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mariage pour tous

  • Grand spectacle

    Dans La nouvelle culture du capitalisme, Richard Sennett évoque les sept cents heures de discussion du législateur anglais au sujet de la chasse au renard. Oui, sept cents heures soit : à douze heures journalières, près de soixante jours. Et l'auteur de conclure que si l'on passe autant de temps sur un sujet aussi mineur, c'est que sur l'essentiel, ce qui fait justement le cœur de la vie citoyenne, ces gens-là sont d'accord. Le détail, et l'acharnement au détail ne sont que des cache-misère d'un consensus qui se fera contre le citoyen. Dès lors le jeu politique n'est plus qu'une vaste fumisterie pour occuper l'opinion publique.

    Cette fantaisie anglaise nous amène à une autre de fausse démocratie, celle que viennent d'illustrer les gargouilles de l'UMP au sujet du mariage pour tous. Il ne leur aura fallu que quarante-huit heures à peine pour dévoiler leur misérable pantalonnade d'opposants d'opérette. Il aura suffi que la loi soit promulguée pour que ces soi disant contestataires s'en remettent à elle sans plus de discussion. Ce qui, disaient-ils, était une aberration, une contradiction fondamentale de la société n'est plus rien qu'une décision parmi d'autres, sur laquelle il ne sera pas possible de revenir. De Copé à NKM en passant par Chatel, la même molesse hideuse, le même renoncement sordide, la même complicité fallacieuse. Était-il nécessaire que tous ces fantoches prennent la pose contestataire ? Ils sont un flagrant démenti à ceux qui, à gauche, évoquent une UMP rétrograde, fascisante et sectaire.

    N'en déplaise à ceux qui veulent encore nous vendre la différence politique comme un des signes de la démocratie, il n'y a pas de différence démocratique dans la France européanisée et libérale. Guy Debord disait en son temps qu'il y avait deux partis de droite dont un s'appelle la gauche. Retournons la formule : la droite est une gauche sous un nom d'emprunt. Même politique, même logique économique, même pré-requis culturel. La volonté de remettre la nation à l'impérialisme libéral bruxellois, le désir d'effacer l'empreinte judéo-chrétienne, la soumission béate à un internationalisme communautariste.

    On hésite entre la connerie montée au carré ou une sorte de mélancolie suicidaire.

    Et puisqu'on en est au suicide, celui de Dominique Venner en ajoute une couche. C'est un peu le versant d'extrême-droite à la furie Femen. Décidément, Notre-Dame-de-Paris devient un lieu de spectacle. Il s'y passe toujours quelque chose, un peu comme à la Samaritaine. Les raisons de ce monsieur, loin d'être réductibles, comme s'empressent de le dire les media, à la question du mariage pour tous, méritent qu'on s'y intéresse. Le geste n'est pas anodin et ses fondements ne peuvent être balayés d'un revers de main. N'empêche : qu'un catholique fervent comme lui sombre dans une mise en scène aussi grotesque en dit, en fait, très long sur ce qui est en train de se (dé)nouer sous nos yeux. 

  • XX

     

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    Que les petits provinciaux, les misérables de l'outre-périphérique ne l'oublient jamais : Paris est éternel, Paris sera toujours Paris, avec un temps (que dis-je : une éternité) d'avance. Elle était la capitale du XIXe pour reprendre les mots de Walter Benjamin. Son étoile ayant légèrement pâli, elle reste le phare hexagonale. Elle ouvre la voie.

    Pour l'heure, elle nous susurre, dans une parodie toute malrucienne, que le XXIe siècle municipale sera féminin ou ne sera pas. Et nous, perdus en nos communes, nos hameaux ou nos lieux-dits, n'aurons pas le bonheur parisien de voir des femmes, des femmes, et des femmes, descendre dans l'arêne politique pour nous offrir le meilleur. 

    Qu'on fasse un temps l'estimation de ce qui attend l'électorat capital : Anne Hidalgo, Nathalie Kosciusko-Morizet, Rachida Dati, en attendant la sémillante Cécile Duflot. Autant dire un florilège d'intelligence, de réflexion et de grandeur. Il manque Roselyne Bachelot (ou Marie-Goerges Buffet, ou Marielle de Sarnez) pour que nous puissions parler d'un cinq de départ éblouissante, comme dans une équipe de basket.

    Pourquoi parler d'équipe, quand nous évoquons, logiquement, des adversaires, des rivales sans pitié et sans merci ? Parce que leurs différences sont si ténues qu'on se demande ce qui justifie un tel affrontement ? On dirait un défilé pour bobos de gauche. C'est à ce point risible qu'on en vient à penser que c'est le silence devant ce risible qui intrigue et qui donne à l'événément tout son piquant.

    Cette effervescence d'ardeur politique féminine éblouit les donneurs de leçon en matière de démocratie. J'entends : les mesureurs de santé publique et politique à l'aune de la terreur gender studies. Le dynamisme est femme ; la respiration démocratique se mesure au tailleur et au rimmel, qu'on se le dise une fois pour toute. Françoise Giroud avait ce mot savoureux : "l'égalité, c'est quand on nommera une femme pour son incompétence" (1). Vu sous cet angle, on peut légitimement penser qu'on avance à pas de géants. Ce sont pour le coup des enjambées à la Rabelais ou à la Swift.

    Se moquer de cette bataille en jupons (ou en jeans : l'affaire est encore en discussion. Tout dépendra de l'engagement de Cécile Duflot. Soit le classique, un peu guindé -mais pas trop- sans elle ; soit le destructuré revival hippie, avec elle) est d'un mauvais goût certain. Je suis de mauvais goût. Passablement sexiste, machiste, rétrograde. Si on veut : je prends tout. Au bout d'un moment, cela n'a plus d'importance. Néanmoins, il est raisonnable de se poser une question plus sérieuse.

    Lorsque l'ordre des représentations ne fait qu'inverser un état antérieur, ne tombe-t-on pas dans le grotesque ? Entendons par grotesque cette forme de représentation théâtrale que les Anglais connaissaient avec Shakespeare et que les romantiques, Hugo en tête, ont exploité au XIXe siècle. Grotesque, en ce que le mélange des genres, l'excès communicationnel, le va-et-vient entre la volonté de discours sérieux et l'impossibilité de ne pas jouer un numéro de charme, tout cela nous fait penser à la pesanteur des gros gâteaux du romantisme boursoufflé. La manière dont ces dames ont commencé à débattre relève plus crépage de chignons que de la dialectique idéologique. Les quelques échos que j'en ai eus faisaient penser à une querelle de lavandières. Et sur ce plan, pas moyen de faire mieux que Goldoni.

    Pourquoi ainsi parler de théâtre ? Pourquoi ne pas se gausser avec la même vigueur de l'affrontement fratricide -deux clônes, imaginez- entre Fillon et Copé ? Sexisme masqué ? Indulgence masculine ? Esprit de corps, en quelque sorte ? Nullement. Il est simplement normal, sain et raisonnable d'évaluer la nouveauté, le changement, l'évolution, pour tout dire : le progrès, qu'on nous a promis et vanté. Cet inévitable progrès, sans quoi il n'y aurait pas de marche vers des temps meilleurs.

    Depuis 68, on nous bassine avec ces espérances de la féminité, féminité posée comme une sorte de synthèse de l'humanité bienveillante et douce ; depuis 68, on confond l'émancipation des femmes (et tant mieux, il n'y a rien à redire là-dessus) et une lecture génétiquement douteuse de la féminité bouclier contre la prédation masculine. Les hommes ont fait l'Histoire, la violence, les massacres et tout le tintouin. D'accord. Est-ce une raison pour croire que le bouleversement des sexes induit un changement radical des comportements, des idéologies politiques et réduit la noirceur phallique dans une sorte de candeur vaginale ?

    Le ridicule de cet éblouissement féminin avait commencé dans les années 70-80 quand on faisait se tordre rire l'étudiant de lettres que j'étais avec l'aporie de l'écriture féminine, laquelle reste, d'un point de vue stylistique, une énigme : j'attends encore une lecture à l'aveugle d'extraits pour m'expliquer la détermination sexuée des pages soumises à la lecture. Certain qu'on arrivera à la même escroquerie que dans le domaine de l'œnologie. Ici, ce n'est pas le flacon qui fait l'ivresse, mais l'étiquette. Après la littérature (2), la politique. Et de nous servir le plat d'une différence dont on attend toujours les effets. Les femmes, ou une manière différente de faire de la politique. Vaste escroquerie...

    Glosons un temps sur le concept de différence avant de revenir à nos parisiennes. Celle-ci, qui procède en partie d'une analyse structuraliste du monde (la pertinence, de Saussure et Jakobson), est un pis-aller en la matière. On confond le sexe avec une philosophie essentialiste dans laquelle la différence, c'est toujours le mieux, le plus. On oublie au passage que la différence est devenue au fil du temps une ressource communicationnelle, un gimmick pour agence de pub (3), un credo pour représentants de commerce.

    Alors, la différence des femmes ? Plus d'opportunisme ? Plus de stratégie ? Plus de reniements ? Plus de compromissions ? Plus de violences verbales ? (4)

    Nos parisiennes, nos parisiennes... Des dents à rayer le parquet pour toutes, jusqu'à la caricature en ce qui concerne Hidalgo et Dati. Chez Duflot, aussi, mais avec ce petit air "dites les filles, vous avez, ministre, je suis, les filles" qu'elle pousse à l'extrême. C'est, de très loin, la plus ridicule du quatuor. Reste NKM. Réduction à l'acronyme. Un équivalent en jupons de DSK, ou bien une marque, comme BMW, NHK ou KTM. Ça claque, ça sonne. Éventuellement porteur...

    Sa médiocrité ministérielle fut grandiose, sa nullité électorale plus grandiose encore (5), pendant une présidentielle où elle avala coulœuvre sur coulœuvre... Mais, dira-t-on, ce n'était pas elle. Elle n'était pas vraiment libre de ses mouvements. Alors, regardons faire cette différence féminine-là, dans sa conquête de la mairie de Paris. Ayant compris qu'il n'y aurait en ce lieu nulle victoire sans être gay friendly (selon les commentaires de sa copine Bachelot qui s'inquiétait de ce que la bonne et sérieuse Nathalie allait décider quant à son vote sur le mariage pour tous), elle a choisi de s'abstenir. Oui, s'abstenir, au motif qu'elle est pour mais contre la MPA et la GPA. Comme si l'un ne pouvait pas immanquablement procéder de l'autre. En clair : ne pas aller dans le camp d'en face, pour ne pas choquer son électorat de base ; ne pas rester dans une opposition radicale, pour qu'on ne lui rétorque pas le moment venu qu'elle n'était pas assez ouverte... L'abstention donc. Ce qui, sur un sujet aussi crucial, relève de la bêtise absolue. Ab-so-lue et méprisable. Pour le coup, j'ai infiniment plus de respect pour Benoït Apparu qui a choisi de voter le texte. NKM, c'est le cynisme au rouleau compresseur. Mais c'est une femme : il faut y voir une subtilité dialectique là où, pour un homme, on ne verrait qu'intérêt politicien (6)...

    NKM a fait preuve, en quelques jours, pour un projet qui ne concernait qu'elle, devenir maire de Paris, pour une perspective qui ne mettait en jeu que son ego, d'une fourberie dont je ne dirai jamais qu'elle est féminine, parce que je ne dirai pas non plus qu'elle est masculine. L'ambition et l'art du louvoiement n'ont pas de sexe, comme la médiocrité. Tel est l'enseignement de ce jeu d'hypocrites auquel les parisiens seront conviés.

    Entre hommes ou entre femmes, la belle affaire. Un leurre de plus dans l'arêne politique ; une distraction de plus dans la marre médiatique. Cela servira seulement à faire vendre de la feuille, à faire bavasser les politologues et les sociologues qui y verront un signe indubitablement de changement, d'évolution, de maturité, de renouveau, de grandeur, d'apaisement, de conformité avec l'espace du réel, d'adéquation avec la vitalité sociale, d'écoute nouvelle, de mutation sociologique, de bouleversement dans les instances décisionnaires,... Bref : à vous d'imaginer.

    Qui n'a pas compris la beauté de la chose est un être obtus, diront ceux qui nous vendent ce nouveau féminisme comme une porte de sortie à la catastrophe ambiante. Force est pourtant de constater que la seule vertu de la parité gouvernementale, et nous en sommes redevables à la présidence Hollande, est d'avoir démasqué ce mythe de la femme politique, cette aporie de la différence. Le nombre aurait fait apparaître une médiocrité (de Delaunay à Bertinotti), une prétention (Filipetti) et une arrogance (Vallaud-Belkacem) qui n'est ni plus ni moins le reflet d'un comportement politique que nous connaissions du temps où l'État était une affaire d'hommes.

    Il n'est pas interdit de continuité dans cette voie. Je n'y trouve nul inconvénient, étant donné que le problème est ailleurs. Non pas dans la détermination des genres mais dans l'élaboration des politiques. Or, la féminisation de la politique correspond étrangement au triomphe de l'ultra-libéralisme et à la vacuité décisionnaire de ceux qui prétendent nous gouverner. De fait, les femmes qui sont aujourd'hui au pouvoir non seulement ne changent rien à la politique mais participent (dans le sens où elles sont le symptôme) d'un désastre plus grand : celui de la mort du politique. Il n'est pas question de prôner le retour à un ordre ancien, à une sorte d'archaïsme patriarcal qui sonnerait comme le signe des temps heureux. Ce billet ne défend pas l'homme, comme il n'attaque pas la femme. Il signifie seulement que le discours autour des sexes et de la politique est une fumisterie, qu'elle est un écran de plus pour ne pas aborder les questions de fond : quelle politique ? quelle société ? quelle misère ? quelles solidarités ? quels partages ?

    Pour l'heure, la parité politique et ses effets accompagnent fort bien la décomposition sociale et l'accentuation de la paupérisation. Je ne suis pas sûr que les femmes d'en haut s'en préoccupent beaucoup, trop occupées qu'elles sont à leur plan de carrière.

    Certainement : sur la question des femmes en politique comme une nouvelle ère, je resterai obtus et dédie ce petit billet à Laurence Parisot.


    (1)Ce que prouve la récente nomination de Ségolène Royal comme vice-présidente de la BPI par l'ami socialiste Jean-PIerre Jouyet, copain de promo à l'ENA de l'homme normal. Bel exemple de république bananière...

    (2)Précisons qu'il en est des femmes-écrivains comme du reste : du pire et du génial. Au choix, Katherine Pancol et Amélie Nothomb pour la catastrophe, Marguerite Yourcenar ou Virginia Woolf (mais il est vrai que la sublime Virginia avait par avance cloué le bec aux bavardes qui nous faisaient la leçon. Il suffit de lire Une Chambre à soi, où elle place d'abord la question sur le plan économique, c'est-à-dire dans un cadre qui n'a rien d'abstrait et pseudo-philosophique).

    (3)"France-Inter : écoutez la différence", il y a quelques années.

    (4)Subversité de la langue. Le "plus" compris, selon l'envie, comme une négation ou une exagération.

    (5)Sans esprit partisan : on se demande comment Sarkozy a pu penser un seul instant faire campagne avec un porte-parole aussi insipide...

    (6)C'est sans doute en fonction de ce même paramètre que l'on est si indulgent avec Marisol Touraine, ministre de la santé, qui fut inexistante et silencieuse dans le désastreux épisode des pillules des troisième et quatrième générations. Elle était beaucoup plus en verve quand il s'agissait de se placer dès l'automne dans la course à la succession de Jean-Marc Ayrault...


    Photo : Renaud Allirand

  • Le bon plaisir des uns...

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    Il y a quelque sublimité à voir les progressistes de gauche (pléonasme...) se tourner vers les conservateurs anglais pour justifier du bien fondé de leur loi du «mariage pour tous»... Il est très drôle (mais l'ironie n'est pas tant grinçante que funeste) de prendre modèle sur la modernité britannique en matière de mœurs, de contempler le Royaume-Uni comme la voie royale d'un progrès sociétal à même de rendre heureux les si multiples segments de la société. La paupérisation des classes laborieuses, l'horreur social si souvent rappelé par Ken Loach, le thatchérisme étendu au New Labour, le communautarisme terrifiant, cela donne envie, en effet, qu'on appelle Cameron et sa clique à la rescousse... Sauf à vouloir activer davantage la décomposition du monde, je ne vois pas...

    Car c'est bien là l'escroquerie ultime du mariage pour tous : il n'est qu'un élément supplémentaire d'une théorie marketing de la segmentation. La victoire apparente de la liberté à accorder à l'infini des droits, qui sont autant de possibilités de se soustraire à l'horizon commun, cette victoire n'est qu'un enterrement de première classe. En démultipliant les cellules de légitimité, en reconnaissant à l'infini ce droit d'être-soi, on délite la pensée sociale au profit (et l'expression est plus que jamais approprié) d'un nombrilisme qui veut à la fois démolir les institutions et les mots (1), qui veut se vivre soi, en dehors de toute allégeance, à l'exclusion de toute volonté dont il ne serait pas l'unique détenteur. C'est le bon plaisir du roi, l'accession, à l'ère pseudo-démocratique, d'une souveraineté individuelle qui ressemble à un rêve aristocratique.

    Il n'est pas étonnant que cette évolution soit portée par ceux, de droite et de gauche, placés sur l'échiquier politique selon les opportunités et les calculs stratégiques, qui n'ont in fine que les lois du marché comme référence. Dès lors, David Cameron devient, au nom de cette apparente défense des libertés, un homme dont on peut invoquer le courage et l'ouverture. Puisse-t-il se libérer rapidement pour venir battre le pavé parisien avec la tripotée de bobos gauchistes, de seins nus barbouillés des femen, de trotskos survivants et de libéraux open-mind. Je veux une photo : ce sera collector, comme on dit...

    Rappelons ce qu'écrivait Simondon, dans L'Individuation psychique et collective :

    «Une société dont le sens se perd parce que son action est impossible devient une communauté, et par conséquent se ferme, élabore des stéréotypes ; une société est une communauté en expansion, tandis qu'une communauté est une société devenue statique ; les communautés utilisent une pensée qui procède par inclusions et exclusions, genres et espèces ; une société utilise une pensée analogique au sens véritable du terme, et ne connaît pas seulement deux valeurs, mais une infinité continue de degrés de valeur, depuis le néant jusqu'au parfait, sans qu'il y ait opposition des catégories du bien et du mal, et des êtres bons et mauvais [...]»

    Il ne peut échapper que c'est bien ce glissement communautaire qu'on est en train de nous vendre, lequel glissement finira par être, en droit, le fer de lance de ceux qui n'ont pas la démocratie en héritage, ou qui voudrait en finir avec elle. Que l'on s'extasie tout à coup, à gauche, du miracle anglais (2), est une preuve supplémentaire que l'enjeu du mariage pour tous est d'une importance capitale. Cette loi est une bascule. Une bascule définitive dans l'horreur libérale. C'est bien pour cela, et les gauchistes n'en sont pas tous conscients (3), que l'invective est de mise, que la haine et l'outrecuidance des défenseurs de la loi sont portées à ce niveau, jusqu'à une cécité qui glace. Que les propos ahurissants d'un Pierre Bergé aient laissé de marbre les féministes (ou tout simplement les femmes) et les âmes bien nées de ceux qui sont évidemment de gauche (4) en dit long sur le terrorisme ambiant. Aller au bout, coûte que coûte... En appeler à la clairvoyance de Cameron, s'il le faut, à la retenue de Rajoy, à la démocratie argentine, fustiger le moindre catholique qui passe, se prendre pour un dreyfusard de la cause différentialiste face à d'obscènes réacs.

    Traiter l'opposant d'homophobe, de salaud d'homophobe, surtout, le nier, vouloir l'effacer du paysage, le reléguer... Et porter un tee-shirt avec la photo de Cameron, pourquoi pas ?

      

    (1)La dernière absurdité d'une élue socialiste en pointe sur l'affaire du mariage pour tous, de vouloir rebaptiser l'école maternelle, en est une preuve supplémentaire. Après la LTI dont parlait Viktor Klemperer, les errances de Nicolas Marr, les analyse de la LQR d'Eric Hazan, on continue : destructurer la langue, miner la sémantique, ruiner l'histoire...

    (2)Car on reluque aussi, en matière d'économie, vers la City et le gouvernement actuel se lance, avec le plus de discrétion possible, dans une politique de droite faisant singulièrement pâlir le conservatisme sarkozyen

    (3)Mais leur libertarisme bourgeois les y prépare pourtant. Il est «interdit d'interdire». Encore et toujours. 

    (4)Ou quand l'adverbe supposerait un excellence génétique cachée... Mais imaginons une seconde que ces propos eussent été tenus par un affreux réac et nous eussions eu des bataillons de révolutionnaires pour hurler au loup. Seulement, à ce point de décervelage, les femmes qui défendent le mariage pour tous ne sont même plus capables de relever l'insulte qu'on leur fait. Être gay friendly à tout prix, quitte à abandonner tout esprit critique...

     

  • La gauche libérale (I) : le mariage pour tous

     

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    Le sociétal, comme on dit, n'est pas le social, moins encore le politique. Cela pourrait l'être, d'une certaine manière. Être un élément du politique. Encore faudrait-il qu'il y ait une véritable politique. Et lorsque moi-président est élu en mai, sur la base qu'avec lui (entendons : à l'inverse de celui dont il va prendre la place), tout sera différent, que la gauche vient au pouvoir pour vaincre le seul ennemi qui vaille, l'invisible et si puissante finance, c'est un miroir déformant du politique qu'il projette aux yeux de l'opinion. Opinion qui y croit, qui va voter massivement (quand même...), qui chante le dimanche soir, et qui sent, dit-on, que l'air est soudain devenu respirable.

    Si nous n'avions pas à payer le prix de cette escroquerie (et je la paie, moi, bien moins que d'autres...) on pourrait en rire mais la nudité-nullité de la pensée au pouvoir est telle qu'il lui faut absolument se battre sur des détails, sur des effets d'annonce. C'est l'utilité du sociétal. L'affaire ne serait pas nouvelle (la défense de l'école privée, le CIP, le PACS,...), dira-t-on. Si, pourtant...

    La gauche qui est désormais au pouvoir est une droite de rechange. La droite qui doit se charger des besognes libérales dont la droite visible ne peut s'acquitter. Et cela pour deux raisons : parce qu'une partie de son électorat n'en voudrait pas (ceux que la doxa qualifiera de cathos, fachos, réacs...), parce qu'elle risquerait, cette droite, de voir débouler dans la rue des manifestations qui ne seront pas organisées par une base de «gauche» face à un gouvernement qu'elle a aidé à porter au pouvoir. La gauche est une droite de rechange, dis-je, c'est-à-dire qu'elle s'est fondue dans le moule libéral, qu'elle en a adopté les principes fondamentaux, au-delà même de ce que représente, et c'est un beau paradoxe, la droite classique, conservatrice. Pour l'écrire autrement, la gauche est aujourd'hui économiquement plus à droite qu'une partie de l'opposition qu'elle fustige...

    Prenons le mariage pour tous. Laissons de côté, même si cela a son importance, l'effet neutralisant du débat qui se déploie à ce sujet. La vive polémique a son importance en ce qu'elle est un agent masquant d'une politique qui suit à la trace (et qui ira plus loin, c'est certain) celle menée par Sarkozy. Était-il urgent de débattre sur le droit des homosexuel(le)s à se marier ? Etait-ce intelligent que dans la torpeur de l'été on décide de mettre en avant cette énième proposition moi-président, quand celui-ci avait déjà renié des engagements plus lourds, à commencer par le traité budgétaire ? Certains diront que non, évidemment, et ils ont raison, d'une certaine façon. Ils ont raison si l'on se place du point de vue des impératifs économiques de crise (1), si l'on se place sur le seul plan de la réactivité gouvernementale face à une situation d'urgence. En revanche, il est tout à fait logique que la gauche se précipite sur cette question, quand elle a entériné tout l'appareil idéologique de l'économie libérale. Il lui reste à faire le travail sur le plan sociétal, justement.

    La transformation fondamentale de l'ultra-libéralisme, au regard de sa forme plus ancienne, est le glissement progressif de l'économie dans toutes les sphères de l'espace social et individuel. C'est faire que tout soit monnayable, que tout puisse entrer dans des rapports d'intérêt transposables sur le plan d'un échange financier. C'est là qu'intervient une nouvelle définition de la liberté. Celle-ci n'est plus constitutive d'une construction individuelle, sur un plan philosophique (pour faire court), accréditant l'idée d'une possible émancipation des personnes ; elle est un signe, comme les objets sont des signes (pour reprendre Baudrillard). La liberté fait signe, et en tant que telle, elle est soumise à la loi des signes qui, en territoire libéral, impose sa conversion en acte économique.

    Le mariage pour tous doit se concevoir comme un acte faisant progresser l'activité économique libérale d'un degré de plus. Le problème n'est pas tant de placer chacun sur un pied d'égalité au nom du droit de s'aimer (2) que de poser les bases d'un droit à la procréation par assistance médicale, ce qui revient à créer un marché de mères porteuses (3). On peut nous emballer l'affaire sous les mots de l'amour (belle blague ! Depuis quand le mariage est affaire d'amour ! Il suffit de lire le Code civil pour se convaincre du contraire. C'est un contrat...), il ne faut pas être dupe. Le mariage pour tous est l'ouverture vers les dérives mercantiles mettant en jeu des enfants, que des couples ayant les moyens pourront s'offrir. C'est la possibilité de monnayer la grossesse. Sur ce point, Pierre Bergé a eu l'heureuse bêtise de formuler de manière cinglante l'enjeu du débat, quand il déclarait le 16 décembre dernier :

    "Nous ne pouvons pas faire de distinction dans les droits, que ce soit la PMA, la GPA ou l'adoption. Moi, je suis pour toutes les libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine, quelle différence ? C'est faire un distinguo qui est choquant."(4)

    Le propos a choqué. On peut comprendre, mais ce serait une grave erreur de l'attribuer au débordement d'un esprit atteint de sénilité. Ceci dit sans ironie. Ce propos est en fait le dévoilement d'une conversion radicale de la gauche à cette logique de marché jouissif, telle qu'en parlait déjà Fredric Jameson quand il envisageait les transformations culturelles du capitalisme tardif. Et sur ce plan, certains ont acquiescé plus vite que d'autres aux débordements du libéralisme hédoniste. Le mariage pour tous est le fruit d'un lobbying gay parisien, de gauche, forcément de gauche, qui, plutôt que de s'interroger sur ce qu'est la vraie homophobie (ce qui lui demanderait de reconsidérer les concepts de classe à l'aune de la relégation sexuelle (5)) veut à la fois la conformité pour jouir du possible (avoir des enfants) et la différence pour jouir tout court. Rappelons à cet effet que la jouissance est un terme de droit (avoir la jouissance d'un bien), et c'est bien de droit qu'il est question ici, et d'un droit qui à un coût.

    Or, et c'est un fait économique, une certaine gentry homosexuel a les moyens de faire face à ces dépenses médicales ; elle a les moyens de louer un ventre, de négocier la gestation (n'est-ce pas charmant) (6). L'ultra-libéralisme a le devoir de trouver encore et encore des marchés. Il peut le faire en mettant en marche deux éléments complémentaires : les ressources de la technologie et la promotion, sous des formes trompeuses, de la liberté individuelle. L'indifférenciation sexuée, la substitution du genre au sexe, cette récupération post-soixante-huitarde des revendications pseudo-libertaires ne sont que des stratégies pour élargir le champ d'investigation économique (7). 

    L'élargissement de l'économie à toutes les sphères possibles a de plus grande chance d'aboutir lorsque tous les principes millénaires et les puissances qui essaient d'en limiter les effets sont mis à mal, sont ridiculisés et voués à n'être plus que balivernes. C'est bien pour cela, notamment, que les partisans du mariage pour tous se sont acharnés comme jamais sur l'église catholique, sur les cathos. Ils ont bien compris que l'enjeu était de taille (8).

    Pour ce faire, il faut des gens capables d'enjoliver le changement, de proposer le progrès (sans dire de quoi il retourne vraiment) contre la réaction, de promouvoir la liberté contre l'oppression, de brandir l'étendard du respect contre le drapeau noir de l'intolérance. C'est la logique du plus. Le mariage pour tous est un plus, et le plus ne peut être que bon. Et le bon, parce que l'histoire a été ainsi écrite, ne peut être que de gauche. C'est au nom de ce diktat progressiste qu'une philosophe de salon, une dénommée Beatriz Preciado, ci-devant directrice du Programme d'études indépendantes musée d'Art contemporain de Barcelone (Macba) éructe initialement dans Libération du 15 janvier sur les contestataires :

    "Les catholiques, juifs et musulmans intégristes, les copéistes décomplexés, les psychanalystes œdipiens, les socialistes naturalistes à la Jospin, les gauchos hétéronormatifs, et le troupeau grandissant des branchés réactionnaires sont tombés d’accord ce dimanche pour faire du droit de l’enfant à avoir un père et une mère l’argument central justifiant la limitation des droits des homosexuels." 

    Le lecteur appréciera ces raccourcis magnifiques et le vocabulaire. L'hétéronormatif est splendide : une manière d'avilir l'hétérosexualité en la faisant passer pour une banalité petite bourgeoise, un conformisme pisse-froid, une sordide obéissance à la logique procréatrice. Mais d'apprendre qu'elle est proche des queer culture et qu'elle est la compagne de Virginie Despentes m'éclaire, sans me rassurer : je sais depuis quelque temps déjà que les révolutionnaires en chambre sont les pires compagnons d'armes de l'horreur. (9)

    La boucle est bouclée.

     

     

    (1)Quoique ce que j'écris là soit un peu biaisé puisqu'il est faux de dire que nous sommes en crise. La crise est un moment, l'acmé d'une situation qui s'est développée, un moment décisif. Or nous sommes depuis près de 40 ans en crise. Tout simplement parce que c'est l'ordre même du monde soumis à un économisme croissant et destructeur. Ceux qui pensent qu'un jour quelqu'un nous en sortira se leurrent. Il faudrait alors repenser la totalité du développement. La dégénérescence du système, et la mort politique, économique et sociale qui en résultera, violente, impitoyable, aura eu raison de toute les jugements.

    La krisis grecque était l'acte de trancher devant une situation confuse et incertaine. On voit bien que la confusion et l'incertitude sont, paradoxalement, le fondement d'une économie ultra-libérale, fonctionnant sur la précarisation des acteurs et le flottement des situations...

    (2)Auquel cas, n'en déplaise aux plus audacieux : il faudrait reconnaître à deux adultes (un frère et une sœur) le droit de se marier. Le mariage n'est donc pas pour tous, en dépit de son appellation marketing pour ne pas dire qu'il s'agit d'un mariage homosexuel.

    (3)Pour couper court à toute critique sur ce point, je précise que je suis contre les procédures de procréation assistée, qu'elles soient destinées aux hétérosexuels ou aux homosexuels. Sur ce plan, la science se doit d'avoir des limites et l'individu se doit de concevoir que son bon plaisir n'est pas tout.

    (4)PMA : procréation médicalement assistée

    GPA : gestation par autrui

    (5)Dans les banlieues par exemple, ou dans l'espace culturel maghrébin, où l'homophobie est tenace. Mais il lui faudrait, à cette côterie, penser l'Autre dans sa diversité problématique, le comprendre, l'affronter, débattre avec lui, et ne pas le voir seulement comme jouet d'une bonne conscience. Il lui faudrait quitter ce côté gidien qui ne la lâche pas : l'exotisme de l'enculage est une philosophie méprisable...

    (6)Car c'est une ficelle grossière que de découpler (!) mariage pour tous et PMA. À partir du moment où le mariage homosexuel est posé comme l'égal du mariage hétérosexuel, il n'est plus constitutionnellement possible de limiter les droits du second par rapport au premier. Tout étudiant de licence de droit le sait bien...

    (7)Le cri des hirsutes de 68 « il est interdit d'interdire » est, comme c'est étrange !, un programme que ne désavoueraient pas les tenants d'un marché libre, capable de régler de lui-même les conflits.

    (8)Ce qui explique d'ailleurs les attaques violentes contre les évêques, quand, par ailleurs, on ménageait les autorités musulmanes (le recteur de la mosquée de Lyon avait précédemment manifesté...)... Sans doute, parce que cela aurait mis en porte-à-faux les tenants du différentialisme et du droit-de-l'hommisme.

    (9)Qui se ressemble s'assemble. J'invite donc le lecteur à la délectation (soyons kantien...) des œuvres (?!) littéraires et cinématographiques de Virginie Despen

    Par ailleurs, j'entends, en même temps, la complainte de cette Preciado. Elle a le précieux dans son nom, et elle y croit. Et croit sans aucun doute que le libéralisme de mœurs espagnol est une manière de conjurer le sinistre héritage franquiste. Mais elle devrait savoir, si elle avait un tantinet de cervelle, que l'escalade de la négation pour abolir un régime abject (ce que fut le franquisme) est justement le meilleur moyen de le réhabiliter, de gommer en lui la caricature qu'il fut, de donner à ses nostalgiques les moyens de leur retour politique. Elle devrait, en plus, s'interroger sur le fait que les pays catholiques les plus permissifs sont ceux qui ont subi la crise libérale la plus sévère, à commencer par l'Argentine. Mais penser le politique autrement que par le prisme du cul, de la chatte et de la bite est une chose fort difficile pour certain(e)s intellectuel(le)s soi disant émancipé(e)s...

     

     

    photo : Antoniol Antoine /SIPA