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pierre bergé

  • Le bon plaisir des uns...

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    Il y a quelque sublimité à voir les progressistes de gauche (pléonasme...) se tourner vers les conservateurs anglais pour justifier du bien fondé de leur loi du «mariage pour tous»... Il est très drôle (mais l'ironie n'est pas tant grinçante que funeste) de prendre modèle sur la modernité britannique en matière de mœurs, de contempler le Royaume-Uni comme la voie royale d'un progrès sociétal à même de rendre heureux les si multiples segments de la société. La paupérisation des classes laborieuses, l'horreur social si souvent rappelé par Ken Loach, le thatchérisme étendu au New Labour, le communautarisme terrifiant, cela donne envie, en effet, qu'on appelle Cameron et sa clique à la rescousse... Sauf à vouloir activer davantage la décomposition du monde, je ne vois pas...

    Car c'est bien là l'escroquerie ultime du mariage pour tous : il n'est qu'un élément supplémentaire d'une théorie marketing de la segmentation. La victoire apparente de la liberté à accorder à l'infini des droits, qui sont autant de possibilités de se soustraire à l'horizon commun, cette victoire n'est qu'un enterrement de première classe. En démultipliant les cellules de légitimité, en reconnaissant à l'infini ce droit d'être-soi, on délite la pensée sociale au profit (et l'expression est plus que jamais approprié) d'un nombrilisme qui veut à la fois démolir les institutions et les mots (1), qui veut se vivre soi, en dehors de toute allégeance, à l'exclusion de toute volonté dont il ne serait pas l'unique détenteur. C'est le bon plaisir du roi, l'accession, à l'ère pseudo-démocratique, d'une souveraineté individuelle qui ressemble à un rêve aristocratique.

    Il n'est pas étonnant que cette évolution soit portée par ceux, de droite et de gauche, placés sur l'échiquier politique selon les opportunités et les calculs stratégiques, qui n'ont in fine que les lois du marché comme référence. Dès lors, David Cameron devient, au nom de cette apparente défense des libertés, un homme dont on peut invoquer le courage et l'ouverture. Puisse-t-il se libérer rapidement pour venir battre le pavé parisien avec la tripotée de bobos gauchistes, de seins nus barbouillés des femen, de trotskos survivants et de libéraux open-mind. Je veux une photo : ce sera collector, comme on dit...

    Rappelons ce qu'écrivait Simondon, dans L'Individuation psychique et collective :

    «Une société dont le sens se perd parce que son action est impossible devient une communauté, et par conséquent se ferme, élabore des stéréotypes ; une société est une communauté en expansion, tandis qu'une communauté est une société devenue statique ; les communautés utilisent une pensée qui procède par inclusions et exclusions, genres et espèces ; une société utilise une pensée analogique au sens véritable du terme, et ne connaît pas seulement deux valeurs, mais une infinité continue de degrés de valeur, depuis le néant jusqu'au parfait, sans qu'il y ait opposition des catégories du bien et du mal, et des êtres bons et mauvais [...]»

    Il ne peut échapper que c'est bien ce glissement communautaire qu'on est en train de nous vendre, lequel glissement finira par être, en droit, le fer de lance de ceux qui n'ont pas la démocratie en héritage, ou qui voudrait en finir avec elle. Que l'on s'extasie tout à coup, à gauche, du miracle anglais (2), est une preuve supplémentaire que l'enjeu du mariage pour tous est d'une importance capitale. Cette loi est une bascule. Une bascule définitive dans l'horreur libérale. C'est bien pour cela, et les gauchistes n'en sont pas tous conscients (3), que l'invective est de mise, que la haine et l'outrecuidance des défenseurs de la loi sont portées à ce niveau, jusqu'à une cécité qui glace. Que les propos ahurissants d'un Pierre Bergé aient laissé de marbre les féministes (ou tout simplement les femmes) et les âmes bien nées de ceux qui sont évidemment de gauche (4) en dit long sur le terrorisme ambiant. Aller au bout, coûte que coûte... En appeler à la clairvoyance de Cameron, s'il le faut, à la retenue de Rajoy, à la démocratie argentine, fustiger le moindre catholique qui passe, se prendre pour un dreyfusard de la cause différentialiste face à d'obscènes réacs.

    Traiter l'opposant d'homophobe, de salaud d'homophobe, surtout, le nier, vouloir l'effacer du paysage, le reléguer... Et porter un tee-shirt avec la photo de Cameron, pourquoi pas ?

      

    (1)La dernière absurdité d'une élue socialiste en pointe sur l'affaire du mariage pour tous, de vouloir rebaptiser l'école maternelle, en est une preuve supplémentaire. Après la LTI dont parlait Viktor Klemperer, les errances de Nicolas Marr, les analyse de la LQR d'Eric Hazan, on continue : destructurer la langue, miner la sémantique, ruiner l'histoire...

    (2)Car on reluque aussi, en matière d'économie, vers la City et le gouvernement actuel se lance, avec le plus de discrétion possible, dans une politique de droite faisant singulièrement pâlir le conservatisme sarkozyen

    (3)Mais leur libertarisme bourgeois les y prépare pourtant. Il est «interdit d'interdire». Encore et toujours. 

    (4)Ou quand l'adverbe supposerait un excellence génétique cachée... Mais imaginons une seconde que ces propos eussent été tenus par un affreux réac et nous eussions eu des bataillons de révolutionnaires pour hurler au loup. Seulement, à ce point de décervelage, les femmes qui défendent le mariage pour tous ne sont même plus capables de relever l'insulte qu'on leur fait. Être gay friendly à tout prix, quitte à abandonner tout esprit critique...

     

  • La gauche libérale (I) : le mariage pour tous

     

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    Le sociétal, comme on dit, n'est pas le social, moins encore le politique. Cela pourrait l'être, d'une certaine manière. Être un élément du politique. Encore faudrait-il qu'il y ait une véritable politique. Et lorsque moi-président est élu en mai, sur la base qu'avec lui (entendons : à l'inverse de celui dont il va prendre la place), tout sera différent, que la gauche vient au pouvoir pour vaincre le seul ennemi qui vaille, l'invisible et si puissante finance, c'est un miroir déformant du politique qu'il projette aux yeux de l'opinion. Opinion qui y croit, qui va voter massivement (quand même...), qui chante le dimanche soir, et qui sent, dit-on, que l'air est soudain devenu respirable.

    Si nous n'avions pas à payer le prix de cette escroquerie (et je la paie, moi, bien moins que d'autres...) on pourrait en rire mais la nudité-nullité de la pensée au pouvoir est telle qu'il lui faut absolument se battre sur des détails, sur des effets d'annonce. C'est l'utilité du sociétal. L'affaire ne serait pas nouvelle (la défense de l'école privée, le CIP, le PACS,...), dira-t-on. Si, pourtant...

    La gauche qui est désormais au pouvoir est une droite de rechange. La droite qui doit se charger des besognes libérales dont la droite visible ne peut s'acquitter. Et cela pour deux raisons : parce qu'une partie de son électorat n'en voudrait pas (ceux que la doxa qualifiera de cathos, fachos, réacs...), parce qu'elle risquerait, cette droite, de voir débouler dans la rue des manifestations qui ne seront pas organisées par une base de «gauche» face à un gouvernement qu'elle a aidé à porter au pouvoir. La gauche est une droite de rechange, dis-je, c'est-à-dire qu'elle s'est fondue dans le moule libéral, qu'elle en a adopté les principes fondamentaux, au-delà même de ce que représente, et c'est un beau paradoxe, la droite classique, conservatrice. Pour l'écrire autrement, la gauche est aujourd'hui économiquement plus à droite qu'une partie de l'opposition qu'elle fustige...

    Prenons le mariage pour tous. Laissons de côté, même si cela a son importance, l'effet neutralisant du débat qui se déploie à ce sujet. La vive polémique a son importance en ce qu'elle est un agent masquant d'une politique qui suit à la trace (et qui ira plus loin, c'est certain) celle menée par Sarkozy. Était-il urgent de débattre sur le droit des homosexuel(le)s à se marier ? Etait-ce intelligent que dans la torpeur de l'été on décide de mettre en avant cette énième proposition moi-président, quand celui-ci avait déjà renié des engagements plus lourds, à commencer par le traité budgétaire ? Certains diront que non, évidemment, et ils ont raison, d'une certaine façon. Ils ont raison si l'on se place du point de vue des impératifs économiques de crise (1), si l'on se place sur le seul plan de la réactivité gouvernementale face à une situation d'urgence. En revanche, il est tout à fait logique que la gauche se précipite sur cette question, quand elle a entériné tout l'appareil idéologique de l'économie libérale. Il lui reste à faire le travail sur le plan sociétal, justement.

    La transformation fondamentale de l'ultra-libéralisme, au regard de sa forme plus ancienne, est le glissement progressif de l'économie dans toutes les sphères de l'espace social et individuel. C'est faire que tout soit monnayable, que tout puisse entrer dans des rapports d'intérêt transposables sur le plan d'un échange financier. C'est là qu'intervient une nouvelle définition de la liberté. Celle-ci n'est plus constitutive d'une construction individuelle, sur un plan philosophique (pour faire court), accréditant l'idée d'une possible émancipation des personnes ; elle est un signe, comme les objets sont des signes (pour reprendre Baudrillard). La liberté fait signe, et en tant que telle, elle est soumise à la loi des signes qui, en territoire libéral, impose sa conversion en acte économique.

    Le mariage pour tous doit se concevoir comme un acte faisant progresser l'activité économique libérale d'un degré de plus. Le problème n'est pas tant de placer chacun sur un pied d'égalité au nom du droit de s'aimer (2) que de poser les bases d'un droit à la procréation par assistance médicale, ce qui revient à créer un marché de mères porteuses (3). On peut nous emballer l'affaire sous les mots de l'amour (belle blague ! Depuis quand le mariage est affaire d'amour ! Il suffit de lire le Code civil pour se convaincre du contraire. C'est un contrat...), il ne faut pas être dupe. Le mariage pour tous est l'ouverture vers les dérives mercantiles mettant en jeu des enfants, que des couples ayant les moyens pourront s'offrir. C'est la possibilité de monnayer la grossesse. Sur ce point, Pierre Bergé a eu l'heureuse bêtise de formuler de manière cinglante l'enjeu du débat, quand il déclarait le 16 décembre dernier :

    "Nous ne pouvons pas faire de distinction dans les droits, que ce soit la PMA, la GPA ou l'adoption. Moi, je suis pour toutes les libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine, quelle différence ? C'est faire un distinguo qui est choquant."(4)

    Le propos a choqué. On peut comprendre, mais ce serait une grave erreur de l'attribuer au débordement d'un esprit atteint de sénilité. Ceci dit sans ironie. Ce propos est en fait le dévoilement d'une conversion radicale de la gauche à cette logique de marché jouissif, telle qu'en parlait déjà Fredric Jameson quand il envisageait les transformations culturelles du capitalisme tardif. Et sur ce plan, certains ont acquiescé plus vite que d'autres aux débordements du libéralisme hédoniste. Le mariage pour tous est le fruit d'un lobbying gay parisien, de gauche, forcément de gauche, qui, plutôt que de s'interroger sur ce qu'est la vraie homophobie (ce qui lui demanderait de reconsidérer les concepts de classe à l'aune de la relégation sexuelle (5)) veut à la fois la conformité pour jouir du possible (avoir des enfants) et la différence pour jouir tout court. Rappelons à cet effet que la jouissance est un terme de droit (avoir la jouissance d'un bien), et c'est bien de droit qu'il est question ici, et d'un droit qui à un coût.

    Or, et c'est un fait économique, une certaine gentry homosexuel a les moyens de faire face à ces dépenses médicales ; elle a les moyens de louer un ventre, de négocier la gestation (n'est-ce pas charmant) (6). L'ultra-libéralisme a le devoir de trouver encore et encore des marchés. Il peut le faire en mettant en marche deux éléments complémentaires : les ressources de la technologie et la promotion, sous des formes trompeuses, de la liberté individuelle. L'indifférenciation sexuée, la substitution du genre au sexe, cette récupération post-soixante-huitarde des revendications pseudo-libertaires ne sont que des stratégies pour élargir le champ d'investigation économique (7). 

    L'élargissement de l'économie à toutes les sphères possibles a de plus grande chance d'aboutir lorsque tous les principes millénaires et les puissances qui essaient d'en limiter les effets sont mis à mal, sont ridiculisés et voués à n'être plus que balivernes. C'est bien pour cela, notamment, que les partisans du mariage pour tous se sont acharnés comme jamais sur l'église catholique, sur les cathos. Ils ont bien compris que l'enjeu était de taille (8).

    Pour ce faire, il faut des gens capables d'enjoliver le changement, de proposer le progrès (sans dire de quoi il retourne vraiment) contre la réaction, de promouvoir la liberté contre l'oppression, de brandir l'étendard du respect contre le drapeau noir de l'intolérance. C'est la logique du plus. Le mariage pour tous est un plus, et le plus ne peut être que bon. Et le bon, parce que l'histoire a été ainsi écrite, ne peut être que de gauche. C'est au nom de ce diktat progressiste qu'une philosophe de salon, une dénommée Beatriz Preciado, ci-devant directrice du Programme d'études indépendantes musée d'Art contemporain de Barcelone (Macba) éructe initialement dans Libération du 15 janvier sur les contestataires :

    "Les catholiques, juifs et musulmans intégristes, les copéistes décomplexés, les psychanalystes œdipiens, les socialistes naturalistes à la Jospin, les gauchos hétéronormatifs, et le troupeau grandissant des branchés réactionnaires sont tombés d’accord ce dimanche pour faire du droit de l’enfant à avoir un père et une mère l’argument central justifiant la limitation des droits des homosexuels." 

    Le lecteur appréciera ces raccourcis magnifiques et le vocabulaire. L'hétéronormatif est splendide : une manière d'avilir l'hétérosexualité en la faisant passer pour une banalité petite bourgeoise, un conformisme pisse-froid, une sordide obéissance à la logique procréatrice. Mais d'apprendre qu'elle est proche des queer culture et qu'elle est la compagne de Virginie Despentes m'éclaire, sans me rassurer : je sais depuis quelque temps déjà que les révolutionnaires en chambre sont les pires compagnons d'armes de l'horreur. (9)

    La boucle est bouclée.

     

     

    (1)Quoique ce que j'écris là soit un peu biaisé puisqu'il est faux de dire que nous sommes en crise. La crise est un moment, l'acmé d'une situation qui s'est développée, un moment décisif. Or nous sommes depuis près de 40 ans en crise. Tout simplement parce que c'est l'ordre même du monde soumis à un économisme croissant et destructeur. Ceux qui pensent qu'un jour quelqu'un nous en sortira se leurrent. Il faudrait alors repenser la totalité du développement. La dégénérescence du système, et la mort politique, économique et sociale qui en résultera, violente, impitoyable, aura eu raison de toute les jugements.

    La krisis grecque était l'acte de trancher devant une situation confuse et incertaine. On voit bien que la confusion et l'incertitude sont, paradoxalement, le fondement d'une économie ultra-libérale, fonctionnant sur la précarisation des acteurs et le flottement des situations...

    (2)Auquel cas, n'en déplaise aux plus audacieux : il faudrait reconnaître à deux adultes (un frère et une sœur) le droit de se marier. Le mariage n'est donc pas pour tous, en dépit de son appellation marketing pour ne pas dire qu'il s'agit d'un mariage homosexuel.

    (3)Pour couper court à toute critique sur ce point, je précise que je suis contre les procédures de procréation assistée, qu'elles soient destinées aux hétérosexuels ou aux homosexuels. Sur ce plan, la science se doit d'avoir des limites et l'individu se doit de concevoir que son bon plaisir n'est pas tout.

    (4)PMA : procréation médicalement assistée

    GPA : gestation par autrui

    (5)Dans les banlieues par exemple, ou dans l'espace culturel maghrébin, où l'homophobie est tenace. Mais il lui faudrait, à cette côterie, penser l'Autre dans sa diversité problématique, le comprendre, l'affronter, débattre avec lui, et ne pas le voir seulement comme jouet d'une bonne conscience. Il lui faudrait quitter ce côté gidien qui ne la lâche pas : l'exotisme de l'enculage est une philosophie méprisable...

    (6)Car c'est une ficelle grossière que de découpler (!) mariage pour tous et PMA. À partir du moment où le mariage homosexuel est posé comme l'égal du mariage hétérosexuel, il n'est plus constitutionnellement possible de limiter les droits du second par rapport au premier. Tout étudiant de licence de droit le sait bien...

    (7)Le cri des hirsutes de 68 « il est interdit d'interdire » est, comme c'est étrange !, un programme que ne désavoueraient pas les tenants d'un marché libre, capable de régler de lui-même les conflits.

    (8)Ce qui explique d'ailleurs les attaques violentes contre les évêques, quand, par ailleurs, on ménageait les autorités musulmanes (le recteur de la mosquée de Lyon avait précédemment manifesté...)... Sans doute, parce que cela aurait mis en porte-à-faux les tenants du différentialisme et du droit-de-l'hommisme.

    (9)Qui se ressemble s'assemble. J'invite donc le lecteur à la délectation (soyons kantien...) des œuvres (?!) littéraires et cinématographiques de Virginie Despen

    Par ailleurs, j'entends, en même temps, la complainte de cette Preciado. Elle a le précieux dans son nom, et elle y croit. Et croit sans aucun doute que le libéralisme de mœurs espagnol est une manière de conjurer le sinistre héritage franquiste. Mais elle devrait savoir, si elle avait un tantinet de cervelle, que l'escalade de la négation pour abolir un régime abject (ce que fut le franquisme) est justement le meilleur moyen de le réhabiliter, de gommer en lui la caricature qu'il fut, de donner à ses nostalgiques les moyens de leur retour politique. Elle devrait, en plus, s'interroger sur le fait que les pays catholiques les plus permissifs sont ceux qui ont subi la crise libérale la plus sévère, à commencer par l'Argentine. Mais penser le politique autrement que par le prisme du cul, de la chatte et de la bite est une chose fort difficile pour certain(e)s intellectuel(le)s soi disant émancipé(e)s...

     

     

    photo : Antoniol Antoine /SIPA