenter comme une "belle" (de jour ou de nuit...) quand elle n'est plus qu'une ménagère (de moins de 30 ans ?) réglant ses affaires de cœur, ou de cul, selon le protocole, et ses implications morales, de la consommation.

    Pourquoi pas au fond ? On pourrait dire qu'à la logique domjuanesque de la conquête (1), virile et libertine (2) se substitue celle, anonyme, de l'achat, féminin et aliénant. On ne peut pas dire que dans l'histoire, les femmes en sortent avec une image revalorisée. Mais il ne semble pas que les féministes se soient insurgées outre mesure devant cette campagne. Sans doute y ont-elles vu l'expression de leur revanche bas-bleus, parce que l'important est de ne pas être dans le caddie mais de le pousser. C'est oublier que le processus d'inversion ne signifie pas que les rapports de pouvoir aient eux-mêmes subi un bouleversement profond. Dans la relation du maître à l'esclave telle que l'envisageait Hegel, la mort de l'esclave signait la victoire du maître, la mort du maître celle de l'esclave, mais dans la disparition des deux, c'est le maître qui gagne symboliquement. Je crains que la présente affiche ne soit qu'une illustration de ce cas de figure. À vouloir se prouver qu'on décide de la situation, on finit par se soumettre à la dite situation.

    Mais, objectera-t-on, les féministes ne sont responsables de l'affiche. Certes. C'est une entreprise commerciale qui, pour lancer des boutiques, joue le décalage et veut faire le buzz avec des vitrines en clin d'œil du fameux quartier rouge d'Amsterdam. On en revient toujours à cette illusion de l'inversion. "Il faut que tout change pour que rien ne change". On connaît la chanson depuis Le Guépard de Lampedusa. Rien de réjouissant.

    En revanche, on peut s'attarder sur le processus idéologique qui a pu ouvrir à de telles absurdités, c'est-à-dire comment l'apparence d'une libération féminine se retourne en dérision sexiste (dont personne ne s'émeut d'ailleurs. Aucune ministre pour venir au secours des hommes... (3)). Quand ces revendications, dont la légitimité pour partie est incontestable par ailleurs, prennent place dans un processus plus large de libéralisation de la société et qu'en clair l'émancipation, comme ligne politique, se confond progressivement avec l'outrance libérale réduite à sa dimension économique, il ne faut pas s'étonner que de méchants commerciaux et de vilains communicants appliquent avec une certaine ironie les diatribes enragées des féministes les plus ferventes. Si l'on veut s'y arrêter deux secondes, cette campagne met en scène la revanche voulue par certaines depuis les années 70. Pourquoi pas, là encore ? C'est une possibilité dans l'évolution des rapports sexués et sociaux. Mais il faut alors prendre conscience de quoi on parle, sur quoi on s'appuie. S'agit-il de refaire le monde ou d'obtenir une parte du gâteau ? Si les mouvements qui prônent l'égalité se contentent d'une logique de substitution comptable (4), l'espoir que les choses changent s'amenuisent. Pire encore : c'est un des moyens les plus efficaces de l'ultra-libéralisme pour intégrer, digérer et donc neutraliser la contestation. Plus que d'autres, les féministes, parce qu'elles ont été, dans leur stérile posture de minoritaires, des agents spectaculaires d'un monde ouvert sur le marché pour tous et partout, doivent se sentir responsables qu'une telle campagne puisse s'étaler sur nos murs et nos Abribus. Marx était de trop sans doute...

    Cette histoire sans paroles est, dans sa forme, dérisoire et brusque. Le mouvement du caddie fait que on ne se rencontre pas, on se percute, on se heurte. Les rapports d'intérêt se doublent d'une précipitation propre à l'époque. À l'opposé de ce caddie si peu romanesque, on pense à la manière gauche d'un Frédéric Moreau subjugué par l'apparition de Marie Arnoux, jusqu'à ce que "leurs yeux se rencontr[ent]". Sublime hésitation vraie de l'être face à un autre, sans la moindre médiation. Face à face, sans écran, sans formulaire, avec tout le risque qu'il y a de tomber amoureux sans être sûr de rien. Un autre monde. Un monde perdu, peut-être. Pas celui du site que nous venons d'évoquer...

     

    (1)Relire la longue tirade de Dom Juan à Sganarelle dans la pièce de Molière (Acte I, scène 2)

    (2)Dans l'acception complexe de cet adjectif au XVIIe siècle.

    (3)Ce dont je leur sais gré, pour être franc, parce qu'il y a des défenseurs dont on ne s'honorerait pas, et les jupons gouvernementaux sont si nuls (comme leurs congénères masculins) que leur silence seul est un bonheur.

    (4)N'est-ce pas ce qui fonde l'argumentaire débile de la parité ? Posture qui a au moins l'intérêt de démontrer que "l'autre manière de faire de la politique grâce aux femmes", dont on nous a rebattu les oreilles, est une escroquerie (pourtant prévisible).

     

  • Politique de la teuf

     

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    Parmi les plus belles escroqueries intellectuelles du XXe siècle, laquelle escroquerie continue joyeusement en son suivant, il y a cette idée magique que la féminisation du monde politique humaniserait, adoucirait, et a fortiori, valoriserait l'exercice du pouvoir. Les exemples de Golda Meir, de Margaret Thatcher, d'Indira Gandhi devraient suffire, d'un point de vue rationnel, à mettre fin au mythe (1). Il  n'en est rien cependant. La loi sur la parité et les discours émus sur les ascensions des femmes au pouvoir entretiennent l'illusion.

    Il fallait voir les couillons parisiens exulter à l'élection de l'égérie socialo-bobo, Anne Hidalgo, pour désespérer de la lucidité politique de l'électeur moyen (vraiment très moyen). Il est vrai que, pour sa défense, l'alternative était consternante. Hidalgo ou NKM ? La démocratie du vide (ou par le vide, je ne sais).

    Donc : une femme à l'Hôtel de Ville. Une révolution, une bouffée d'air frais. Paris sera toujours Paris, à la fois rebelle et enjouée. On peut y mettre tout ce qu'on veut, selon votre bon plaisir.

    La nouvelle reine a su s'entourer, mieux que quiconque puisque c'est une femme politique. En atteste le choix de son premier adjoint, Bruno Julliard. Bruno Julliard, pour qui ne connaît pas, est le énième leader syndical étudiant, n'ayant pas décroché son master 2 au bout de sept ans de fac assidus, le énième apparatchik (après Désir, Dray, Assouline, Isabelle Thomas) à faire de l'agitation universitaire un tremplin pour se gaver ensuite dans les ors municipaux, voire ministériels. Petit roquet frondeur de trente-et-un ans, il traîne son air mélancolique et décalé sur les plateaux télé. On le croirait sorti d'un film de Despléchin, ce qui n'est pas peu dire. 

    Bref, il est premier adjoint (un peu comme le Prudhomme de Verlaine est juste milieu) et ce sont ses attributions qui font sourire. Vu la situation économique, et pire encore à Paris : le logement et un certain déséquilibre social (doux euphémisme), l'électeur parisien aurait pu croire que ce serait là le domaine de compétence de celui qui, potentiellement, et en cas de malheur, pourrait succéder à la Reine Mère. Mais le logement, le social, l'économique, voire l'écologique, c'est chiant ! Et le chiant, ce n'est pas Paris. Ainsi notre olibrius est-il

    Premier Adjoint à la Maire de Paris, chargé de toutes les questions relatives à la culture, au patrimoine, aux métiers d’art, aux entreprises culturelles, à la "nuit" et aux relations avec les arrondissements

    En clair, c'est d'abord le clinquant, le festif (si cher à Philippe Muray), le poudre-aux-yeux, la visibilité extérieure, la satisfaction bobo, le csp+, voire ++, qui sont visés. Vous pensiez qu'elle était là pour les pauvres et qu'elle ferait du social. Gros Jean comme devant. Paris n'est pas faite pour les misérables et la populace ; la vitrine française est destinée à nos amis du monde entier. Son identité œuvre au bonheur des riches Chinois, Américains et autres Russes ou Japonais. C'est, pour adapter l'image immonde d'Attali, un hôtel de luxe. C'est d'ailleurs à cet effet que la maréchaussée s'active dans les beaux quartiers et aux alentours des rues les significatives du prestige parisien (mode et bijouterie). Le sieur Julliard, gauchiste universitaire, fait désormais dans le toc, le chic, le glamour et l'international...

    Ajoutons que le glissement de la "culture" aux "entreprises culturelles" signe le passage du savoir et de la conservation du passé à sa dynamisation économique par les sons et lumières, le spectacle vivant et autres balivernes modernistes qui font des lieux contemporains des sortes de Puy du Fou perpétuels...

    Mais la cerise sur le gâteau est évidemment cette "nuit" qui, même avec des guillemets, nous fait sourire. La "nuit"... Quelle nuit ? La nuit des Folies Bergères, du Crazy Horse ? quelle nuit ? celle des backrooms du Marais, des teufeurs avec le nez plein de coke ? Quelle nuit ? celle des apéros minables le long du canal Saint Martin, celle de la rue Saint-Denis, celle du Panic Room  ?

    Nuit fort éloignée de celle vécue par ceux qui mériteraient d'être les premiers soucis d'une politique de gauche (mais disons : d'une politique tout court). Nuit bien peu baudelairienne, quand le poète évoque la souffrance dans son Crépuscule du soir.

    Recueille-toi, mon âme, en ce grave moment,
    Et ferme ton oreille à ce rugissement.
    C'est l'heure où les douleurs des malades s'aigrissent !
    La sombre Nuit les prend à la gorge ; ils finissent
    Leur destinée et vont vers le gouffre commun ;
    L'hôpital se remplit de leurs soupirs. - Plus d'un
    Ne viendra plus chercher la soupe parfumée,
    Au coin du feu, le soir, auprès d'une âme aimée.

    Mais n'est-ce pas là trop de sensiblerie, trop de féminité, quand il faut, pour mater la capitale, une poigne de fer et une ambition qui, elle, n'a pas de sexe ?

     

    (1)Mais l'histoire plus ancienne n'est pas en reste, si l'on pense à Mary 1re (pour laquelle on créa plus tard le bloody Mary, pas moins), à Isabelle de Castille, à la grande Catherine de Russie,  ou à Élisabeth 1re. 

     

    Photo : Brassaï

  • Comment on nous a disputé... (notre vie sexuelle)

    La semaine dernière, la mare au canard médiatique est entrée en agitation parce que 343 salauds (ainsi se désignent-ils) avaient signé un texte attaquant le projet de loi du gouvernement sur la pénalisation des clients ayant recours à la prostitution. L'affaire était à la fois gonflée à l'hélium journalistique et symptomatique d'une évolution plutôt gênante de la société et de son contrôle...

    Commençons par l'acte lui-même. 343 salauds, donc, qui manifestaient par l'écriture pour crier "Touche pas à ma pute !". Il y avait donc double ration de démarcation-citation, de clin d'œil, de pastiche et d'ironie. Au cas où nous n'aurions pas compris. Il y a là un petit côté postmoderne qui étonne. C'est d'autant plus curieux de la part de certains des signataires qui se voudraient redonner du sens devant la dérive amorcée dans l'ordre du langage. Le double écho sonne malgré tout comme une facilité un peu beauf, exaspérante, comme le revers, le pendant du féminisme creux, moralisant de l'époque contemporaine.

    C'est croire qu'en usant des mêmes recettes (concept médiatique essentiel pour structurer désormais le message), on dit la même chose ; c'est imaginer que le monde n'a pas changé alors même que l'évolution/dégradation est au cœur de ce qui alerte les signataires. Les contestataires du nouvel ordre moral auraient voulu passer pour des crétins qu'ils ne s'y seraient pas mieux pris. Le "touche pas à ma pute !" serait une amusante gauloiserie si elle avait servi un humour de comptoir. En jouer comme d'une pied de nez à la logorrhée de l'idéologie anti-raciste qui fait passer Jean-Philippe Désir et consorts pour des philosophes, c'est carrément débile. Je l'ai déjà écrit au sujet de Ni putes ni soumises, on ne construit pas une argumentation avec la langue de l'ennemi. La tentation du jeu de mots doit rester aux humoristes, sans quoi on tourne la politique en galerie d'histrions, ce qui ne manque pas d'arriver avec le règne consternant de la petite phrase, cette rhétorique de poche pour temps incultes. "Touche pas à ma pute !" moque moins Désir et ses amis qu'il ne salit la prostituée. Si pour les signataires, celle-ci est une pute, une pute pure et simple, ils ont vraiment beaucoup, beaucoup d'élégance.

    Néanmoins, ce manifeste, dans toute sa maladresse de boutonneux revendicatifs, soulève sur le fond et dans les réactions engendrées des interrogations. 

    Sanctionner le client... Pourquoi pas... Faire que le sexe tarifé devienne un délit pour celui qui veut en jouir, c'est une idée comme une autre. Un peu grotesque sans doute... Encore aimerions-nous alors que cesse la double hypocrisie de l'État. État qui impose le revenu des prostituées, par exemple. État curieusement défaillant quand il s'agit de régler leur compte aux réseaux mafieux qui alimentent une prostitution d'abattage sordide. Cet aveuglement laisse pantois. Mais sans doute est-ce pour participer à la mythologie littéraro-policière de la pute comme indic ou figure obligée des mondes interlopes qu'on trouve dans les grandes villes (tout le monde à la relecture des romans des XIXe et XXe siècles. Pour le XVIIIe, c'est autre chose : un érotisme plus drôle, un jeu plus joyeux...).

    Les féministes, à commencer par l'amusante Vallaud-Belkacem, ont laissé cette double problématique à la porte. Elles révèlent ainsi ce qu'est leur fonds de commerce. Il n'est pas social ou politique : il est symbolique. Jacassantes bourgeoises, nourries au lait des gender studies et autres absurdités minoritaires comme neutralisation du social, elles n'ont qu'un ennemi, un seul, facile à identifier et à vilipender : le mâle hétéro européen. La condition des femmes, dont elles se prévalent, prend pour elle sens dans le désir ardent d'une revanche ancestrale incarnée par le grand Inquisiteur colonial, machiste et (accessoirement ?) caucasien. On aimerait penser que madame Vallaud-Belkacem, qui fut jusqu'en 2011 membre d'un comité conseillant le roi du Maroc, a œuvré avec succès pour l'émancipation de la femme marocaine. Il semblerait, aux dernières nouvelles, que le chemin est encore long dans le royaume de Mohammed VI, et qu'elle ait échoué, là comme ailleurs (1).

    Son argumentaire pour contrer cette fronde masculine, fut d'ailleurs assez légère. Revenant sur le parallèle avec l'appel des 343 salopes de 1971, elle rétorqua qu'alors des femmes se battaient pour disposer de leur corps, quand ces hommes-là revendiquaient le droit de disposer du corps d'autrui. Petit retournement auquel certains répondraient que :

    a-l'avortement peut aussi être vu comme le droit de disposer du corps d'un autre (l'embryon) (2)

    b-les signataires ne parlaient pas d'autre chose que de relations tarifés avec des adultes consentantes.

    Cette façon de vouloir régenter les droits et les devoirs de la personne, selon une géométrie idéologique qui n'a fait l'objet d'aucune discussion publique sérieuse, est insupportable. Il n'est pas de l'autorité de l'État d'ainsi organiser ma sexualité d'adulte à adulte, sinon dans les limites qui porteraient atteinte à l'intégrité d'autrui. Faire du client des prostituées (3) un délinquant quand la bourgeoisie gay va se voir offrir bientôt les moyens de louer des ventres et d'alimenter à un trafic (légal ?) de conception d'enfants est proprement abject.

    j'imagine bien que ces mêmes intransigeants doivent regarder avec sévérité la pornographie. Il n'y a pas de raison qu'ils ne désirent pas pendre haut et court les vilains messieurs fantasmant (ou ayant fantasmé) sur Claudine Beccari, Tori Welles, Tabatha Cash ou Sasha Grey (4). Hélas pour eux/elles, le temps béni des cinés pornos est fini depuis longtemps : ils ne pourront nous guetter à la sortie des séances... Nous avons tout désormais à porter de télécommandes. Il leur faudrait  donc investir nos salons ou nos chambres, à moins qu'ils ne tentent, et ce serait là un vrai courage politique et économique, d'interdire les sites et les chaînes du X (5).

    En fait, tout cela, c'est de la poudre aux yeux politiques et un vrai combat symbolique et civilisationnel. Le mâle hétéro est une figure qui plaît aux féministes nouvelle mouture. Il leur donne l'impression d'exister et de penser. Ce qui s'identifie simplement et cristallise les affects est idéal pour la non-pensée. Elles y mettent un tel acharnement que cela en devient risible. Un rêveur aurait souhaité qu'elles en usassent avec d'autres comme avec celui-ci. Par exemple : que les déclarations ignominieuses de Pierre Bergé sur les mères porteuses fissent se lever comme un seul homme (je plaisante) ces consciences alarmées, guettant la discrimination et le mépris envers les femmes. Il n'en fut rien. On se demandera naïvement pourquoi elles ne trouvèrent rien à y redire.

    (1)Là comme ailleurs, en effet, si l'on veut bien prendre pour un échec sa couardise électorale qui la fit renoncer à briguer un siège de députée en juin 2012... Trop d'incertitudes et le risque de perdre sa prébende ministérielle.

    (2)En écrivant cela, nous considérons un point de vue tenable sur le plan de la morale (puisque désormais la morale....). Je n'ai personnellement pas la moindre envie que soit remis en cause le droit à l'avortement.

    (3)On notera au passage que la prostitution masculine semble ne pas exister, qu'elle soit homo ou hétéro...

    (4)Sasha Grey, par exemple, qui plaît si bien à la littérature journalistique décalée de gauche, du type Libération.

    (5)Mais il est vrai que le porno, comme objet de consommation, s'est féminisé. En témoignent les dernières déclarations sur le sujet de Scarlett Johansson.

  • Pour ceux et celles qui...

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    Pour ceux et celles qui veulent un pape rose...

    Pour ceux et celles qui n'en veulent même plus...

    Pour ceux et celles qui bouffent du curée sans avoir lu au moins un évangile...

    Pour ceux et celles qui trouvent que les seins nus à Notre-Dame-de-Paris, c'est juste une plaisanterie...

    Pour ceux et celles qui voient de l'islamophobie partout...

    Pour ceux et celles qui s'extasient devant le printemps arabe...

    Pour ceux et celles qui trouvent que l'Occident est sexiste, machiste et rétrograde...

    Pour ceux et celles qui veulent qu'on fournisse des armes aux rebelles syriens (comme on en a fourni aux rebelles lybiens)...

    Pour ceux et celles qui ont le colonialisme comme seule explication du monde contemporain

    Pour ceux et celles qui n'ont jamais rien lu de Tariq Ramadan et ne veulent pas s'en inquiéter...

    Pour ceux et celles qui devraient lire Abdelwahab Medded et Abdennour Bidar... 


    le refus des Frères Musulmans d'Égypte (dont est issu  l'actuel président, le sieur Mohamed Morsi) de souscrire au texte de l'ONU fondé sur le principe d'égalité entre les hommes et les femmes...

    C'est sur Slate Afrique.


    On trouve aussi l'information sur Le Figaro.fr. mais rien ni dans Le Monde ni dans Libération. Peut-on s'en étonner ? La question de l'embaumement impossible de Chavez est pour eux autrement plus cruciale...


    Photo : Zoubeir Souissi/Reuters.

  • XX

     

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    Que les petits provinciaux, les misérables de l'outre-périphérique ne l'oublient jamais : Paris est éternel, Paris sera toujours Paris, avec un temps (que dis-je : une éternité) d'avance. Elle était la capitale du XIXe pour reprendre les mots de Walter Benjamin. Son étoile ayant légèrement pâli, elle reste le phare hexagonale. Elle ouvre la voie.

    Pour l'heure, elle nous susurre, dans une parodie toute malrucienne, que le XXIe siècle municipale sera féminin ou ne sera pas. Et nous, perdus en nos communes, nos hameaux ou nos lieux-dits, n'aurons pas le bonheur parisien de voir des femmes, des femmes, et des femmes, descendre dans l'arêne politique pour nous offrir le meilleur. 

    Qu'on fasse un temps l'estimation de ce qui attend l'électorat capital : Anne Hidalgo, Nathalie Kosciusko-Morizet, Rachida Dati, en attendant la sémillante Cécile Duflot. Autant dire un florilège d'intelligence, de réflexion et de grandeur. Il manque Roselyne Bachelot (ou Marie-Goerges Buffet, ou Marielle de Sarnez) pour que nous puissions parler d'un cinq de départ éblouissante, comme dans une équipe de basket.

    Pourquoi parler d'équipe, quand nous évoquons, logiquement, des adversaires, des rivales sans pitié et sans merci ? Parce que leurs différences sont si ténues qu'on se demande ce qui justifie un tel affrontement ? On dirait un défilé pour bobos de gauche. C'est à ce point risible qu'on en vient à penser que c'est le silence devant ce risible qui intrigue et qui donne à l'événément tout son piquant.

    Cette effervescence d'ardeur politique féminine éblouit les donneurs de leçon en matière de démocratie. J'entends : les mesureurs de santé publique et politique à l'aune de la terreur gender studies. Le dynamisme est femme ; la respiration démocratique se mesure au tailleur et au rimmel, qu'on se le dise une fois pour toute. Françoise Giroud avait ce mot savoureux : "l'égalité, c'est quand on nommera une femme pour son incompétence" (1). Vu sous cet angle, on peut légitimement penser qu'on avance à pas de géants. Ce sont pour le coup des enjambées à la Rabelais ou à la Swift.

    Se moquer de cette bataille en jupons (ou en jeans : l'affaire est encore en discussion. Tout dépendra de l'engagement de Cécile Duflot. Soit le classique, un peu guindé -mais pas trop- sans elle ; soit le destructuré revival hippie, avec elle) est d'un mauvais goût certain. Je suis de mauvais goût. Passablement sexiste, machiste, rétrograde. Si on veut : je prends tout. Au bout d'un moment, cela n'a plus d'importance. Néanmoins, il est raisonnable de se poser une question plus sérieuse.

    Lorsque l'ordre des représentations ne fait qu'inverser un état antérieur, ne tombe-t-on pas dans le grotesque ? Entendons par grotesque cette forme de représentation théâtrale que les Anglais connaissaient avec Shakespeare et que les romantiques, Hugo en tête, ont exploité au XIXe siècle. Grotesque, en ce que le mélange des genres, l'excès communicationnel, le va-et-vient entre la volonté de discours sérieux et l'impossibilité de ne pas jouer un numéro de charme, tout cela nous fait penser à la pesanteur des gros gâteaux du romantisme boursoufflé. La manière dont ces dames ont commencé à débattre relève plus crépage de chignons que de la dialectique idéologique. Les quelques échos que j'en ai eus faisaient penser à une querelle de lavandières. Et sur ce plan, pas moyen de faire mieux que Goldoni.

    Pourquoi ainsi parler de théâtre ? Pourquoi ne pas se gausser avec la même vigueur de l'affrontement fratricide -deux clônes, imaginez- entre Fillon et Copé ? Sexisme masqué ? Indulgence masculine ? Esprit de corps, en quelque sorte ? Nullement. Il est simplement normal, sain et raisonnable d'évaluer la nouveauté, le changement, l'évolution, pour tout dire : le progrès, qu'on nous a promis et vanté. Cet inévitable progrès, sans quoi il n'y aurait pas de marche vers des temps meilleurs.

    Depuis 68, on nous bassine avec ces espérances de la féminité, féminité posée comme une sorte de synthèse de l'humanité bienveillante et douce ; depuis 68, on confond l'émancipation des femmes (et tant mieux, il n'y a rien à redire là-dessus) et une lecture génétiquement douteuse de la féminité bouclier contre la prédation masculine. Les hommes ont fait l'Histoire, la violence, les massacres et tout le tintouin. D'accord. Est-ce une raison pour croire que le bouleversement des sexes induit un changement radical des comportements, des idéologies politiques et réduit la noirceur phallique dans une sorte de candeur vaginale ?

    Le ridicule de cet éblouissement féminin avait commencé dans les années 70-80 quand on faisait se tordre rire l'étudiant de lettres que j'étais avec l'aporie de l'écriture féminine, laquelle reste, d'un point de vue stylistique, une énigme : j'attends encore une lecture à l'aveugle d'extraits pour m'expliquer la détermination sexuée des pages soumises à la lecture. Certain qu'on arrivera à la même escroquerie que dans le domaine de l'œnologie. Ici, ce n'est pas le flacon qui fait l'ivresse, mais l'étiquette. Après la littérature (2), la politique. Et de nous servir le plat d'une différence dont on attend toujours les effets. Les femmes, ou une manière différente de faire de la politique. Vaste escroquerie...

    Glosons un temps sur le concept de différence avant de revenir à nos parisiennes. Celle-ci, qui procède en partie d'une analyse structuraliste du monde (la pertinence, de Saussure et Jakobson), est un pis-aller en la matière. On confond le sexe avec une philosophie essentialiste dans laquelle la différence, c'est toujours le mieux, le plus. On oublie au passage que la différence est devenue au fil du temps une ressource communicationnelle, un gimmick pour agence de pub (3), un credo pour représentants de commerce.

    Alors, la différence des femmes ? Plus d'opportunisme ? Plus de stratégie ? Plus de reniements ? Plus de compromissions ? Plus de violences verbales ? (4)

    Nos parisiennes, nos parisiennes... Des dents à rayer le parquet pour toutes, jusqu'à la caricature en ce qui concerne Hidalgo et Dati. Chez Duflot, aussi, mais avec ce petit air "dites les filles, vous avez, ministre, je suis, les filles" qu'elle pousse à l'extrême. C'est, de très loin, la plus ridicule du quatuor. Reste NKM. Réduction à l'acronyme. Un équivalent en jupons de DSK, ou bien une marque, comme BMW, NHK ou KTM. Ça claque, ça sonne. Éventuellement porteur...

    Sa médiocrité ministérielle fut grandiose, sa nullité électorale plus grandiose encore (5), pendant une présidentielle où elle avala coulœuvre sur coulœuvre... Mais, dira-t-on, ce n'était pas elle. Elle n'était pas vraiment libre de ses mouvements. Alors, regardons faire cette différence féminine-là, dans sa conquête de la mairie de Paris. Ayant compris qu'il n'y aurait en ce lieu nulle victoire sans être gay friendly (selon les commentaires de sa copine Bachelot qui s'inquiétait de ce que la bonne et sérieuse Nathalie allait décider quant à son vote sur le mariage pour tous), elle a choisi de s'abstenir. Oui, s'abstenir, au motif qu'elle est pour mais contre la MPA et la GPA. Comme si l'un ne pouvait pas immanquablement procéder de l'autre. En clair : ne pas aller dans le camp d'en face, pour ne pas choquer son électorat de base ; ne pas rester dans une opposition radicale, pour qu'on ne lui rétorque pas le moment venu qu'elle n'était pas assez ouverte... L'abstention donc. Ce qui, sur un sujet aussi crucial, relève de la bêtise absolue. Ab-so-lue et méprisable. Pour le coup, j'ai infiniment plus de respect pour Benoït Apparu qui a choisi de voter le texte. NKM, c'est le cynisme au rouleau compresseur. Mais c'est une femme : il faut y voir une subtilité dialectique là où, pour un homme, on ne verrait qu'intérêt politicien (6)...

    NKM a fait preuve, en quelques jours, pour un projet qui ne concernait qu'elle, devenir maire de Paris, pour une perspective qui ne mettait en jeu que son ego, d'une fourberie dont je ne dirai jamais qu'elle est féminine, parce que je ne dirai pas non plus qu'elle est masculine. L'ambition et l'art du louvoiement n'ont pas de sexe, comme la médiocrité. Tel est l'enseignement de ce jeu d'hypocrites auquel les parisiens seront conviés.

    Entre hommes ou entre femmes, la belle affaire. Un leurre de plus dans l'arêne politique ; une distraction de plus dans la marre médiatique. Cela servira seulement à faire vendre de la feuille, à faire bavasser les politologues et les sociologues qui y verront un signe indubitablement de changement, d'évolution, de maturité, de renouveau, de grandeur, d'apaisement, de conformité avec l'espace du réel, d'adéquation avec la vitalité sociale, d'écoute nouvelle, de mutation sociologique, de bouleversement dans les instances décisionnaires,... Bref : à vous d'imaginer.

    Qui n'a pas compris la beauté de la chose est un être obtus, diront ceux qui nous vendent ce nouveau féminisme comme une porte de sortie à la catastrophe ambiante. Force est pourtant de constater que la seule vertu de la parité gouvernementale, et nous en sommes redevables à la présidence Hollande, est d'avoir démasqué ce mythe de la femme politique, cette aporie de la différence. Le nombre aurait fait apparaître une médiocrité (de Delaunay à Bertinotti), une prétention (Filipetti) et une arrogance (Vallaud-Belkacem) qui n'est ni plus ni moins le reflet d'un comportement politique que nous connaissions du temps où l'État était une affaire d'hommes.

    Il n'est pas interdit de continuité dans cette voie. Je n'y trouve nul inconvénient, étant donné que le problème est ailleurs. Non pas dans la détermination des genres mais dans l'élaboration des politiques. Or, la féminisation de la politique correspond étrangement au triomphe de l'ultra-libéralisme et à la vacuité décisionnaire de ceux qui prétendent nous gouverner. De fait, les femmes qui sont aujourd'hui au pouvoir non seulement ne changent rien à la politique mais participent (dans le sens où elles sont le symptôme) d'un désastre plus grand : celui de la mort du politique. Il n'est pas question de prôner le retour à un ordre ancien, à une sorte d'archaïsme patriarcal qui sonnerait comme le signe des temps heureux. Ce billet ne défend pas l'homme, comme il n'attaque pas la femme. Il signifie seulement que le discours autour des sexes et de la politique est une fumisterie, qu'elle est un écran de plus pour ne pas aborder les questions de fond : quelle politique ? quelle société ? quelle misère ? quelles solidarités ? quels partages ?

    Pour l'heure, la parité politique et ses effets accompagnent fort bien la décomposition sociale et l'accentuation de la paupérisation. Je ne suis pas sûr que les femmes d'en haut s'en préoccupent beaucoup, trop occupées qu'elles sont à leur plan de carrière.

    Certainement : sur la question des femmes en politique comme une nouvelle ère, je resterai obtus et dédie ce petit billet à Laurence Parisot.


    (1)Ce que prouve la récente nomination de Ségolène Royal comme vice-présidente de la BPI par l'ami socialiste Jean-PIerre Jouyet, copain de promo à l'ENA de l'homme normal. Bel exemple de république bananière...

    (2)Précisons qu'il en est des femmes-écrivains comme du reste : du pire et du génial. Au choix, Katherine Pancol et Amélie Nothomb pour la catastrophe, Marguerite Yourcenar ou Virginia Woolf (mais il est vrai que la sublime Virginia avait par avance cloué le bec aux bavardes qui nous faisaient la leçon. Il suffit de lire Une Chambre à soi, où elle place d'abord la question sur le plan économique, c'est-à-dire dans un cadre qui n'a rien d'abstrait et pseudo-philosophique).

    (3)"France-Inter : écoutez la différence", il y a quelques années.

    (4)Subversité de la langue. Le "plus" compris, selon l'envie, comme une négation ou une exagération.

    (5)Sans esprit partisan : on se demande comment Sarkozy a pu penser un seul instant faire campagne avec un porte-parole aussi insipide...

    (6)C'est sans doute en fonction de ce même paramètre que l'on est si indulgent avec Marisol Touraine, ministre de la santé, qui fut inexistante et silencieuse dans le désastreux épisode des pillules des troisième et quatrième générations. Elle était beaucoup plus en verve quand il s'agissait de se placer dès l'automne dans la course à la succession de Jean-Marc Ayrault...


    Photo : Renaud Allirand

  • L'habillage d'une escroquerie

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    Depuis le 27 juillet, c'est la fête du slip (de bain), du short, du plastron, de la culotte (de cheval), du kimono, à Londres, mais aussi all over the world. Nous sommes partis pour une quinzaine d'émotion, de moments historiques, de tension, d'incertitudes, de larmes, de sueur. Il ne manque que le sang, et on comprend dès lors que le sport est la guerre sous une autre forme. Non pas qu'il en soit seulement, selon un parallèle assez connu, la transfiguration pacifique, le détournement jouissif ; il est aussi associé, dans le vocabulaire, dans les prises de position politiques et journalistiques, à une radicalité où l'esprit sensé trouvera difficilement et la pureté et la beauté de l'objet qu'on nous vend comme une harmonie vers laquelle le monde entier devrait tendre.

    Sans doute voudrait-on considérer combien l'idée même de village olympique, avec ce brassage magnifique des nationalités, est une mise en abyme d'une mondialisation festive et heureuse, oubliant que ce village, ce n'est pas une œuvre en dur mais un montage aléatoire et transitoire de tentes pour quelques privilégiés. La douce entente des sportifs, leur estime réciproque, cette communauté des âmes musculeuses, tout cela ressemble étrangement à l'accord qu'on peut trouver entre les puissants de ce monde qui ne sont nullement regardant sur la couleur de leur peau et leur origine. Il faudrait que l'on cesse (mais peu de chances qu'il en soit ainsi) de nous vendre la fraternité sportive comme un modèle simple et accessible puisqu'elle fonctionne d'abord sur une sélection drastiques et une rivalité que l'on expose entre soi. Selon un parallèle qui pourra sembler déplacé, disons qu'il en va de cette caste comme des Thélémites : ils sont peuples choisis, et c'est ainsi qu'on nous les expose, que les nations les exploitent, que les politiques se glorifient de leurs victoires.

    La fête olympique est une escroquerie de plus dans un univers médiatisé. C'est une trêve dans la folie du monde : là encore, le message est simple et la volonté d'amnésie imparable. Et dans ce domaine, l'hypocrisie n'a pas de limites. Jacques Rogge, le président du C.I.O., réaffirme le soutien du mouvement sportif aux athlètes syriens. Pourquoi ? Pour leur dissidence, ou pour la capacité à courir dans un stade pendant que son pays est lancé dans une guerre civile spectaculaire (1) ? Et pourquoi seulement les Syriens, quand tant de pays dans le monde voient leurs populations brimées, exploités, asservies... Mais on comprend bien que Damas est pour l'heure le point noir qui empêche que la fête soit complète. Les faits y sont tellement graves que l'olympisme les voit comme des ombres gênantes. Alors une déclaration ne fait jamais de mal, et après on peut aller manger tranquille, distribuer des médailles et s'extasier des histoires qu'on vient de faire partager au public, la larme à l'œil et le cœur battant.

    Mais, nous répète-t-on, le sport est le moyen fort pour rapprocher les hommes, pour rompre les barrières et faire que les choses changent petit à petit. Discours convenu que des journalistes relaient à qui mieux mieux (et il est fort à parier qu'ils s'y croient, ce qui est, de loin, le pire...) : à la beauté et au mérite du sportif, s'ajoute sa puissance politique. Les intérêts multiples, les magouilles infinies, les expériences sur les athlètes, les arbitrages dirigés, démontrent évidemment le contraire. Peu importe : l'avenir du monde est dans l'olympisme (2). C'est par là, et non par le politique, le travail d'éducation, le développement raisonné, la mesure dans l'exploitation des richesses, le respect de l'être humain, que passe le sauvetage de l'humanité et l'évolution des mentalités.

    Et l'amoureux aveugle de l'épopée sportive saisit la balle au bond et nous donne un nouvel exemple. La judoka saoudienne Wodjan Ali Seraj Abdoulrahim Chaherkani devra se présenter sur les tatamis des Jeux olympiques de Londres « sans son hidjab » (foulard islamique), a annoncé jeudi 26 juillet le président de la Fédération internationale de judo. Pour la première fois, l'Arabie Saoudite présentait une athlète (3) et voilà qu'on entre d'emblée dans le vif du sujet. Les rois du tatami balancent toutes les convenances par dessus bord et contraignent les Saoudiens à plier. À première vue, le féministe devrait se réjouir. Tout cela de gagné. Mais est-ce si simple ? Faut-il y voir un bras de fer avec le wahabisme ou une simple nécessité sportive, quand dans le même temps la FIFA autorise ce même hidjab pour le football ? Faut-il croire qu'il en serait de même pour un sport dont les enjeux financiers sont autrement plus conséquents (et l'on pense aux investissements des pays du Golfe dans le football, justement) ? Et même : admettons que le choix de la Fédération internationale de judo soit motivé par une volonté idéologique en faveur des femmes. Il est alors fort consternant de voir une telle instance pouvoir imposer cette juste vue, quand des états entiers plient devant une morale aussi rétrograde. Et que nul ne vienne faire un procès à cette fédération, au nom d'un différentialisme bien compris, est, je crois, la meilleure preuve de l'illusion sportive. Si cette décision est une satisfaction pour ceux qui l'ont prise (et qui sont fort respectables), et si l'état saoudien n'a semble-t-il pas crié au scandale, c'est justement parce que sur le fond, dans le Golfe persique, rien ne change vraiment pour les femmes, les femmes du commun, pas celles que l'on fait sortir pour une Olympiade, que l'on exhibe comme le signe d'une belle santé politique. Sur ce point, seuls les soucieux de l'audimat, les vendeurs de pub, les décerveleurs audio-visuels et les politiques espérant qu'une médaille calmera les populations donnent le change, pour récupérer la mise, qui, elle, vaut bien plus qu'une breloque.



    (1)Il y aurait beaucoup à dire sur l'épisode syrien, sur les dérives médiatiques et la litanie des morts journalières, comme si une guerre se faisait avec des pistolets à eau...

    (2)Olympisme conçu par Coubertin dans des temps de bellicisme larvé, au demeurant...

    (3)En fait, il y a en deux.


    Photo : stade de Molène, Jacques Bon.




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  • La politique blockbuster

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    Fin de campagne. Dernier billet sur le sujet. Il sera bien temps après de penser à l'intérêt que cela avait et aux accrochages que cela a suscités. Pour l'heure, on se dit : dernier billet, conclusion dans le calme alors même que cela pue abondamment, que Sarkozy s'extrémise non par idéologie mais pour pratiquer la politique de la terre brûlée et faire que son camp ne s'en relève pas (et Marion Le Pen se délecte...).

    Finir en douceur une campagne âpre et ennuyeuse signifie imparablement célébrer les femmes pour trouver un peu d'espoir. Les femmes en politique sont la quintessence de la délicatesse, un autre regard, une démocratie apaisée. Du moins c'est ainsi qu'on me l'a vendu, cette équation femme politique, depuis que je suis jeune. Naïf (ou sensible) comme je suis, j'ai voulu y croire. De même, l'idée qu'avec le crépuscule sarkozyste s'achevait l'époque du clinquant et du m'as-tu-vu. Retour aux affaires (1) de la gauche. Du sérieux, de l'austère, du common man, de la madame tout-le-monde, de la modestie... La gauche, la vraie, dans toute la sincérité d'une tradition qui remonte à Jaurès et compagnie.

    C'est dans cet esprit, sans doute, que les Inrocks ont choisi de faire leur couverture sur la nouvelle garde socialiste. J'imagine que le Huron voltairien ou l'Indien de Montaigne voyant une telle photographie, à l'aveugle, déclarerait qu'il s'agit de quatre actrices réunies, à coup de fric, pour un blockbuster où l'on trouvera de l'action, du suspens, du sexe et de l'amour. On y trouve tout : le mélange cultural studies, la beauté un peu mystérieuse, la rudesse des regards, le chic retenu et le décontracté de marques. Le lecteur suppose qu'elles sont quatre sur la photo mais que le scénario a prévu que certaines s'affronteront. C'est un casting où chacune a un rôle, incarne une certaine ligne hollywoodienne, entre femme fatale et femme de tête, entre sévérité et sensualité, entre traîtrise et fidélité. L'Europe, l'Asie, le monde arabe : tout y est. Très mainstream. Les visages fermés, le sourire carnassier, le style un peu masculin et le rouge à lèvres qui claque. Toutes ensemble et déjà prêtes à s'entretuer. D'ailleurs le titre du film dit tout : Girl Power On a hâte d'y être. Pas de panique : elles arrivent, les Drôles de Dames de la rue Solférino. Et de se demander laquelle in fine terrassera les autres et trouvera l'amour dans les bras du magnifique héros dont l'affiche fait l'économie...

    Que les Inrocks tentent le coup d'une politique rock and roll n'étonne pas. C'est de leur niveau : bobos de gauche décalés et vaguement révolutionnaires du MP 3. Leur ligne d'horizon, fort basse, comme leur intelligence, ne peut guère viser autre chose. En revanche, que les égéries du PS se prêtent au jeu, qu'elles n'y voient qu'une stratégie de com supplémentaire, sans en saisir ni la puérilité (eh oui, les filles, vous ne serez jamais Uma Thurman ou Scarlett Johanson (2)) ni l'indécence, ni le déni que représente une telle posture, voilà qui consterne. Il ne s'agit pas d'être dupe : s'engager à ce niveau en politique n'est pas le fait d'enfants de chœur, de bons samaritains. Soit. Mais jouer avec les codes d'une pensée jeune (!) et illusoirement rebelle est pitoyable. Que la gauche aux aspirations moralisantes cède à la tentation n'est pas à sa gloire. Mais il y aura toujours des bonnes âmes pour m'expliquer que cela n'a absolument rien à voir avec Sarkozy et Carla, le Fouquet's, Nicolas et ses amis du show-bizz... Je ne vois pas la différence et je trouve que finir symboliquement ainsi qu'avait commencé l'histrion hystérique, c'est risible (sauf que je n'ai pas envie de rire, au fond...).

     

     

    (1)J'aime bien cette expression. Elle est savoureuse, car, dans la majorité ou dans l'opposition, quel parti politique a-t-il jamais quitté les affaires ? Ou pour l'écrire autrement : les affaires ont-elles jamais quitté les politiques ?

    (2)Je prends à dessein des exemples contemporains pour renforcer le ridicule. Il eût été infamant d'aller invoquer les mânes d'actrices authentiques...

     

  • De l'indécence...

    Ségolène Royal, que l'intelligence n'étouffe guère, et qui ignore, avec une souveraineté sidérante, la common decency, vient, dans l'épisode vaudevillesque des territoires charentais, d'ajouter une note supplémentaire au ridicule. On savait, depuis l'affaire des primaires socialistes, qu'elle était capable de toutes les manipulations. La plus grande d'entre elles consistait, défaite reconnue, à jouer la pauvre femme. Alors les larmes lui coulèrent, comme une de ces vierges magiques que la crédulité religieuse admire : battue, archi-battue, elle voulait alors que l'expression démocratique tournât à l'injustice majeure. Et pour cela, elle usa de ce subterfuge honteux de la féminité bafouée, de cet atour qui serait propre aux femmes : la sensibilité. Aux hommes la dureté impitoyable, aux femmes la délicatesse outragée. Peu importe que cela passât à la trappe la réalité historique et que ce fût une insulte aux femmes, si nombreuses, ne se reconnaissant pas dans ce stéréotype larmoyant. Il lui fallait bien cela pour masquer l'inanité de son discours.

    Ses 6 % socialistes n'ont pas entamé sa vanité ni son insolence. Battue dans le pré rose, elle a eu l'ambition du perchoir, montrant par là même qu'en certains milieux la défaite ne comptait pas, qu'elle n'était pas qu'anecdote. Hélas un médiocre charentais, de son camp, vient de lui faire mordre la poussière. Plus cruel : la compagne de son ex la poignarde dans le dos. Elle qui a tant magouillé pour maintenir sa médiocrité à flot se voit reléguer dans la charette des has been.

    Dès lors, comme à son habitude, il ne lui reste plus que la posture de l'indignation, et comme rien n'est pas jamais trop gros dans ce domaine, elle invoque non pas son statut politique mais sa situation particulière de mère. "Je demande le respect par rapport à une mère de famille dont les enfants entendent ce qui se dit..." déclare-t-elle le 14 juin. On cherche alors ce qu'il y a eu d'indécent dans les derniers jours, ce qui pourrait entacher l'honneur de la Vierge Marie-Ségolène. A-t-elle été attaquée dans ses mœurs, dans son honnêteté, dans son engagement ? On cherche et on ne trouve rien, sinon que le gueux Forlani a décidé de ne pas plier devant sa Majesté et que la nouvelle ne fait pas de cadeau à l'ancienne. Rien de quoi fouetter un chat, rien de quoi alarmer les féministes en chef ou les ligues de vertu...

    Rien qui puisse donner le droit d'invoquer la préservation des enfants, de leur honneur. Rien qui puisse nécessiter qu'ils soient préserver...

    surtout quand cette mère la vertu, moraliste et nombriliste, n'hésitait pas il y a vingt ans à faire la une de Paris-Match (quelle ironie...) à peine sa maternité accomplie...

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    En femme moderne, sans doute, efficace, les dents rayant le parquet, et ne se souciant guère du droit à l'image et à la discrétion d'un enfant qui, il est vrai, n'était pas capable de comprendre, instrument passif qu'il était, ce qu'il venait faire dans cette histoire.



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  • Camille Claudel, ce qu'on fait à la beauté

    Je me suis déjà arrêté sur cette photo de Camille Claudel pour souligner combien sa beauté me fascinait et il n'est pas question de nuancer ce premier propos. En revanche, ce cliché ouvre sur une réflexion plus large touchant à la redéfinition des valeurs que peut entraîner l'apparition aussi soudaine d'une telle image.

    La première fois que je vis ce portrait, et sans doute n'ai-je pas été le seul dans ce cas, c'était à l'occasion de la parution en poche de la biographie que lui a consacré Anne Delbée reprenant le texte publié aux Presses de la Renaissance en 1982. Les contraintes malheureuses de la répartition administrative m'avaient amené à suivre un cours sur la littérature féminine, ce qui ne me passionnait guère, tant ce genre d'intitulé me laisse perplexe : je n'ai jamais compris comment on pouvait formuler de telles découpages et je gage fort que dans une lecture à l'aveugle de quelques pages d'écrivain(e)s bien des partisan(e)s des gender studies se retrouveraient, comme on dit familièrement, le bec dans l'eau.

    La féminisation des études littéraires étant un fait (sur lequel je ne porte aucun jugement de valeur), je me retrouvai donc au milieu de jeunes femmes qui furent très largement émues des malheurs de Camille Claudel, ce qu'on peut comprendre. Et sa fin tragique, dans un mouroir psychiatrique en 1943, n'en est pas l'épisode le moins poignant (épisode qui, d'un autre côté, nous éclaire sur ce que fut aussi la grandeur de l'État français à cette époque). Nous découvrîmes donc, pour la plupart, la splendeur passée sous silence d'une œuvre devant laquelle un monde masculin (de Rodin au frère, Paul Claudel) avait, d'une certaine manière, reculé. Elle n'était que la énième victime de cette appréciation sexuée de l'art mais ses sculptures parlent désormais pour elle, ce qui est malgré tout l'essentiel.

    Néanmoins cette photographie apportait un supplément rageur à la détresse de Camille et je ne cessai d'entendre des commentaires estudiantins sur la beauté de cette jeune femme, comme si ce constat rendait plus injuste l'occultation de son aventure artistique. Eût-elle été moins séduisante, voire laide, me disais-je parfois, qu'on aurait eu, à son égard, moins de compassion, moins de révolte. C'est, autant qu'il m'en souvienne, l'une des premières fois où m'apparaissait le basculement progressif du champ artistique dans une mythologie en train de se faire à grands coups de clichés (au double sens du mot) : une femme belle, intelligente, entière, géniale... Tout pour réussir, si l'on veut reprendre la vulgate d'une société qui aime tout mesurer.

    Cela était d'autant plus facile à construire que le repoussoir était trouvé :  plus que Rodin, le frère, Paul Claudel (et sur ce plan, évitons les ambiguïtés : Anne Delbée n'en est nullement responsable, qui a servi avec constance l'œuvre de l'écrivain). Celui-ci avait tous les atouts du méchant : la masculinité hautaine, la réussite exemplaire, littéraire et sociale (ambassadeur, tout de même), une écriture si peu accessible, un catholicisme militant, à l'heure où déjà celui-ci était la cible de tous les progressismes grotesques, comme s'il avait constitué l'alpha et l'oméga de tous les malheurs du monde. Oui, Paul Claudel, dont la rondeur bourgeoise, le visage quelconque ne pouvaient faire fantasmer une époque qui demandait des symboles photogéniques (c'était un temps où l'éclat du Che ou de Rimbaud remplissait la jeunesse d'un supplément d'âme... Et bientôt nous verrions sur la couverture des œuvres littéraires le bandeau où l'auteur, s'il (ou elle) est présentable, jeune et dynamique, pose, un peu sérieux. La littérature photo-Harcourt de l'ère moderne.). Par images interposées, il s'agissait de prendre parti, de se définir dans une logique manichéenne où à l'outrance conformiste et à la banalité esthétique de l'un répondaient, visiblement, la déraison, la liberté et la beauté insondable de l'autre. L'attitude de Paul Claudel vis-à-vis de sa sœur pouvait alors passer pour une illustration symbolique de ce qu'il était : un être à la catholicité peu estimable.

    Il n'est pas étonnant que le cinéma se soit emparé illico presto de cette figure, sous les traits d'Isabelle Adjani. Camille Claudel est un cas d'école où l'occasion fait le larron. Il y a alors un créneau à occuper : prenons-le. Pourquoi pas ? Mais c'est, là encore, une forme d'indécence qui pointe son nez, la récupération facile d'une image à des fins bassement commerciales, permettant de passer d'une beauté qui ne fut pas que beauté, mais artiste aussi, à la platitude d'une interprétation sans surprise, dans un film médiocre jouant sur les bons sentiments. On appelle cela de la récupération, mais c'était bien dans l'air du temps, et Camille Claudel ne méritait pas un tel traitement.