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social-libéralisme

  • Le droit (jusqu') à la folie

    S'il devait y avoir un trait caractéristique de la social-démocratie libérale (1), ce serait sans nul doute l'hypocrisie. Elle a un côté moraliste de bas-étage : on dirait les Flamandes de Brel, mais dans une version progressiste. Le social-démocrate libéral français, le socialiste bon teint, vallso-hollandisé, reformaté à la manière de Blair est un bijou de saloperie satisfaite, qui se croît tellement intelligent qu'il ne peut douter de la bêtise des autres. Et si je passe par le détour blairiste, il n'y a pas de hasard. Nullement. On y trouve la rouerie assurée qui permettaient aux grandes oreilles du New Labour d'affirmer que l'invasion de l'Irak était une urgence et que les armes de destruction massive étaient un danger mondial, etc, etc, etc. On connaît la chanson : le mensonge est la ligne de conduite absolue. Le socialo lucide est un larbin du libéralisme mais il essaie de faire croire le contraire ; il est son sbire zélé et prétentieux, mais se promène avec ses breloques humanistes : les autres, l'écoute, la solidarité, l'amour, le respect, la différence et j'en passe... En clair, le socialo-libéral aime le monde, veut le bonheur du monde, le vôtre, le mien : il n'a d'ambition que de nous rendre heureux (2).

    C'est pour cette raison qu'il adhère si bien au credo libéral de la marchandisation de tout et de tous, du droit appliqué à toutes les formes de concepts, dans la perspective que les dits concepts permettront d'ouvrir de nouveaux services, de nouveaux besoins, de nouveaux flux, de nouveaux échanges, de nouveaux recours, parce que tout doit être négociable, monnayable, et ajustable en terme de contrat. 

    Nous n'avons eu de cesse d'expliquer combien les partisans nantis du mariage gay, suivis par la bigoterie alter-différentialiste des centres villes bobos, qui se la joue tolérance et ouverture, les partisans nantis, donc, visaient au delà du projet matrimonial l'élargissement du marché des naissances, et plus particulièrement la gestation par autrui (GPA), laquelle était assimilable à un acte banal. Le gauchiste rose Pierre Bergé n'y voyait, pour des femmes enfin tolérantes (ou dans le besoin ?) qu'une forme de location. Louer son ventre comme on loue ses bras. Le ventre comme force de travail. Ce genre de déclaration abjecte n'a pas fait grand bruit à gauche. Sans doute le fait de ne pas avoir commerce charnel avec les femmes autorise-t-il ce petit vendeur de tissu à les mépriser sans vergogne. Mais il avait au moins le mérite (indirect) de poser le cadre du débat : quid de l'argent et du rapport économique ?

    La GPA était donc la monstruosité au cœur du combat et rien n'y a fait ; les pourfendeurs de cette pratique n'ont pas eu gain de cause. NI les incertitudes dans la construction de l'identité infantile, ni les considérations économiques, justement, n'ont tenu et ses partisans, eux, ont avancé masqués, prétextant que la question ne se posait pas. Il y avait pourtant beaucoup à dire sur un point : le désir d'enfant transformé en un droit à l'enfant.

    Le droit à l'enfant. Autant l'écrire sans détour : il n'y a pas de droit à l'enfant. C'est une hérésie intellectuelle. L'enfant n'est pas un droit mais une possibilité physiologique que la nature valide ou non. Il n'est pas possible pour deux hommes ou pour deux femmes d'avoir un enfant. C'est ainsi et ce ne sont pas les progrès de la médecine qui changeront quoi que ce soit en ce domaine. Cela n'a rien à voir avec la stérilité (que des avancées thérapeutiques peuvent effectivement soigner). Et comme la nature est têtue, le droit est invoqué pour la faire plier. Il devient alors le bras séculier d'une aspiration narcissique pour quelques-un(e)s qui veulent à la fois conserver leur différence (pas question de renoncer à la gay pride et à ses cortèges grotesques, provocateurs et vulgaires) et satisfaire un besoin somme toute bien petit bourgeois (3). Le droit à l'enfant est la résultante d'une régression infantile et d'un mépris indispensable d'autrui. Le bonheur pour soi. La gestation par autrui... À moins que ce ne soit, dans le fond, la gestation pour autrui. Mais en changeant la préposition, je ramène à la surface les implications profondes de l'acte : il est nécessaire d'exclure et d'instrumentaliser. La mère ou le père sont passagers. Il s'éclipse le temps venu. C'est leur vocation. Il est indispensable que soit coupé en deux les temps de l'être, entre sa conception et son apparition. On le prépare à une seconde vie, en niant la première. Conçu (encore que...) à Bangkok, destiné à Melbourne. Pour le coup, on ne peut mieux concevoir la coupure du cordon. Enfin, cet autrui bénéficiaire qui réapparaît remet la grossesse dans le cadre économique d'une transaction.

    Ces problématiques ne sont pas nouvelles. Elles fondaient l'opposition intellectuelle et rationnelle au mariage gay, au delà des caricatures tournant elles autour des positions religieuses que les gauchistes avaient besoin d'activer, selon un manichéisme mainte fois utilisé : les Modernes contre les Rétrogrades, avec cette nuance quasi révolutionnaire dont la France a hérité, donnant d'un côté les Républicains, de l'autre les Cathos (ou les Ultras...). C'est donc avec un étonnement sensible que, le 14 juillet, on a vu paraître une tribune demandant à l'état de prendre ses responsabilités dont les trois premiers signataires étaient Jacques Delors, Lionel Jospin et Yvette Roudy, tribune justifiée par la décision de la Cour européenne des droits de l’homme obligeait la France à reconnaître des enfants issus de GPA nés à l'étranger. Cette indignation est soit sincère mais elle révèle une grande naïveté, parce que les opposants avaient depuis longtemps dénoncé ce genre de risques, et de facto, elle ridiculise ces politiques. Soit cette indignation est feinte. Elle est une posture et un moyen de détourner l'attention. Quelques socialos feignent l'inquiétude et on passe à autre chose.

    Entre l'honnêteté et l'écran de fumer, à chacun de choisir. Il est bon néanmoins de rappeler que ces trois premiers signataires sont des mondialistes patentés, qu'ils ont été des chevilles ouvrières d'une transformation de l'Europe en un vaste marché libéral. Et c'est alors que le doute s'installe. Il faudrait, en effet, pour être crédibles que ces politiques aient montré depuis fort longtemps leur opposition à la marchandisation des êtres et des corps, et ce n'est pas le cas. La lecture passionnante du Corps-Marché de Céline Lafontaine vous laisse sans illusion. À partir d'une analyse de la bioéconomie, et du dévoiement de ce concept posé par l'économiste Nicholas Georgescu-Rœgen, elle passe en revue cette transformation sociale/sociétale qui s'organise autour d'une redéfinition des usages du corps à des fins commerciales. Deux extraits significatifs.

    "D'une logique de décroissance prônée par le père de la bioéconomie, on passe avec le programme de l'OCDE à un bioéconomie de développement durable qui conçoit le vivant comme une nouvelle source de productivité. Dans son rapport La Bioéconomie à l'horizon 2030, l'organisation associe d'ailleurs très explicitement les innovations technologiques au développement durable. En plus d'être "plus vertes", les biotechnologies offrent, selon ce rapport, "des solutions techniques qui permettent de résoudre nombre de  problèmes de santé et de ressources auxquels le monde est confronté."

    En clair : le corps est un business et l'OCDE ne cache pas que c'est une de ces voies à exploiter dans la course à la croissance. Dès lors, les politique signataires cités plus haut ou ignorent les analyses de l'OCDE, dont ils appliquent pourtant les recommandations libérales en matière d'économie, ou trompent leur monde.

    Dans une partie consacrée à la procréation médicalement assistée, Céline Lafontaine rappelle cette évidence :

    "La normalisation et la démocratisation du recours à la procréation assistée ont eu pour conséquence le développement d'une libre concurrence de cette industrie à l'échelle internationale. Alimenté par la logique consumériste de la baisse des coûts et par la volonté de contourner les cadres juridiques nationaux limitant le "don" d'ovules, le commerce de ces précieuses cellules féminines s'est développé dans des zones plus permissives, telles que l'Espagne et Chypre (...)"

    Le corps féminin monétisé jusque dans ses entrailles : la PMA a favorisé ce dévoiement. Il n'y avait aucune raison qu'il n'en fût pas de même pour la GPA. S'en offusquer au milieu de l'été après tant de laisser-faire commercial (mais n'est-ce pas le fonds de la doctrine libérale, qui puise sa source en partie chez les partisans, aux XVIIIe et XIXe siècles, d'une liberté plus grande : de Voltaire à Frédéric Bastiat, en passant par les révolutionnaires). Pour trouver des ventres, ce n'est pas Chypre ou l'Espagne mais des contrées à ventres bon marché, où le droit (le vrai, celui-là, qui aurait pour vertu de réduire les inégalités et les injustices, et non de satisfaire les bien nourris) est une mascarade...

    Les jérémiades morales de Delors et Jospin sont donc une escroquerie. Leur position n'aurait pas été posture s'ils s'étaient démarqués du choix civilisationnel (pour parler comme la sinistre Taubira) qu'un président fantoche nous a imposés. Ce sont de telles attitudes qui font désespérer du politique, ou qui attisent les choix radicaux. S'il n'est pas sûr que Dieu existe, est-il nécessaire de substituer à cette putative absence l'outre-présence du désir des hommes, d'en faire le fondement d'un droit exorbitant et infantile par quoi rien ni personne ne doit s'interposer à une envie. 

    Le droit à l'enfant, répétons-le, est une monstruosité philosophique qui légitime et légalise la choséification du corps féminin (pourquoi alors s'être battu pour son émancipation ?) et la soumission de l'enfant à la loi pure du marché. La GPA procède de cette logique et est consubstantielle aux cadres du mariage gay. Les cris d'orfraie de Delors et Jospin sont, une fois de plus, des simagrées. Sur ce point crucial qui engage un virage de civilisation, il n'y a aucun doute : la gauche française est infiniment plus libérale que la droite...

     

    (1)Terminologie en soi assez discutable, quand le "social" est un produit d'appel, une tête de gondole pour électeur naïf.

    (2)Sur ce point, il faut lire Jean-Claude Michéa, Les mystères de la gauche. De l'idéal des Lumières au triomphe du capitalisme absolu, Climats, 2013.

    Le sous-titre est doublement intéressant. Il fait le point sur la soumission de la gauche à l'idéal libéral. Il renvoie à la généalogie de cette évolution. Le vers était dans le fruit et ce qu'on nous vend comme l'esprit éclairé du XVIIIe siècle n'est que l'étayage d'une logique politique qui met les individus en concurrence et rejette toute possibilité d'une vraie pensée sociale. Voltaire est un écrivain néfaste et ce n'est pas d'avoir défendu Jean Calas qui peut le sauver.

    (3)Ceci explique que, chez certains homosexuels, le mariage gay était une aberration, et le désir d'enfant une inconséquence. Faut-il alors placer ces récalcitrants de la modernité dans la catégorie des débiles qui ne comprennent rien, des réactionnaires ou des couards ?

    (4)Céline Lafontaine, Le Corps-Marché. La marchandisation de la vie humaine à l'ère de la bioéconomie, Seuil, 2014.

  • La gauche libérale (IV) : le vote

    La gauche libérale se préoccupe beaucoup depuis son retour aux affaires des questions électorales, et pour être plus précis, du corps électoral, de sa constitution, de son évolution, et pour être clair : de sa transformation pour qu'il puisse au moins pour un temps lui être favorable.

    Elle a d'abord envisagé d'accorder aux étrangers extra-communautaires le droit de vote aux élections locales. Mais, elle y a renoncé, sentant que l'affaire n'était pas jouée et que l'opinion n'était pas prête (comme on dit, pour ne pas traiter la dite opinion d'idiote). Puis, cette semaine, une inutile gouvernementale a lancé l'idée du droit de vote à 16 ans.

    Il y a évidemment un rapport étroit entre ces deux méthodes d'élargissement, même si on essaie de les dissimuler. Dans le premier cas, il s'agissait de s'assurer le vote des immigrés dans l'espace communal, notamment dans la périphérie des grandes villes, là d'où, comme le rappelle Christophe Guilluy le souligne, les classes moyennes ont fui pour que ces territoires deviennent des espaces communautaires (1). L'objectif était d'entériner ce que d'aucuns ont souligné depuis longtemps : l'abandon de la classe ouvrière par la gauche, le calcul d'un moindre intérêt des classes populaires d'origine européenne au profit d'une montée démographique des populations immigrés africaines. Mais ce n'était que l'effet le plus immédiatement visible d'un électoralisme nauséabond qui cachait une idée bien plus fallacieuse. En découplant le principe du vote avec celui de la nationalité (2), le but est aussi d'invalider le principe de la nation et de lui substituer une logique du local dont on sait qu'elle est, sous couvert de générosité, de responsabilité et de participation, une des nouvelles formes administratives des nouveaux principes managériaux analysés par Boltanski et Chiappello (3). Or, la nation, et l'inscription des individus dans le territoire, commence par cette problématique du local, de l'espace restreint. En autorisant des personnes à voter ici, tout en étant d'ailleurs, on vide le contenu de l'ici pour en faire un ailleurs perpétuel, c'est-à-dire un espace déterritorialisé. Cette déterritorialisation est un des fondements du libéralisme dans sa forme ultime : soit rendre les individus orphelins du lieu auquel ils étaient attachés (et c'est la forme : faites cinq cents kilomètres ou plus pour trouver du boulot, délocalisez-vous...), soit rendre les individus schizophrènes d'une double appartenance politique qui finira par les destituer de toute légitimité où qu'ils soient.

    C'est par ce biais que l'on voit la gauche libérale œuvrée sournoisement pour que nul ne s'y retrouve et soit livré en pâture au diktat du marché qui souhaite ardemment que les gens soient et mobiles, et coupés de toute structure cohérente. Car il est faux de penser qu'une telle décision faciliterait les ententes entre les personnes venues d'horizons différents. La question de la légitimité des uns et des autres serait posée et ne pourrait que renforcer les raideurs communautaires, voire les ghettos. Mais les ghettos sont-ils un problème pour l'épanouissement du libéralisme intégral ? Les exemples anglais ou américains montrent que non. On peut s'accommoder d'un tel délitement national. Il y a même à parier que la ghettoïsation se combine très bien avec une démarche commerciale multipliant les cibles et les niches. On rétorquera qu'il est fort curieux que la droite s'offusque d'un tel projet, y compris les plus libéraux. Foutaise électorale pour se donner bonne conscience car il est certain qu'un tel projet voté ne serait plus remis en question.

    L'incertitude nationale (4) est une nécessité pour la donne mondialisée. Il faut donc que les individus puissent ne plus se sentir chez eux, ou qu'ils ne puissent pas se sentir tout à fait chez eux, même quand ils sont dans un endroit depuis longtemps. Le droit de vote aux étrangers, c'est une incitation à ne pas se poser la question pour ceux qui en bénéficieront du devenir français. C'est couper tout chemin vers l'interrogation sur soi et le désir d'appartenance. On ne s'étonnera donc pas que parmi les plus réticents, on trouve des étrangers eux-mêmes (5). En fait, il ne faut pas que chacun s'interroge sur sa place et sur la volonté de s'inscrire dans le lieu : il faut lui donner l'illusion du droit, qui masque et neutralise la volonté, comme acte individuel. De ce point de vue, l'individualisme libéral ne repose absolument pas sur une émancipation de la personne mais sur l'incitation à sa participation au jeu du marché, le marché étant compris comme l'espace unique de l'existence. Faire que nous puissions, selon le gré de nos pérégrinations, voter ici ou là, c'est-à-dire ne s'attacher nulle part ferait le bonheur ultime du rêveur libéral.

    Mais, répétons-le, cette option semble pour l'heure au placard. Pas assez sûre... Est donc venu à l'esprit embrumé de Madame Bertinotti, ministre de la Famille (?), l'idée du droit de vote à 16 ans. On pourrait là encore, selon des logiques démographiques implacables s'appliquant dans certaines banlieues, montrer qu'il s'agit de récupérer des voix. À défaut d'avoir celles des pères, ils auront celles des fils et des mairies seront sauvées. Cette analyse se fonde de toute évidence sur l'idée qu'une partie de l'électorat, en fonction des origines géographiques et confessionnelles par exemple, représente un vivier de voix non négligeable. L'enquête d'OpinionWay, à la suite des présidentielles, montrant le vote massif des musulmans en faveur de Hollande n'est pas sans conséquence. L'objectif est donc bien de pérenniser un avantage, certain ou supposé, et d'envisager de facto une partie de la population comme un électorat captif dont la gauche libérale au pouvoir serait la grande bénéficiaire. On appréciera ce qu'un tel calcul porte en lui de mépris pour ceux que des propositions prétendument modernes cherchent à flatter...

    Ce ne sont pas tant ces arguties électoralistes qui désolent que l'aveu du marchandage citoyen derrière tout cela. L'indigence politique de la jeunesse française, son ignorance crasse des réalités intellectuelles structurant la réflexion politique sont les premières bornes qui rendent un tel projet absurde, quasiment kafkaïen. Alors même que l'on ne cesse de materner une jeunesse inquiète, qu'on ne cesse d'infantiliser des lycéens et des étudiants dans la perspective d'une adulescence qui n'en finit pas, on vient nous chanter l'air de la responsabilité électorale, du droit à l'expression et à la décision. Je n'ai pas souvenir d'une démagogie aussi faramineuse. À ce titre, madame Bertinotti mérite le respect : elle a placé la barre très haut. Au delà de sa petite personne, il y a la révélation d'une transformation même du vote. Vidé en partie de son contenu depuis l'affaire du référendum de 2005, le droit de vote devient une variable marchande d'un deal où le jeune se métamorphose en prescripteur impénitent. Il l'était déjà sur le plan commercial. Il devient l'acteur de son devenir pas encore advenu. Il a le droit et le droit fait tout. Le droit de vote à 16 ans, c'est une dilution supplémentaire du pouvoir électoral. C'est le triomphe de ceux qui n'ont pas (encore) à rendre compte pour le profit de ceux, élus, qui ne rendent que fort peu de compte.

    L'inutilité de l'apparat démocratique s'affiche par cette dernière plaisanterie funeste. Il s'agit de liquider la démocratie, en ne lui accordant qu'un vil prix. Le vote à 16 ans, c'est le plat de lentilles d'un pouvoir social-libéral qui joue les liquidateurs. Ce n'est pas un gadget mais une œuvre de longue haleine tendant à nous rendre étrangers à nous-mêmes, à nous rendre tous, quelle que soit notre nationalité, étrangers aux droits qu'on nous laisse en les ayant vidés de leur effectivité.

    Tout cela révèle un mépris profond de ce pouvoir pour ceux qu'ils sont censés gouverner. Mépris pour les citoyens de plein droit dont on estime, évalue la rentabilité électorale ; mépris pour les étrangers qui ne sont là que comme variable d'ajustement des réélections futures, d'un jeu de chaises musicales qui cachent de plus en plus mal la réalité d'un espace politique sans consistance, sans pouvoir, quand la classe politique vit bien, et même très bien...

    (1)Prenons pour preuve l'exemple de Pantin, ville de plus de 50 000 habitants où il n'est plus possible aujourd'hui de trouver la moindre boucherie qui ne soit pas halal. Les petits vieux n'ont qu'à prendre le bus et se bouger pour acheter leur côte de porc. Une mienne connaissance, un peu cynique et libérale, commente elle de la manière suivante le problème : c'est la loi de l'offre et de la demande. Voilà qui a le mérite d'être clair : le communautarisme est un marché...

    (2)Pour ne laisser la moindre ambiguïté sur le sujet, précisons de suite que je suis contre le droit de vote des européens communautaires. La question ne porte nullement sur l'origine des individus mais sur la reconnaissance du lien national avec le droit à l'expression politique. Et pour faire bonne mesure, c'est selon le même principe que je n'ai jamais compris le sens de la double nationalité, qui permet à certains de pouvoir à la fois dedans et dehors. La nation est inclusive, et dans une certaine mesure, exclusive. Je conçois que l'on ne soit absolument pas d'accord avec cette position intransigeante. Mais, en ce cas, il serait bon que ceux qui ne veulent plus des nations le disent, et clairement, ce qui n'est jamais le cas (sinon les comiques de l'extrême-gauche...)

    (3)Christiant Boltanski et Ève Chiappello, Le Nouvel Esprit du capitalisme.

    (4)Lequel national n'a absolument rien à voir avec le nationalisme étroit de l'extrême-droite, à moins que l'adjectif national soit une tache, comme l'est devenu le mot populiste.

    (5)Comme on trouvait des homosexuels attérés devant le spectacle du mariage pour tous.

     

  • Seul(e)s...

     

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    C'est une tienne connaissance. Elle a vingt-huit ans et un parcours cahotique. Elle poursuit des études en histoire de l'art et pendant que vous discutez à une terrasse de la prochaine manfiestation pour tous, elle te répond que cette affaire ne la touche que lointainement et qu'elle trouvait depuis longtemps que tout le battage autour de cette question d'union lui semblait suspecte, qu'elle devait cacher quelque chose. Il y a quelques jours, elle a compris : l'adoption de la loi de sécurisation de l'emploi. Belle formule pour dissimuler la mort du CDI et l'instauration de la précarisation à tous les étages. Tout cela passé comme une lettre à la poste. Alors tes éructations contre le mariage gay, elle a la courtoisie de comprendre mais ce n'est pas sa préoccupation immédiate.

    Tu n'as rien à rétorquer devant l'inquiétude légitime et palpable d'une décision qui engage une vie et tant d'autres. Tu acquiesces et la seule chose que tu puisses répondre tient d'une analyse à laquelle elle adhère mais qui demeure encore trop lontaine. 

    Parce qu'il n'y a pas de différence fondamentale entre le mariage gay et l'insécurité professionnelle. Les deux décisions, l'une sociétale, visible, spectaculaire, polémique, l'autre, économique, sournoise, dissimulée, consensuelle relèvent de la même logique. Logique double : détruire les structures repères pour amoindrir les balises individuelles, individualiser les demandes pour affaiblir l'individu. 

    Toute l'affaire de ce qui se trame est là : donner à la personne tout ce qu'il désire de liberté pour le rendre vulnérable jusqu'à la moëlle, lui donner l'illusion d'un pouvoir sans limites, d'un désir sans cesse comblé pour mieux le livrer aux lois du marché.

    C'est une pure illusion d'optique que de croire incompatible ces deux lois promulguées par un même gouvernement. C'est ne pas vouloir comprendre que la liberté économique (le libéralisme première mouture) n'est pas contradictoire avec le liberté sociétale (le libéralisme deuxième mouture). Tout progrès vers la société réduite à ses fonctions de marché induit que l'individu s'atomise, se pulvérise à travers ses désirs et la croyance en ses seules possibilités. Just do it : voilà le sésame. Dès lors deux directions sont à creuser.

    La première tend à maximiser les potentiels minoritaires parce que ceux-ci offrent une opportunité de marché. Le fractionnement sociétal est la garantie d'une extension des offres, par la loi des demandes. En clair, il s'agit d'appliquer dans l'extrême de son potentiel le principe des niches et celui de la fragmentation des cibles. Le mariage gay repose, en partie, sur cette perspective. Il n'est pas étonnant que des articles soient tôt sortis dans la presse pour expliquer qu'un nouveau marché s'ouvrait.

    La seconde tend à diminuer autant que faire se peut les droits collectifs au profit des logiques individuelles. Selon un esprit fort anglo-saxon et libéral, only the fittest survived. Seuls les plus adaptés survécurent. La fin du CDI, dans un discours libéral, concurrentiel et guerrier, pourra toujours être présentée comme une chance pour les meilleurs de s'en sortir. Plus encore : de mieux s'en sortir puisque selon une loi distributive ils en tireront des avantages plus conséquents. Le problème est évidemment que, sur ces profits putatifs, nul ne discourt. C'est une éventualité. Mais chacun sait que les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent.

    Ainsi donc, les deux lois menées de conserve par le social-libéralisme français ne sont pas des aberrations mais répondent à la même ambition de libérer le marché des carcans administratifs et sociétaux. Il est interdit d'interdire : le mot d'ordre des illuminés sorbonnards de 68 trouve sa plénitude dans l'avènement d'un désordre politique par quoi l'individu est livré à lui-même. 

    Le mariage pour tous et la précarité pour tous ne sont que les deux versants d'une même médaille obscure qui prépare un avenir radieux. Dans les deux cas, ce ne sont pas les nantis des beaux quartiers qui ont à craindre. Ni le gay du Marais, ni la fille Dubreuil-Moncoucou : ils ont les réseaux et les sécurités cachées d'une société menteuse. Pour Mouloud, qui ne peut révéler son homosexualité à La Courneuve, et Jeanne qui enchaîne les petits boulots après l'obtention du bac, l'effroi devant les années à venir reste le même. Mais on s'en moque : ils n'avaient qu'à vivre ailleurs, naître ailleurs et faire ce qu'il fallait...


    Photo : David F.