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  • Le droit (jusqu') à la folie

    S'il devait y avoir un trait caractéristique de la social-démocratie libérale (1), ce serait sans nul doute l'hypocrisie. Elle a un côté moraliste de bas-étage : on dirait les Flamandes de Brel, mais dans une version progressiste. Le social-démocrate libéral français, le socialiste bon teint, vallso-hollandisé, reformaté à la manière de Blair est un bijou de saloperie satisfaite, qui se croît tellement intelligent qu'il ne peut douter de la bêtise des autres. Et si je passe par le détour blairiste, il n'y a pas de hasard. Nullement. On y trouve la rouerie assurée qui permettaient aux grandes oreilles du New Labour d'affirmer que l'invasion de l'Irak était une urgence et que les armes de destruction massive étaient un danger mondial, etc, etc, etc. On connaît la chanson : le mensonge est la ligne de conduite absolue. Le socialo lucide est un larbin du libéralisme mais il essaie de faire croire le contraire ; il est son sbire zélé et prétentieux, mais se promène avec ses breloques humanistes : les autres, l'écoute, la solidarité, l'amour, le respect, la différence et j'en passe... En clair, le socialo-libéral aime le monde, veut le bonheur du monde, le vôtre, le mien : il n'a d'ambition que de nous rendre heureux (2).

    C'est pour cette raison qu'il adhère si bien au credo libéral de la marchandisation de tout et de tous, du droit appliqué à toutes les formes de concepts, dans la perspective que les dits concepts permettront d'ouvrir de nouveaux services, de nouveaux besoins, de nouveaux flux, de nouveaux échanges, de nouveaux recours, parce que tout doit être négociable, monnayable, et ajustable en terme de contrat. 

    Nous n'avons eu de cesse d'expliquer combien les partisans nantis du mariage gay, suivis par la bigoterie alter-différentialiste des centres villes bobos, qui se la joue tolérance et ouverture, les partisans nantis, donc, visaient au delà du projet matrimonial l'élargissement du marché des naissances, et plus particulièrement la gestation par autrui (GPA), laquelle était assimilable à un acte banal. Le gauchiste rose Pierre Bergé n'y voyait, pour des femmes enfin tolérantes (ou dans le besoin ?) qu'une forme de location. Louer son ventre comme on loue ses bras. Le ventre comme force de travail. Ce genre de déclaration abjecte n'a pas fait grand bruit à gauche. Sans doute le fait de ne pas avoir commerce charnel avec les femmes autorise-t-il ce petit vendeur de tissu à les mépriser sans vergogne. Mais il avait au moins le mérite (indirect) de poser le cadre du débat : quid de l'argent et du rapport économique ?

    La GPA était donc la monstruosité au cœur du combat et rien n'y a fait ; les pourfendeurs de cette pratique n'ont pas eu gain de cause. NI les incertitudes dans la construction de l'identité infantile, ni les considérations économiques, justement, n'ont tenu et ses partisans, eux, ont avancé masqués, prétextant que la question ne se posait pas. Il y avait pourtant beaucoup à dire sur un point : le désir d'enfant transformé en un droit à l'enfant.

    Le droit à l'enfant. Autant l'écrire sans détour : il n'y a pas de droit à l'enfant. C'est une hérésie intellectuelle. L'enfant n'est pas un droit mais une possibilité physiologique que la nature valide ou non. Il n'est pas possible pour deux hommes ou pour deux femmes d'avoir un enfant. C'est ainsi et ce ne sont pas les progrès de la médecine qui changeront quoi que ce soit en ce domaine. Cela n'a rien à voir avec la stérilité (que des avancées thérapeutiques peuvent effectivement soigner). Et comme la nature est têtue, le droit est invoqué pour la faire plier. Il devient alors le bras séculier d'une aspiration narcissique pour quelques-un(e)s qui veulent à la fois conserver leur différence (pas question de renoncer à la gay pride et à ses cortèges grotesques, provocateurs et vulgaires) et satisfaire un besoin somme toute bien petit bourgeois (3). Le droit à l'enfant est la résultante d'une régression infantile et d'un mépris indispensable d'autrui. Le bonheur pour soi. La gestation par autrui... À moins que ce ne soit, dans le fond, la gestation pour autrui. Mais en changeant la préposition, je ramène à la surface les implications profondes de l'acte : il est nécessaire d'exclure et d'instrumentaliser. La mère ou le père sont passagers. Il s'éclipse le temps venu. C'est leur vocation. Il est indispensable que soit coupé en deux les temps de l'être, entre sa conception et son apparition. On le prépare à une seconde vie, en niant la première. Conçu (encore que...) à Bangkok, destiné à Melbourne. Pour le coup, on ne peut mieux concevoir la coupure du cordon. Enfin, cet autrui bénéficiaire qui réapparaît remet la grossesse dans le cadre économique d'une transaction.

    Ces problématiques ne sont pas nouvelles. Elles fondaient l'opposition intellectuelle et rationnelle au mariage gay, au delà des caricatures tournant elles autour des positions religieuses que les gauchistes avaient besoin d'activer, selon un manichéisme mainte fois utilisé : les Modernes contre les Rétrogrades, avec cette nuance quasi révolutionnaire dont la France a hérité, donnant d'un côté les Républicains, de l'autre les Cathos (ou les Ultras...). C'est donc avec un étonnement sensible que, le 14 juillet, on a vu paraître une tribune demandant à l'état de prendre ses responsabilités dont les trois premiers signataires étaient Jacques Delors, Lionel Jospin et Yvette Roudy, tribune justifiée par la décision de la Cour européenne des droits de l’homme obligeait la France à reconnaître des enfants issus de GPA nés à l'étranger. Cette indignation est soit sincère mais elle révèle une grande naïveté, parce que les opposants avaient depuis longtemps dénoncé ce genre de risques, et de facto, elle ridiculise ces politiques. Soit cette indignation est feinte. Elle est une posture et un moyen de détourner l'attention. Quelques socialos feignent l'inquiétude et on passe à autre chose.

    Entre l'honnêteté et l'écran de fumer, à chacun de choisir. Il est bon néanmoins de rappeler que ces trois premiers signataires sont des mondialistes patentés, qu'ils ont été des chevilles ouvrières d'une transformation de l'Europe en un vaste marché libéral. Et c'est alors que le doute s'installe. Il faudrait, en effet, pour être crédibles que ces politiques aient montré depuis fort longtemps leur opposition à la marchandisation des êtres et des corps, et ce n'est pas le cas. La lecture passionnante du Corps-Marché de Céline Lafontaine vous laisse sans illusion. À partir d'une analyse de la bioéconomie, et du dévoiement de ce concept posé par l'économiste Nicholas Georgescu-Rœgen, elle passe en revue cette transformation sociale/sociétale qui s'organise autour d'une redéfinition des usages du corps à des fins commerciales. Deux extraits significatifs.

    "D'une logique de décroissance prônée par le père de la bioéconomie, on passe avec le programme de l'OCDE à un bioéconomie de développement durable qui conçoit le vivant comme une nouvelle source de productivité. Dans son rapport La Bioéconomie à l'horizon 2030, l'organisation associe d'ailleurs très explicitement les innovations technologiques au développement durable. En plus d'être "plus vertes", les biotechnologies offrent, selon ce rapport, "des solutions techniques qui permettent de résoudre nombre de  problèmes de santé et de ressources auxquels le monde est confronté."

    En clair : le corps est un business et l'OCDE ne cache pas que c'est une de ces voies à exploiter dans la course à la croissance. Dès lors, les politique signataires cités plus haut ou ignorent les analyses de l'OCDE, dont ils appliquent pourtant les recommandations libérales en matière d'économie, ou trompent leur monde.

    Dans une partie consacrée à la procréation médicalement assistée, Céline Lafontaine rappelle cette évidence :

    "La normalisation et la démocratisation du recours à la procréation assistée ont eu pour conséquence le développement d'une libre concurrence de cette industrie à l'échelle internationale. Alimenté par la logique consumériste de la baisse des coûts et par la volonté de contourner les cadres juridiques nationaux limitant le "don" d'ovules, le commerce de ces précieuses cellules féminines s'est développé dans des zones plus permissives, telles que l'Espagne et Chypre (...)"

    Le corps féminin monétisé jusque dans ses entrailles : la PMA a favorisé ce dévoiement. Il n'y avait aucune raison qu'il n'en fût pas de même pour la GPA. S'en offusquer au milieu de l'été après tant de laisser-faire commercial (mais n'est-ce pas le fonds de la doctrine libérale, qui puise sa source en partie chez les partisans, aux XVIIIe et XIXe siècles, d'une liberté plus grande : de Voltaire à Frédéric Bastiat, en passant par les révolutionnaires). Pour trouver des ventres, ce n'est pas Chypre ou l'Espagne mais des contrées à ventres bon marché, où le droit (le vrai, celui-là, qui aurait pour vertu de réduire les inégalités et les injustices, et non de satisfaire les bien nourris) est une mascarade...

    Les jérémiades morales de Delors et Jospin sont donc une escroquerie. Leur position n'aurait pas été posture s'ils s'étaient démarqués du choix civilisationnel (pour parler comme la sinistre Taubira) qu'un président fantoche nous a imposés. Ce sont de telles attitudes qui font désespérer du politique, ou qui attisent les choix radicaux. S'il n'est pas sûr que Dieu existe, est-il nécessaire de substituer à cette putative absence l'outre-présence du désir des hommes, d'en faire le fondement d'un droit exorbitant et infantile par quoi rien ni personne ne doit s'interposer à une envie. 

    Le droit à l'enfant, répétons-le, est une monstruosité philosophique qui légitime et légalise la choséification du corps féminin (pourquoi alors s'être battu pour son émancipation ?) et la soumission de l'enfant à la loi pure du marché. La GPA procède de cette logique et est consubstantielle aux cadres du mariage gay. Les cris d'orfraie de Delors et Jospin sont, une fois de plus, des simagrées. Sur ce point crucial qui engage un virage de civilisation, il n'y a aucun doute : la gauche française est infiniment plus libérale que la droite...

     

    (1)Terminologie en soi assez discutable, quand le "social" est un produit d'appel, une tête de gondole pour électeur naïf.

    (2)Sur ce point, il faut lire Jean-Claude Michéa, Les mystères de la gauche. De l'idéal des Lumières au triomphe du capitalisme absolu, Climats, 2013.

    Le sous-titre est doublement intéressant. Il fait le point sur la soumission de la gauche à l'idéal libéral. Il renvoie à la généalogie de cette évolution. Le vers était dans le fruit et ce qu'on nous vend comme l'esprit éclairé du XVIIIe siècle n'est que l'étayage d'une logique politique qui met les individus en concurrence et rejette toute possibilité d'une vraie pensée sociale. Voltaire est un écrivain néfaste et ce n'est pas d'avoir défendu Jean Calas qui peut le sauver.

    (3)Ceci explique que, chez certains homosexuels, le mariage gay était une aberration, et le désir d'enfant une inconséquence. Faut-il alors placer ces récalcitrants de la modernité dans la catégorie des débiles qui ne comprennent rien, des réactionnaires ou des couards ?

    (4)Céline Lafontaine, Le Corps-Marché. La marchandisation de la vie humaine à l'ère de la bioéconomie, Seuil, 2014.

  • La gauche libérale (I) : le mariage pour tous

     

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    Le sociétal, comme on dit, n'est pas le social, moins encore le politique. Cela pourrait l'être, d'une certaine manière. Être un élément du politique. Encore faudrait-il qu'il y ait une véritable politique. Et lorsque moi-président est élu en mai, sur la base qu'avec lui (entendons : à l'inverse de celui dont il va prendre la place), tout sera différent, que la gauche vient au pouvoir pour vaincre le seul ennemi qui vaille, l'invisible et si puissante finance, c'est un miroir déformant du politique qu'il projette aux yeux de l'opinion. Opinion qui y croit, qui va voter massivement (quand même...), qui chante le dimanche soir, et qui sent, dit-on, que l'air est soudain devenu respirable.

    Si nous n'avions pas à payer le prix de cette escroquerie (et je la paie, moi, bien moins que d'autres...) on pourrait en rire mais la nudité-nullité de la pensée au pouvoir est telle qu'il lui faut absolument se battre sur des détails, sur des effets d'annonce. C'est l'utilité du sociétal. L'affaire ne serait pas nouvelle (la défense de l'école privée, le CIP, le PACS,...), dira-t-on. Si, pourtant...

    La gauche qui est désormais au pouvoir est une droite de rechange. La droite qui doit se charger des besognes libérales dont la droite visible ne peut s'acquitter. Et cela pour deux raisons : parce qu'une partie de son électorat n'en voudrait pas (ceux que la doxa qualifiera de cathos, fachos, réacs...), parce qu'elle risquerait, cette droite, de voir débouler dans la rue des manifestations qui ne seront pas organisées par une base de «gauche» face à un gouvernement qu'elle a aidé à porter au pouvoir. La gauche est une droite de rechange, dis-je, c'est-à-dire qu'elle s'est fondue dans le moule libéral, qu'elle en a adopté les principes fondamentaux, au-delà même de ce que représente, et c'est un beau paradoxe, la droite classique, conservatrice. Pour l'écrire autrement, la gauche est aujourd'hui économiquement plus à droite qu'une partie de l'opposition qu'elle fustige...

    Prenons le mariage pour tous. Laissons de côté, même si cela a son importance, l'effet neutralisant du débat qui se déploie à ce sujet. La vive polémique a son importance en ce qu'elle est un agent masquant d'une politique qui suit à la trace (et qui ira plus loin, c'est certain) celle menée par Sarkozy. Était-il urgent de débattre sur le droit des homosexuel(le)s à se marier ? Etait-ce intelligent que dans la torpeur de l'été on décide de mettre en avant cette énième proposition moi-président, quand celui-ci avait déjà renié des engagements plus lourds, à commencer par le traité budgétaire ? Certains diront que non, évidemment, et ils ont raison, d'une certaine façon. Ils ont raison si l'on se place du point de vue des impératifs économiques de crise (1), si l'on se place sur le seul plan de la réactivité gouvernementale face à une situation d'urgence. En revanche, il est tout à fait logique que la gauche se précipite sur cette question, quand elle a entériné tout l'appareil idéologique de l'économie libérale. Il lui reste à faire le travail sur le plan sociétal, justement.

    La transformation fondamentale de l'ultra-libéralisme, au regard de sa forme plus ancienne, est le glissement progressif de l'économie dans toutes les sphères de l'espace social et individuel. C'est faire que tout soit monnayable, que tout puisse entrer dans des rapports d'intérêt transposables sur le plan d'un échange financier. C'est là qu'intervient une nouvelle définition de la liberté. Celle-ci n'est plus constitutive d'une construction individuelle, sur un plan philosophique (pour faire court), accréditant l'idée d'une possible émancipation des personnes ; elle est un signe, comme les objets sont des signes (pour reprendre Baudrillard). La liberté fait signe, et en tant que telle, elle est soumise à la loi des signes qui, en territoire libéral, impose sa conversion en acte économique.

    Le mariage pour tous doit se concevoir comme un acte faisant progresser l'activité économique libérale d'un degré de plus. Le problème n'est pas tant de placer chacun sur un pied d'égalité au nom du droit de s'aimer (2) que de poser les bases d'un droit à la procréation par assistance médicale, ce qui revient à créer un marché de mères porteuses (3). On peut nous emballer l'affaire sous les mots de l'amour (belle blague ! Depuis quand le mariage est affaire d'amour ! Il suffit de lire le Code civil pour se convaincre du contraire. C'est un contrat...), il ne faut pas être dupe. Le mariage pour tous est l'ouverture vers les dérives mercantiles mettant en jeu des enfants, que des couples ayant les moyens pourront s'offrir. C'est la possibilité de monnayer la grossesse. Sur ce point, Pierre Bergé a eu l'heureuse bêtise de formuler de manière cinglante l'enjeu du débat, quand il déclarait le 16 décembre dernier :

    "Nous ne pouvons pas faire de distinction dans les droits, que ce soit la PMA, la GPA ou l'adoption. Moi, je suis pour toutes les libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine, quelle différence ? C'est faire un distinguo qui est choquant."(4)

    Le propos a choqué. On peut comprendre, mais ce serait une grave erreur de l'attribuer au débordement d'un esprit atteint de sénilité. Ceci dit sans ironie. Ce propos est en fait le dévoilement d'une conversion radicale de la gauche à cette logique de marché jouissif, telle qu'en parlait déjà Fredric Jameson quand il envisageait les transformations culturelles du capitalisme tardif. Et sur ce plan, certains ont acquiescé plus vite que d'autres aux débordements du libéralisme hédoniste. Le mariage pour tous est le fruit d'un lobbying gay parisien, de gauche, forcément de gauche, qui, plutôt que de s'interroger sur ce qu'est la vraie homophobie (ce qui lui demanderait de reconsidérer les concepts de classe à l'aune de la relégation sexuelle (5)) veut à la fois la conformité pour jouir du possible (avoir des enfants) et la différence pour jouir tout court. Rappelons à cet effet que la jouissance est un terme de droit (avoir la jouissance d'un bien), et c'est bien de droit qu'il est question ici, et d'un droit qui à un coût.

    Or, et c'est un fait économique, une certaine gentry homosexuel a les moyens de faire face à ces dépenses médicales ; elle a les moyens de louer un ventre, de négocier la gestation (n'est-ce pas charmant) (6). L'ultra-libéralisme a le devoir de trouver encore et encore des marchés. Il peut le faire en mettant en marche deux éléments complémentaires : les ressources de la technologie et la promotion, sous des formes trompeuses, de la liberté individuelle. L'indifférenciation sexuée, la substitution du genre au sexe, cette récupération post-soixante-huitarde des revendications pseudo-libertaires ne sont que des stratégies pour élargir le champ d'investigation économique (7). 

    L'élargissement de l'économie à toutes les sphères possibles a de plus grande chance d'aboutir lorsque tous les principes millénaires et les puissances qui essaient d'en limiter les effets sont mis à mal, sont ridiculisés et voués à n'être plus que balivernes. C'est bien pour cela, notamment, que les partisans du mariage pour tous se sont acharnés comme jamais sur l'église catholique, sur les cathos. Ils ont bien compris que l'enjeu était de taille (8).

    Pour ce faire, il faut des gens capables d'enjoliver le changement, de proposer le progrès (sans dire de quoi il retourne vraiment) contre la réaction, de promouvoir la liberté contre l'oppression, de brandir l'étendard du respect contre le drapeau noir de l'intolérance. C'est la logique du plus. Le mariage pour tous est un plus, et le plus ne peut être que bon. Et le bon, parce que l'histoire a été ainsi écrite, ne peut être que de gauche. C'est au nom de ce diktat progressiste qu'une philosophe de salon, une dénommée Beatriz Preciado, ci-devant directrice du Programme d'études indépendantes musée d'Art contemporain de Barcelone (Macba) éructe initialement dans Libération du 15 janvier sur les contestataires :

    "Les catholiques, juifs et musulmans intégristes, les copéistes décomplexés, les psychanalystes œdipiens, les socialistes naturalistes à la Jospin, les gauchos hétéronormatifs, et le troupeau grandissant des branchés réactionnaires sont tombés d’accord ce dimanche pour faire du droit de l’enfant à avoir un père et une mère l’argument central justifiant la limitation des droits des homosexuels." 

    Le lecteur appréciera ces raccourcis magnifiques et le vocabulaire. L'hétéronormatif est splendide : une manière d'avilir l'hétérosexualité en la faisant passer pour une banalité petite bourgeoise, un conformisme pisse-froid, une sordide obéissance à la logique procréatrice. Mais d'apprendre qu'elle est proche des queer culture et qu'elle est la compagne de Virginie Despentes m'éclaire, sans me rassurer : je sais depuis quelque temps déjà que les révolutionnaires en chambre sont les pires compagnons d'armes de l'horreur. (9)

    La boucle est bouclée.

     

     

    (1)Quoique ce que j'écris là soit un peu biaisé puisqu'il est faux de dire que nous sommes en crise. La crise est un moment, l'acmé d'une situation qui s'est développée, un moment décisif. Or nous sommes depuis près de 40 ans en crise. Tout simplement parce que c'est l'ordre même du monde soumis à un économisme croissant et destructeur. Ceux qui pensent qu'un jour quelqu'un nous en sortira se leurrent. Il faudrait alors repenser la totalité du développement. La dégénérescence du système, et la mort politique, économique et sociale qui en résultera, violente, impitoyable, aura eu raison de toute les jugements.

    La krisis grecque était l'acte de trancher devant une situation confuse et incertaine. On voit bien que la confusion et l'incertitude sont, paradoxalement, le fondement d'une économie ultra-libérale, fonctionnant sur la précarisation des acteurs et le flottement des situations...

    (2)Auquel cas, n'en déplaise aux plus audacieux : il faudrait reconnaître à deux adultes (un frère et une sœur) le droit de se marier. Le mariage n'est donc pas pour tous, en dépit de son appellation marketing pour ne pas dire qu'il s'agit d'un mariage homosexuel.

    (3)Pour couper court à toute critique sur ce point, je précise que je suis contre les procédures de procréation assistée, qu'elles soient destinées aux hétérosexuels ou aux homosexuels. Sur ce plan, la science se doit d'avoir des limites et l'individu se doit de concevoir que son bon plaisir n'est pas tout.

    (4)PMA : procréation médicalement assistée

    GPA : gestation par autrui

    (5)Dans les banlieues par exemple, ou dans l'espace culturel maghrébin, où l'homophobie est tenace. Mais il lui faudrait, à cette côterie, penser l'Autre dans sa diversité problématique, le comprendre, l'affronter, débattre avec lui, et ne pas le voir seulement comme jouet d'une bonne conscience. Il lui faudrait quitter ce côté gidien qui ne la lâche pas : l'exotisme de l'enculage est une philosophie méprisable...

    (6)Car c'est une ficelle grossière que de découpler (!) mariage pour tous et PMA. À partir du moment où le mariage homosexuel est posé comme l'égal du mariage hétérosexuel, il n'est plus constitutionnellement possible de limiter les droits du second par rapport au premier. Tout étudiant de licence de droit le sait bien...

    (7)Le cri des hirsutes de 68 « il est interdit d'interdire » est, comme c'est étrange !, un programme que ne désavoueraient pas les tenants d'un marché libre, capable de régler de lui-même les conflits.

    (8)Ce qui explique d'ailleurs les attaques violentes contre les évêques, quand, par ailleurs, on ménageait les autorités musulmanes (le recteur de la mosquée de Lyon avait précédemment manifesté...)... Sans doute, parce que cela aurait mis en porte-à-faux les tenants du différentialisme et du droit-de-l'hommisme.

    (9)Qui se ressemble s'assemble. J'invite donc le lecteur à la délectation (soyons kantien...) des œuvres (?!) littéraires et cinématographiques de Virginie Despen

    Par ailleurs, j'entends, en même temps, la complainte de cette Preciado. Elle a le précieux dans son nom, et elle y croit. Et croit sans aucun doute que le libéralisme de mœurs espagnol est une manière de conjurer le sinistre héritage franquiste. Mais elle devrait savoir, si elle avait un tantinet de cervelle, que l'escalade de la négation pour abolir un régime abject (ce que fut le franquisme) est justement le meilleur moyen de le réhabiliter, de gommer en lui la caricature qu'il fut, de donner à ses nostalgiques les moyens de leur retour politique. Elle devrait, en plus, s'interroger sur le fait que les pays catholiques les plus permissifs sont ceux qui ont subi la crise libérale la plus sévère, à commencer par l'Argentine. Mais penser le politique autrement que par le prisme du cul, de la chatte et de la bite est une chose fort difficile pour certain(e)s intellectuel(le)s soi disant émancipé(e)s...

     

     

    photo : Antoniol Antoine /SIPA